Les menaces internes à l’indépendance de la justice
Monsieur Alioune Badara FALL
Professeur à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV
L’indépendance de la justice
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Dans de telles conditions, autant dire que l’indépendance du juge, pour avoir un sens, a plus que jamais besoin de garanties organisées au sein de l’institution judiciaire qui en assurera la protection, après le Chef de l’Etat, garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire suivant par exemple le cas français.
Toutefois, le juge et la justice, dans les systèmes politiques d’aujourd’hui, ne sont plus perçus de la même façon qu’auparavant. Un phénomène apparu il y a quelques années dans les pays occidentaux démocratiques notamment – qui se développe de plus en plus et qui, dans un avenir plus ou moins proche, concernera certainement les pays en voie de démocratisation – vient favoriser de façon extraordinaire, l’ascension du juge dans la hiérarchie des pouvoirs, modifiant du coup la perception que l’on se faisait de lui et surtout de ses fonctions : la juridisation de la société. Elle se manifeste par l’appropriation par le Droit des domaines naguère accaparés par le politique pour ne pas dire par les hommes politiques.
Ce mouvement du « Politique » rattrapé par le « Droit » [1] va bouleverser les frontières matérielles et les sphères respectives d’intervention classique des membres de l’exécutif et de l’organe judiciaire. Ce phénomène est dû à la transformation de la société, devenue exigeante en matière de gestion des affaires publiques et sur les questions touchant aux droits de l’homme. Le juge apparait dorénavant, et de plus en plus, comme à la fois l’arbitre entre les pouvoirs publics (le juge constitutionnel par exemple) et l’autorité de sanction (magistrat ou juge administratif) à leur encontre en cas de manquement aux « devoirs » et aux « obligations » dans le cadre de leurs activités d’intérêt général, et sous le regard attentif des citoyens constamment informés par les médias. Le juge ne se limite plus à l’exécution de loi, ni ne se présente comme un simple gardien de la liberté individuelle ; il semble devenir cette autorité que les médias mettent à la une à chaque fois qu’une affaire le transforme en spécialiste de la médecine (problème de l’euthanasie) d’histoire (affaire Papon), des finances (affaire Elf) ou d’agronomie (les OGM et le procès Bové) etc. Autant de domaines de la vie quotidienne presque complètement étrangers au juge dans le passé, mais qui aujourd’hui témoignent de la hardiesse et de la témérité du magistrat qui n’hésite pas à mettre en examen n’importe quelle personnalité dans n’importe quel domaine, pour exercer la justice telle que définie par la loi.
Apparait ainsi dans nos démocraties, un juge quelque peu adulé et légitimé, ce qui n’est pas sans entraîner des complications dans la hiérarchie classique entre ces pouvoirs. La première des interrogations que suscite cette tendance du juge à se « dresser » contre les autres organes concerne sa propre légitimité par rapport à la leur, dès lors qu’il s’érige, presque naturellement, en une sorte de « gouvernement des juges », ce fait tant redouté en France…Autrement dit, l’on est en droit avec la doctrine [2] , de se poser la question de savoir s’il ne faut pas identifier cette « légitimité plurielle » du juge que cette même doctrine a cru déceler dans nos sociétés modernes à partir du moment où le suffrage populaire ne se présente plus comme la seule légitimité [3]. Nous n’insisterons pas davantage sur ce réel phénomène qui certes mériterait des analyses plus approfondies, sauf à dire qu’il ne nous parait plus judicieux, ni réaliste de traiter aujourd’hui des questions liées à l’indépendance du juge et de la justice sans les replacer dans ce nouveau contexte de juridisation du politique, dans le cadre plus général de la démocratisation des systèmes politiques.
