Les garanties d'impartialite du juge dans le code de procedure penale
INTRODUCTION GENERALE
1* Il n'est point de société sans justice, encore moins de justice sans juges investis de l'audacieux pouvoir de la rendre. En tout temps et en tout lieu, des personnes appelées juges ont reçu pour mission de trancher les conflits survenus entre leurs contemporains et parfois entre ceux-ci et certaines autorités de l'Etat1(*). Le juge a pour rôle d'arbitrer, de départager sans parti pris des parties en conflit et sa première obligation est d'être neutre. A cet effet, il se doit d'être complètement extérieur au litige, sa seule relation avec l'affaire en cause étant précisément qu'il en est le juge2(*). "judices secundum legem scrituanm juste judicent non secundum arbitrium suum." Telle est la mission du juge résumée par cette maxime latine. En effet, il a l'obligation de statuer justement, selon la loi écrite et non ses sentiments personnels3(*).
La mission qui incombe au juge est de trancher les litiges en s'efforçant de tenir la balance au milieu sans privilégier une partie au détriment de l'autre. A ce sujet, la Bible recommande au juge : "tu ne porteras atteinte à aucun droit, tu n'auras point d'égard à l'apparence des personnes et tu ne recevras point de présents, car, les présents aveuglent les yeux des sages et corrompent la parole des justes..."4(*). On constate dès lors que l'indépendance, la neutralité, l'objectivité et l'impartialité (objet de notre étude) sont de l'essence même de la fonction du juge. C'est dans ce sens que l'article 37 al 3 de la constitution du 18 janvier 1996 dispose que : "les magistrats du siège relèvent dans leurs fonctions juridictionnelles de la loi et de leur conscience". Un véritable juge ne l'est, que s'il n'est en rien impliqué dans l'affaire qu'il va juger. Une meilleure compréhension de notre étude sur les garanties d'impartialité du juge dans le code de procédure pénale nous amènera nécessairement à jeter au préalable un pan de voile sur les notions d'impartialité, de juge, et de garantie.
2* Les dictionnaires Littré et Robert définissent l'impartialité par son contraire c'est-à-dire, l'attitude de celui qui prend partie pour ou contre une chose, un groupe, sans souci de justice ni de vérité. Selon un auteur5(*), l'impartialité est la qualité de celui qui apparaît ou juge une personne, une chose, une idée sans parti pris favorable ou défavorable. Un autre estime qu'est impartial, le magistrat qui parvient à considérer l'affaire d'une manière anonyme et à remettre en cause toute idée préconçue6(*). Le professeur MINKOA SHE quant à lui envisage, l'impartialité comme un état d'esprit. Selon cet éminent juriste, l'impartialité envisage le juge lui-même par rapport au litige dont il est saisi et aux parties qui y interviennent. Dès lors, le juge doit les départager en s'efforçant de tenir la balance au milieu sans la faire pencher d'un côté au détriment d'un autre7(*). La doctrine européenne et celle camerounaise en particulier semblent donner une définition subjective de la notion d'impartialité en se focalisant sous le prisme du juge appelé à rendre la décision et négligent quelque peu l'aspect procédural. Selon le vocabulaire juridique,8(*) l'impartialité est l'absence de parti pris, de préjugé, de préférence, d'idée préconçue (dans la sentence), c'est l'obligation pour le juge de n'avantager aucun plaideur et de ne jamais statuer au profit de l'un d'eux pour d'autres raisons que celles contenues dans le dossier. Au total, l'impartialité du juge est l'interdiction pour ce dernier, non seulement de statuer en faveur ou en défaveur de l'une des parties au procès à cause des relations d'amitié ou d'animosité qu'il entretiendrait avec elle, mais également l'obligation de maintenir l'esprit "vierge" en ne statuant pas, pour une même affaire mettant en cause les mêmes parties à différents stades de la procédure. Il ressort de là que l'impartialité doit être pour le juge ce que l'âme est pour un Etre humain, un juge partial étant comme une personne sans âme. L'impartialité est donc une attitude consubstantielle à la fonction de juge.
