Entre 1963 et 1982, plus de 1 600 enfants de la Réunion ont été transférés en France. Illégalement pour la plupart. Cet exil forcé, notamment dans notre région, a généré de nombreux drames. Ce 18 février, une résolution sera présentée à l’Assemblée Nationale pour que soient reconnues la responsabilité de l’État et cette mémoire douloureuse.
Les enfants de la Creuse… Parce que des dizaines de petits Réunionnais «abandonnés» ou «orphelins malgré eux» ont d’abord transité par le foyer de Guéret, c’est sous cette appellation qu’est connu le dossier. Lorsqu’il est connu.
Factuels, les chiffres des historiens Yvan Combeau et Sadel Fuma disent pourtant que c’est le Tarn qui en accueillit le plus : 202 contre 197 à la Creuse, 101 au Gers, 71 à l’Hérault et 67 à la Lozère. Mais peu importe. Personne ne se fera gloire de ce palmarès qui, au total, concerna plus de soixante départements de 1963 à 1982.
Car ces 1630 gosses, garçons et filles de tous âges, que la DDASS réunionnaise arracha à leur île vécurent pour la majorité ce déracinement comme un calvaire et certains connurent même l’enfer en passant de la pauvreté matérielle à la misère affective (lire ci-contre).
Certes, il y eut aussi des familles d’accueil généreuses pour leur ouvrir les bras. Mais, même pour ceux-là, une autre souffrance vint un jour s’ajouter à la douleur d’avoir perdu leur identité originelle : découvrir qu’on leur avait aussi menti sur leur passé et pas n’importe qui. Le menteur, c’était l’état français.
Leur histoire ? Elle commence en 1963, lorsque le gaulliste Michel Debré est élu député de la Réunion. Trop d’enfants pauvres dans l’île alors que les campagnes françaises se vident ? Pour l’ancien Premier ministre du général De Gaulle, la solution est simple : ces petits Réunionnais partiront repeupler les départements les plus touchés par l’exode rural. C.Q.F.D.
Sur fond de paternalisme post-colonial prétendant faire le bonheur des gens malgré eux, naît alors le Bureau pour le Développement des Migrations Intéressant les Départements de l’Outre-Mer. Et Michel Debré veille personnellement à ses performances «exportatrices».
Dans son livre «Une Enfance Volée», Jean-Jacques Martial raconte le rôle de croque-mitaine qu’endosse alors la DDASS locale venue le prendre à sa grand-mère. «L’état français avait décidé de s’occuper des orphelins de La Réunion, de les envoyer en France où ils pourraient suivre des études et même être adoptés
[…] Le problème, c’est que très vite, il n’y eut plus assez d’orphelins. Alors les autorités ont décidé de choisir les enfants qu’elles jugeaient abandonnés. On a profité de l’illettrisme des gens pour leur faire signer d’un pouce des actes d’abandon, lorsque ceux-ci n’étaient pas carrément falsifiés». En 1981 la gauche mettra fin au scandale. Et des années plus tard des adultes qui se croyaient orphelins découvriront qu’ils ont toujours une mère, un père, une fratrie à La Réunion. En 2002, année où l’enquête de l’IGAS recommande d’ouvrir leur dossier aux victimes, naîtra l’association Rasinn Anler dont le but sera notamment de faire reconnaître la responsabilité morale de l’état. C’est l’un des points majeurs de la résolution que la députée Ericka Bareigt présentera demain devant l’Assemblée Nationale afin d’inscrire l’histoire de ces enfants dans l’Histoire. Pour qu’ils ne soient plus un «trou de mémoire».