Cela nous amène à dire encore une fois, que les menaces internes à l’indépendance de la justice ne sont pas toujours et nécessairement à l’intérieur de l’appareil judiciaire ; elles peuvent également provenir de l’extérieur de manière plus insidieuse. Dans tous les cas, elles existent et semblent prendre de l’ampleur du fait même de l’ascension du juge et, parallèlement, des crises que connaissent les autres pouvoirs constitués, en particulier le pouvoir exécutif. Nous tenterons de les identifier dans l’organisation (I) et dans le fonctionnement (II) de l’appareil judiciaire.
I - Les menaces internes portées à l’indépendance du juge dans l’organisation de la justice
Les premières menaces internes qui risquent de porter atteinte à l’indépendance du juge sont celles qui proviendraient du statut qui organise sa carrière. Ce statut est organisé de manière unilatérale par les textes de loi dans tous les pays où la profession de juger est institutionnalisée. Il s’agit donc d’un domaine où la négociation entre le futur magistrat et l’administration qui fixe les conditions de recrutement n’est pas prévue et cela n’est que pure logique. On imagine mal qu’un magistrat (et de manière plus générale un fonctionnaire) vienne « discuter » des conditions d’exercice de sa fonction de juger avec les pouvoirs publics avant d’exercer sa profession. Comme pour les fonctionnaires, le recrutement constitue une « réquisition », et même si celle-ci est « consentie » (le candidat se présente au concours en toute connaissance de cause), elle transforme les agents de l’Etat en « agents du gouvernement » [4]. Mais ce caractère unilatéral du recrutement ne veut pas dire autoritarisme : les candidats à la fonction de juger dans un Etat démocratique savent qu’une fois recrutés, ils bénéficieront a priori de garanties suffisantes pour exercer leur profession en toute indépendance. En effet, celle-ci est préservée grâce à leur statut contenant des garanties structurelles liées à l’organisation de l’appareil judiciaire et des garanties formelles d’ordre matériel qui leur permettent d’exercer leur profession à l’abri de toute dépendance. Les principes de séparation des pouvoirs et d’indépendance du juge veulent que celui-ci ne soit soumis à aucune pression, ni contrainte ou influence de quelque organe ou individu que ce soit. Il apparait toutefois que le juge est souvent mis en « sarcophage » par ce statut et du coup, son indépendance théoriquement affirmée, s’en trouve bien amoindrie. L’importance de ces atteintes aux garanties statutaires accordées au juge varie bien évidemment selon les pays.
Elles peuvent provenir de l’organisation hiérarchique de l’appareil judiciaire, mais aussi des règles statutaires proprement dites.
A – Les pesanteurs hiérarchiques
Il peut paraitre curieux et même paradoxal d’évoquer la notion de hiérarchie en matière de justice dès lors qu’elle implique une idée de subordination qu’il est difficile de concevoir dans ce domaine. Il faut cependant accepter l’idée que la justice, en tant que service public, est également concernée par la hiérarchie. L’organisation hiérarchique permet non seulement de structurer le corps judiciaire, mais elle protège le citoyen contre l’arbitraire grâce au recours qu’il pourra éventuellement exercer lorsqu’il fait l’objet d’une décision de justice qui ne lui donne pas satisfaction
Ce principe de hiérarchie touche à la fois les magistrats (qui forment ainsi un corps hiérarchisé) et les juridictions ; il permet de situer les responsabilités et donne une certaine cohésion au corps judiciaire. En matière de justice toutefois, cette hiérarchie est particulière et n’entraîne pas une dépendance du juge à l’égard de ses supérieurs ou de sa juridiction lorsqu’il s’agit des juges du siège. Tel n’est pas le cas pour les magistrats du parquet qui obéissent à d’autres règles à ce sujet.
La hiérarchie au sein des juridictions ne soulève pas de problèmes particuliers. Le principe du double degré de juridiction par exemple en France, est destiné à rendre une meilleure justice en permettant au requérant qui n’est pas satisfait de la décision rendue par la première juridiction, de saisir la juridiction hiérarchiquement supérieure. Et si celle-ci devait rendre une décision contraire, cela ne constituerait pas une atteinte à l’autonomie de la décision de la juridiction inférieure dès lors que chaque juridiction est libre de statuer comme elle l’entend et quelle que soit sa place dans la hiérarchie.