3* La notion de juge quant à elle n'est pas facile à définir. C'est ainsi que le lexique des termes juridiques l'appréhende comme un magistrat de l'ordre judiciaire, professionnel ou non9(*). Au sens restreint, le juge est un magistrat du siège doté d'un pouvoir juridictionnel c'est-à-dire investi du pouvoir de dire le droit et de trancher les litiges10(*). Ainsi défini, le juge est différent du parquetier. Dans ce sens, un arrêt de la cour de cassation a décidé que "la garantie du droit à un tribunal indépendant et impartial" (...) ne vise que les juges et non les représentants de l'accusation"11(*). Dès lors, il ne pèse sur le Ministère Public qu'un devoir d'objectivité. De même, il est partisan, c'est-à-dire qu'il est partie principale au procès. Ce qui fait que, non seulement, il n'a pas une obligation d'impartialité, mais en plus, il ne peut être récusé sous peine de violer des
règles du droit de la défense. Cependant, en matière civile où il est partie jointe au procès, l'on peut envisager l'hypothèse de son impartialité et de son éventuelle récusation. Selon un auteur, la récusation peut viser des personnes qui n'ont pas de la qualité de juge. C'est ainsi que la récusation du Ministère Public ne peut être envisagée que lorsqu'il est partie jointe.
Cependant, l'exercice successif ou cumulé des fonctions par le parquetier met à mal les règles de procédure pénale permettant de garantir une décision juste et impartiale12(*). Ce n'est que dans ce cadre (interdiction du cumul de fonctions) que nous envisagerons l'étude du Ministère Public.
Toutefois, les vertus requises au juge (impartialité, neutralité, objectivité) confineraient à l'héroïsme si elles n'avaient pas des règles de droit pour les soutenir. C'est-à-dire des garanties permettant d'aboutir à une décision impartiale.
4* La garantie quant à elle est une notion polysémique mais la définition qu'en donne le droit public nous permet de mieux comprendre son sens dans le cadre de notre étude. Ainsi, c'est l'ensemble des dispositions et procédés (...) qui tendent à empêcher, par des interdictions ou d'une manière générale par un système quelconque de limitation des pouvoirs, la violation des normes13(*).
5* Au total, on peut définir sommairement les garanties d'impartialité du juge comme l'ensemble des règles qui tendent à empêcher par des interdictions et des limitations au magistrat doté d'un pouvoir juridictionnel de rendre une décision in favorem ou in defavorem à une des parties au procès soit à cause des relations qu'ils entretiennent ou alors à cause de son intervention à plusieurs stades de la procédure.
6* Ainsi présentée, l'impartialité doit cependant être distinguée des notions voisines pour éviter toute confusion. Il en ainsi de l'indépendance, de la neutralit, de l'équité et de l'objectivité. En premier lieu, l'impartialité est différente de l'indépendance bien que d'une certaine manière, les deux notions se chevauchent, certains auteurs pensent qu'elles sont indissociables14(*). L'indépendance du juge procède de l'environnement qu'il faut aménager afin de lui permettre de bien faire son travail. Cela signifie qu'aucune pression ni injonction extérieure ne doit entraver l'exercice de ses fonctions. C'est son statut qui garantit son indépendance.
Toutefois ce statut est élaboré par d'autres pouvoirs qui ont tendance à jouer des interférences. Le juge est le créancier de son indépendance dans la mesure où il réclame qu'elle soit assurée alors qu'il est débiteur de son impartialité dans la mesure où l' on réclame de lui qu'il soit impartial. L'indépendance est donc un préalable à l'impartialité. Ainsi, un juge dépendant ne peut être impartial. Par contre, bien qu'étant indépendant, un juge peut être partial. En somme, l'indépendance se rapporte à un statut alors que l'impartialité est un état d'esprit15(*).
7* Ensuite, il convient de distinguer l'impartialité de la neutralité. Le juge est celui qui est placé en retrait des parties dans la marche de l'instance. La neutralité s'apparente donc beaucoup plus à la passivité16(*). Il en de même de l'objectivité qui est une disposition d'esprit de celui qui voit les choses comme elles sont, qui ne les déforme pas17(*). Contrairement à l'objectivité qui est un état d'esprit, l'impartialité est un impératif déontologique. La confusion fréquente entre les deux notions est due au fait que la partialité rend impossible l'objectivité.
8* Il faut enfin dissocier la notion d'impartialité de l'équité. On peut sommairement définir l'équité comme la disposition à faire part égale, à reconnaître impartialement le droit de chacun. 18(*) C'est la réalisation suprême de la justice allant parfois au-delà de ce que prévoit la loi, ce qui fait que la partialité peut parfois prendre le visage de l'équité19(*).
Ainsi présentée, l'étude sur les garanties d'impartialité du juge revêt un intérêt indéniable et pluridimensionnel. En effet, la préservation de la paix sociale passe entre autres par le règlement des différends devant une justice qui garantit à tous les citoyens un procès équitable, qui est l'une des garanties fondamentales du respect des droits de l'homme20(*).