En revanche, la hiérarchie entre les personnes crée des rapports plus complexes et soulève plus de questions quant à l’indépendance du magistrat. D’abord, ce pouvoir hiérarchique ne concerne nullement la prise de décision ; celle-ci relève de la seule conscience de chaque juge qui n’a de compte à rendre ni à son chef de juridiction, ni à qui ce soit. Cela dit, les chefs de juridictions sont investis de pouvoirs administratifs qui peuvent constituer des menaces à l’indépendance du juge s’ils ne sont pas limités aux nécessités du service. Il leur revient en effet le pouvoir de réglementer l’organisation des audiences, de pourvoir aux affectations et d’évaluer l’activité professionnelle de magistrats placés sous leur autorité (élément important pour leur avancement). Même si des garanties entourent ces pouvoirs pour éviter tout arbitraire de leur part, le juge n’est pas à l’abri de pressions ou de sanctions de la part de ses supérieurs hiérarchiques, si les rapports qui les lient dans le service ne sont pas d’une parfaite sérénité.
La situation est toute différente pour les magistrats du parquet qui sont dans un véritable lien de dépendance vis-à-vis de leurs autorités hiérarchiques, même dans leur prise de décision, à l’opposé des magistrats du siège [5] . Ainsi en France par exemple, « les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du garde des sceaux, ministre de la justice » [6] . Cette disposition a été généralement reprise par la majorité des pays africains et a entraîné de nombreuses controverses et critiques. Elle reste en effet au cœur des préoccupations actuelles sur l’indépendance de la justice, certains souhaitant une totale rupture entre le parquet et le gouvernement. L’opinion publique ne comprend pas toujours cette possibilité laissée au ministre de la justice de donner des instructions à un « magistrat », notamment lorsque des personnalités politiques sont mêlées à des« affaires » révélées au grand public par les médias. Une suspicion est vite née dans l’opinion publique lorsque le ministre, évoquant le principe de l’opportunité des poursuites, demande au parquet des « classements sans suite » de ces affaires.
A l’observation des textes relatifs au statut du juge dans la quasi-totalité des pays étudiés, il apparait que les magistrats n’échappent pas totalement à l’emprise directe ou indirecte des autorités politiques. Presque partout, le juge est sous le contrôle d’un Conseil National de la Magistrature, présidé par le Chef de l’Etat. La fonction principale de ce Conseil est de garantir le respect des règles de fonctionnement du service public de la justice et la protection des magistrats contre les éventuelles pressions du pouvoir politique. C’est dans cet esprit que l’indépendance des magistrats et leur inamovibilité constituent des principes qui leur ont été reconnus comme une garantie pour une bonne administration de la justice. Pourtant, les observateurs sont unanimes pour constater l’existence de dysfonctionnements au sein de cet important organe qui ne cesse de susciter débats et projets de réforme.
1- Le Conseil Supérieur de la Magistrature et l’indépendance du juge
Dans beaucoup de pays ayant en commun l’usage de la langue française, existe un Conseil Supérieur de la Magistrature qui vient assister le Président de la République garant de l’indépendance de la justice [7]. Ces Conseils n’ont pas toujours fait l’objet de commentaires élogieux. En France, de nombreux conflits sont intervenus au fil des ans entre le Conseil et le gouvernement, notamment en matière de notation et d’avancement des magistrats. L’ascension du juge depuis quelques années par ce phénomène de juridicisation n’a pas aidé à calmer les esprits. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre les propos du Garde des Sceaux Dominique Perben qui avait fait comprendre lors de la présentation de ses orientations politiques, qu’il souhaiterait que la Chancellerie puisse avoir la possibilité de contourner les avis du Conseil Supérieur de la Magistrature en ce qui concerne les sanctions disciplinaires des magistrats du parquet. Ce Conseil appelle aujourd’hui d’autres réformes qui ne sauraient certainement tarder.
En Afrique, les magistrats ne cessent de dénoncer les dysfonctionnements, tant au sujet des nominations qu’au niveau des sanctions prises à leur encontre dans le cadre de procédures disciplinaires. La notation, les nominations et autres promotions, dans bon nombre de ces pays, sont loin d’être transparentes et ne semblent obéir à aucun critère précis et objectif. Dans certains pays africains, des textes ont expressément organisé des moyens destinés à contourner ce principe d’inamovibilité (Sénégal, Burkina-Faso, Guinée…). Le constat fait dans le passé concernant l’emprise du Conseil National de la Magistrature reste le même et les magistrats semblent être encore sous le contrôle de cet organe, hérité du système français, qui fait l’objet de beaucoup de critiques et de réticences [8].
Les divers Conseils supérieurs de la Magistrature sont généralement suspectés de connivence avec le pouvoir en place et ne disposent, le plus souvent, d’aucune crédibilité, aussi bien au sein de la magistrature elle-même qu’auprès des populations de plus en plus attentives aux décisions rendues par la justice de leurs pays. Dans la majorité des Etats, le Conseil de la magistrature dont la mission essentielle et première est d’assurer le bon fonctionnement du service public de la justice et la garantie de l’indépendance des magistrats, est présidé par le Président de la République. Dans certains pays, le Conseil est composé de membres de droit (au Sénégal par exemple, il s’agit, selon l’article 2 de la loi organique n° 92-26 du 30 mai 1992, du Président du Conseil d’Etat, du Premier Président de la Cour de Cassation et du Procureur Général près la Cour de cassation, des Premiers Présidents des Cours d’Appel et des Procureurs généraux de ces Cours) et des membres élus (au nombre de six au Sénégal : trois titulaires et trois suppléants élus par leurs pairs parmi les magistrats, aux termes de l’article 3 de la même loi organique), alors que dans d’autres pays comme la Guinée, le ministre de la justice, Vice-président du conseil, ainsi que les cinq autres membres sont nommés par le Président de la République.
Les magistrats africains se retrouvent ainsi dans une situation de dépendance vis-à-vis de cette Haute autorité. Même en l’absence du Président de la République ou du ministre de la justice en tant que Vice-président, le Conseil de la Magistrature semble garder toute son influence sur le corps judiciaire. Il n’est pas exclu qu’il en soit de même dans les pays où cet organe a fait l’objet de réformes destinées probablement à atténuer la présence excessive des plus hautes autorités de l’Etat dans ce Conseil. En effet, le Conseil de la Magistrature au Togo est désormais présidé par le Président de la Cour suprême ; au Mali, c’est aussi le Président de la Cour suprême qui préside le Conseil lorsque la poursuite concerne un magistrat du siège, et par le Procureur général près la Cour suprême s’il s’agit d’une incrimination dirigée contre un magistrat du parquet. Au Bénin, le Président de la Cour suprême est venu remplacer le ministre Garde des sceaux au poste de Vice-président.
Ces modifications sont mineures et ne semblent pas affecter de manière décisive l’influence directe ou indirecte du pouvoir politique sur le fonctionnement de la justice, l’indépendance ou la carrière des magistrats à travers le Conseil de la magistrature. Il ne serait pas exagéré de penser que la nomination ou le recrutement de ces magistrats reste sous le contrôle des hommes politiques qui voudraient s’assurer avant tout, que les hommes installés à ces postes leur seraient acquis ou ne manifesteraient aucune hostilité à leur égard. A ce sujet, la transparence n’est pas de rigueur dans les juridictions africaines à propos de la notation, des nominations ou promotions des magistrats. Au Burkina Faso, la doctrine a fait remarquer que le Conseil National de la Magistrature a longtemps été exclu de l’examen des questions concernant l’indépendance ou l’inamovibilité des magistrats. Des réformes sont en cours dans ce pays, mais il est peu probable que le fonctionnement de cet organe fasse l’objet de modifications susceptibles d’introduire suffisamment de transparence dans la gestion de la carrière des magistrats.