Sur le plan scientifique, cette étude permet de dépeindre le fonctionnement du procès pénal à travers la répartition des fonctions de justice répressive dans l'optique de voir si le principe : "une personne pour une fonction "21(*) est respecté mais également de décrire les droits dont peut user le justiciable en cas de parti pris du juge.
Sur les plans socio-politiques, notre thème constitue un outil primordial non seulement pour les citoyens en général mais aussi les dirigeants en particulier. Car le juge, en tant que régulateur de la vie en société peut provoquer, s'il est partial, la généralisation de la justice privée ou populaire synonyme d'insécurité. Ainsi, une justice impartiale permet non seulement l'instauration d'un pacte de confiance entre les citoyens et la justice institutionnelle, mais également oeuvre à l'implantation de la crédibilité et du respect des pouvoirs publics. En général,
dans une société, la justice est l'un des moyens, si non, celui par excellence permettant à l'Etat d'asseoir sa légitimité22(*).
Sur le plan économique enfin, l'on a habitude de dire que "la richesse n'aime pas les bruits". Cet adage populaire est davantage pertinent lorsqu'en cas de litige, les investisseurs n'ont pas l'assurance que la justice en général et les juges en particulier feront preuve d'objectivité et ne se prononceront qu'en considération des éléments contenus dans le dossier. Par conséquent, le procès équitable en général et l'impartialité du juge en particulier confèrent aux investisseurs une sécurité juridique et judiciaire propice aux affaires.23(*)
9* Au-delà de ce qui précède, l'exigence d'un procès équitable est la préoccupation du législateur dans tout Etat démocratique et le Cameroun n'est pas en marge de cette entreprise. Pour ce faire, il a ratifié plusieurs conventions internationales qui consacrent le droit à un procès équitable comme l'une des manifestations de l'Etat de droit bien que le terme procès équitable ne figure pas expresis verbis dans ces différents textes, mais les notions qui y figurent contribuent à la définition du procès équitable. Ainsi en est-il de la charte africaine des droits de l'homme et des peuples24(*), du pacte international relatif aux droits civils et politiques de 196625(*), de la déclaration universelle des droits de l'homme de 194826(*).
Le législateur camerounais a adopté le code de procédure pénale en 2005 et cet instrument est entré en vigueur le 1er janvier 2007. Ce monument juridique révolutionnaire a consacré plusieurs principes directeurs du procès pénal ; de même, il a permis la symbiose de deux systèmes juridiques de common law et civiliste en vigueur dans notre pays depuis son accession à la souveraineté internationale27(*). Mais au-delà de tous ces atouts, une question demeure ; ces innovations vont-elles permettre aux citoyens en général , et aux justiciables en particulier de faire davantage confiance à leur justice , qui est souvent considérée à tort ou à raison comme une épée qui ne tranche qu'en faveur des personnes nanties?28(*).
Il se pose dès lors le problème de l'impact juridique de l'impartialité appliquée au juge. En d'autres termes, il s'agit de démonter la juridicité du principe d'impartialité du juge à l'épreuve du code de procédure pénale à travers un certain nombre de règles contraignantes qui sont autant de garanties ayant pour objet de minimiser le risque de partialité. Plus simplement, le législateur pénal camerounais à-t-il intégré dans son système procédural les différents principes directeurs du procès pénal et les instruments internationaux permettant de garantir l'impartialité du juge ?. Nous adopterons une démarche analytique et interprétative du droit positif camerounais plus précisément le code de procédure pénale. (CPP)
Plusieurs orientations peuvent nous permettre d'analyser notre thème. Nous avons d'abord voulu traiter les garanties d'impartialité et ensuite leurs limites. Mais cette démarche nous a semblé sommaire pour un travail de recherche approfondie. Ensuite, nous avons voulu analyser le problème dans les différentes phases de la procédure, ce qui nous aurait conduit à adopter une analyse tripartite c'est-à-dire l'enquête, l'instruction et le jugement. Enfin, nous avons opté pour une analyse objective de l'impartialité du juge (première partie) qui nous permettra d'étudier les différentes incapacités procédurales liées à l'interdiction du cumul de fonctions et une analyse des garanties d'impartialité subjectives (deuxième partie) qui nous conduira à l'étude des différents droits offerts aux justiciables en cas de parti pris avéré du juge. Bien que contestée par certains auteurs29(*), cette démarche, d'ailleurs consacrée par la Cour européenne de la sauvegarde des droits et libertés fondamentales, (CEDH) nous semble plus pertinente pour l'analyse du principe d'impartialité30(*) dans la mesure où elle permet d'analyser le principe d'impartialité non seulement sous le prisme du juge appelé à rendre la décision mais aussi tient compte des règles de procédure permettant d'aboutir à une décision impartiale31(*).
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