2- Les restrictions au principe d’inamovibilité
En Afrique, la réalité que traduisent les Conseils de magistrature dans leur composition comme dans leur fonctionnement, ne favorise pas les principes d’indépendance et d’inamovibilité solennellement inscrits dans les textes. Cela est d’autant plus paradoxal que les atteintes à ces principes ont été aménagées par les textes juridiques eux-mêmes [9]. Ainsi au Sénégal (mais c’est le cas dans la majorité de ces pays), le principe d’inamovibilité est mis en échec par l’article 5 de la loi organique portant statut des magistrats [10]. Il permet à l’exécutif d’arguer des « nécessités du service » pour neutraliser les juges opposés au dictat du pouvoir politique. Ainsi, il peut procéder, avec l’accord du Conseil supérieur de la Magistrature, à des déplacements de magistrats sans avoir besoin de solliciter leur accord, et surtout sans que cela ne soit objectivement commandé par les impératifs du service. Cette entorse au principe d’inamovibilité est par ailleurs doublée d’une autre : l’article 68, alinéa 2 de la loi organique sur le statut des magistrats permet d’assurer l’intérim si le nombre de magistrats disponibles dans la juridiction est insuffisant.
De telles dispositions ne sont pas propres au seul cas sénégalais. On les retrouve également en Mauritanie par exemple, au Bénin ou encore au Burkina Faso pour ne citer que ces quelques exemples. Au Burundi, le Conseil Supérieur de la Magistrature est resté longtemps inféodé au pouvoir politique en place. Resté pratiquement inactif pendant une très longue période, il ne s’est semble-t-il réuni en assemblée qu’en novembre 2004 pour dresser le bilan du fonctionnement de la justice dans le pays.
Ces atteintes aux principes d’indépendance et d’inamovibilité sont régulièrement dénoncées par les magistrats, tant au niveau des nominations qu’au sujet des sanctions prises à l’encontre des juges, notamment dans le cadre des procédures disciplinaires. La déclaration et le plan d’action du Caire adoptés en 1995 incitent pourtant les Etats francophones à éliminer « toute entrave à l’indépendance des magistrats, premiers garants d’une Justice accessible et efficace, en leur assurant les moyens statutaires et matériels nécessaires à l’exercice de leurs fonctions… ». Le Conseil d’Etat sénégalais est allé dans ce sens en annulant pour illégalité (méconnaissance du principe d’inamovibilité des magistrats) deux décrets présidentiels qui avaient procédé à des affectations/sanctions de magistrats à leur insu. La Cour constitutionnelle béninoise a également affirmé avec force la nécessité de respecter le principe d’indépendance de la justice dans des affaires où le pouvoir politique tentait de contenir l’appareil judiciaire. La Cour précisa en effet que « le respect du principe de l’inamovibilité exige que le magistrat ait été individuellement consulté à la fois sur les nouvelles fonctions qui lui sont proposées et les lieux précis où il est appelé à les exercer…Les éléments de cette consultation constituent les conditions de la procédure minimale exigée pour la garantie de l’indépendance des magistrats du siège » [11]. Le Conseil constitutionnel sénégalais n’avait pas hésité auparavant à annuler une loi organique pour inconstitutionnalité dès lors qu’elle violait entre autres, le pouvoir d’indépendance du pouvoir judiciaire [12].
Ces décisions jurisprudentielles ne sont pas récentes, mais elles ont fait dire à la doctrine africaine que l’on est en train d’assister à la « résurrection de la justice constitutionnelle » ; elles ne semblent pas remises en cause aujourd’hui, mais elles sont assez isolées dans les pays francophones d’Afrique y compris ces dernières années. Aussi la doctrine invite-t-elle de tous ses vœux le législateur africain à procéder à des réformes textuelles substantielles pour que les magistrats soient à l’abri de l’influence de l’exécutif. Ces réformes s’imposent, d’autant plus qu’à cette violation chronique du principe d’indépendance de la justice et de celui de la séparation des pouvoirs, s’ajoute une ingérence aussi néfaste que réelle du pouvoir politique dans l’exercice de la justice et largement constatée et dénoncée.
Le système français n’est pas non plus à l’abri de telles atteintes au principe d’inamovibilité. Certes le magistrat y est aussi protégé – certainement mieux que dans nombre de pays -, contre les déplacements, les suspensions, les révocations arbitraires [13], mais ces dispositions souffrent aussi de quelques atténuations compte tenu des exigences du service public. D’abord, comme tout individu, les magistrats peuvent être victimes de maladie, et comme tout travailleur, ils ont droit à des congés et les femmes, à des congés de maternité. Ces interruptions de travail ont amené le législateur à adopter une loi organique pour organiser le remplacement de ces juges momentanément empêchés et le système a été progressivement élargi par les lois organiques du 19 janvier 1995 et 30 mai 2001. A cela, il faut ajouter la possibilité discrétionnaire des chefs de Cour d’appel de procéder à un système de « délégation de magistrat » sur un autre poste [14].
Autant d’hypothèses qui peuvent porter atteinte au principe d’inamovibilité du juge français dès lors qu’il s’agit de moyens à la disposition du gouvernement qui peut les utiliser dans un esprit différent de celui pour lequel ils ont été envisagés, ce qui bien évidemment atténuerait « illégalement » la portée de l’indépendance du magistrat. Pour pallier ce risque, la doctrine a proposé l’adoption d’un principe d’inamovibilité « temporaire » où une durée de la fonction de juge à tel ou tel poste est déterminée à l’avance. Si à la date d’entrée de cette fonction, le magistrat concerné sait qu’il ne peut dépasser cette durée, il n’y aura pas d’atteinte à son indépendance. La loi organique du 30 mai 2001 est allée dans ce sens en limitant à sept ans l’exercice des fonctions de président ou de procureur de la République dans un même tribunal.
3- Recrutement et carrière du magistrat
Le magistrat, comme tout agent de l’Etat, est soucieux de poursuivre une bonne carrière dans sa profession sans se préoccuper d’autres questions que celles liées à la nature et à l’exercice de son activité. Parler de menaces au sujet de la carrière du juge paraitrait contradictoire avec l’idée d’indépendance du magistrat affirmée directement ou indirectement par les textes des pays étudiés. Pourtant, un juge qui ferait preuve d’une très grande indépendance aux yeux de son chef hiérarchique, ou à l’égard des autorités exécutives ou politiques en place, pourrait voir sa carrière menacée et son indépendance bien amoindrie. Les magistrats sont plus ou moins attentifs à la perspective d’un avancement dans leur carrière avec les garanties dont ils bénéficient à cet effet et sont donc bien conscients qu’ils ne sont pas à l’abri de sanctions. Cette menace sur leur indépendance et leur intégrité est présente tout au long de leur carrière [15], du recrutement à la cessation de leur fonction, qu’il s’agisse des magistrats du siège, du parquet ou des juges administratifs lorsqu’ils existent.
Le recrutement en lui-même ne pose pas de problèmes particuliers en soi, s’agissant des atteintes à l’indépendance du juge. Toutefois, il faut distinguer les situations selon le mode de recrutement qui peut se faire soit par voie de concours [16], soit sur titre [17] ou les deux à la fois [18]. Au stade de l’intégration dans la carrière judiciaire par voie de concours, les risques d’atteinte à l’indépendance du juge n’existent pas ou ne sont pas facilement identifiables. Dans tous les cas, les conditions du concours sont connues du public et on verrait mal un pouvoir politique afficher dès cette première phase son intention de soumettre les futurs magistrats à sa domination.
En revanche, le rejet des candidatures pour des raisons autres que celles liées au service public – définies et encadrées par la loi – et destiné à écarter des candidats pour leur loyauté, leur dévouement ou pour leur opposition - notamment idéologique - au régime en place constituerait à coup sûr, ce que nous qualifierons d’atteinte anticipée à l’indépendance du juge. Ce risque existe partout, plus particulièrement dans les pays où le recrutement se fait sur titre. Il est encore aujourd’hui plus plausible dans les pays d’Europe de l’Est récemment séduits par le modèle occidental.
En effet, les récentes études sur l’indépendance et le recrutement des magistrats dans ces pays de l’Est, quel que soit le mode de leur désignation ou de nomination, ne sont guère optimistes quant à la disparition rapide de telles pratiques. L’une de ces études a porté plus particulièrement sur les réformes de la justice dans les pays de l’Est membres (ou associés) de la Francophonie [19] . L’auteur y décrit une situation très embryonnaire et encore balbutiante en matière d’organisation judiciaire dans ces pays. Une situation qui résulte du fait que ces Etats postcommunistes ont hérité du système judiciaire soviétique, et si les réformes entamées aujourd’hui portent à la fois sur les structures et la formation du personnel de l’appareil judiciaire, le poids de la culture juridique antérieure est encore bien présent dans l’organisation et le fonctionnement de la justice. On le sait, à l’époque communiste, le système judiciaire était complètement dominé et contrôlé par le pouvoir politique, c’est-à-dire par le parti communiste. L’étude précitée de Monsieur Frison-Roche a également montré que l’ensemble des acteurs politiques de la transition, qu’il s’agisse des communistes ou de leurs adversaires, avait la crainte que les futures élections ou alternances politiques « amènent au pouvoir un parti hégémonique (de droite ou de gauche) qui profiterait de ce lien de dépendance pour (re)utiliser le système judiciaire à l’encontre de ses adversaires politiques ». Aussi, ont-ils tous créé - pour pallier ce risque – un organe spécialisé auquel il a été confié la gestion du « pouvoir judiciaire » - lequel devait être indépendant des autres pouvoirs, plus particulièrement du pouvoir politique en place – et l’organisation « du bon fonctionnement de la justice en dehors de toute ingérence d’où qu’elle vienne » [20]. Les nominations de magistrats dans certains de ces pays de l’Europe de l’Est, membres ou associés à la Francophonie, n’étaient pas, semble-t-il, d’une grande transparence. L’Union européenne – ayant certainement eu des doutes sur l’objectivité de certaines nominations - a exigé l’organisation de concours préalables à toute nomination de magistrats, ce qui a amené certains de ces Etats à changer d’attitude.
Certes, la question de l’indépendance dans ces pays rencontre les mêmes problèmes qu’ailleurs. Seulement, l’introduction récente d’un nouvel idéal de justice et les réformes judiciaires qui en ont découlé – avec notamment l’apparition de juridictions administratives dans quelques uns d’entre eux en vue de contrôler la légalité de l’action administrative et celle des actes administratifs [21] - donnent à cette question une dimension toute particulière dans les systèmes postes-communistes encore marqués par les séquelles d’une culture et d’une pratique communiste durant l’ère soviétique. L’indépendance sera difficile à conquérir car les résistances persistent et semblent y être encore plus fortes qu’ailleurs [22]. A titre d’exemple, en Pologne sous l’ancien régime, l’indépendance des juges n’était pas organisée en dehors de « la protection du régime de la République de la Pologne ». Ainsi, il n’y avait pas à l’époque d’incompatibilité entre la fonction de juge et le mandat parlementaire, raison pour laquelle, le président de la Haute Cour administrative du pays avait conservé son mandat parlementaire et le poste de président de la Commission des lois de la Diète jusqu’en 1981, date à laquelle il est devenu ministre de la justice. Doit-on s’attendre à ce que cette conception de gouverner disparaisse du jour au lendemain ? La volonté affichée par les nouveaux gouvernants de modifier le fonctionnement institutionnel de ces pays nous permet d’être optimiste, mais les résistances ne manqueront pas de se manifester.
Ceux sont donc des Etats qui vivent encore une période de transition démocratique [23] , où règne particulièrement une certaine incertitude, avec des compromis politiques qui ne permettent pas pour l’heure, d’aboutir à de véritables réformes. Si des organes spécialisés ont été créés dans tous ces Etats pour s’occuper du pouvoir judiciaire et s’ils ont tous été dotés de pouvoirs importants, les principes proclamés tels que la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice, n’ont pas fait l’objet d’une application exemplaire [24]. Dans un tel contexte, on imagine aisément que si le statut des magistrats est organisé dans toutes les Constitutions de ces pays, dans la pratique les principes d’indépendance et d’inamovibilité n’ont pas toujours l’effectivité espérée. La carrière des magistrats est gérée par les Conseils de chacun de ces pays qui se chargent de proposer au président de la République ou au parlement la nomination des juges.
Bien évidemment, comme partout ailleurs, l’indépendance de la justice est une quête permanente dont le processus peut être plus ou moins long selon le cas. On ne doute pas que ces pays – à qui l’Union européenne apporte une aide matérielle et financière, ainsi qu’un appui d’experts pour la réalisation de telles réformes – pourront, progressivement mais sûrement, s’assurer que la séparation des pouvoirs et l’indépendance des magistrats et de la justice seront effectives.
Les quelques décisions jurisprudentielles dont nous disposons concernant ces membres (ou associés) de la francophonie des pays de l’Est [25], semblent aller dans ce sens. En Albanie [26] , en Bulgarie [27], en Macédoine [28] et en Roumanie [29], une jurisprudence encourageante montre que des mutations sont en train de se produire dans ces pays quant à la protection des principes de séparation des pouvoirs et d’indépendance de la justice.
Cela dit et pour revenir sur l’ensemble des pays francophones, les règles liées à l’avancement ont été fixées par les textes dans tous les pays ayant en commun l’usage de la langue française, mais les situations sont extrêmement variées. Dans la pratique, les difficultés apparaissent et montrent que le juge n’a pas toutes les garanties nécessaires à sa fonction et à son indépendance. La situation la plus révélatrice de cette perte d’indépendance est celle décrite en Haïti [30]. Au Sénégal, la doctrine n’a pas non plus manqué de formuler des réserves sur les garanties accordées au juge ; le fonctionnement du Conseil Supérieur de la Magistrature y est fort critiqué par les magistrats en matière de nomination et de promotion « qui ne se feraient pas selon des critères objectifs » [31]. Mais c’est surtout la notation des magistrats qui fait l’objet de plus de suspicion parce qu’elle ne se faisait pas, semble-t-il, « dans les meilleures conditions ». En France, des interrogations ont été également émises à ce sujet.
Le terme même de « notation » qui cache mal un caractère trop discrétionnaire et le risque d’un arbitraire de la part de l’autorité hiérarchique, a amené le législateur français à le remplacer par « l’évaluation de l’activité professionnelle de chaque magistrat » [32]. C’est pour les mêmes raisons, toujours en France, qu’on a remanié ce système né en 1906 par un décret du 7 juin 1993 pour introduire une plus grande transparence [33].
Concernant la cessation des fonctions, l’indépendance des juges semble généralement protégée. Elle est fonction de l’âge de la retraite, mais le juge peut être révoqué pour insuffisance ou faute professionnelle. La situation en Haïti à ce sujet devrait être exceptionnelle [34].
II - LES ATTEINTES INTERNES PORTEES A L’INDEPENDANCE DU JUGE DANS LE FONCTIONNEMENT DE L’APPAREIL JUDICIAIRE
La première limite interne à l’indépendance du juge et des juridictions que l’on ne souligne pas assez souvent, mais qui est tout aussi réelle et importante que les autres, est d’ordre financier et matériel. S’y ajoutent d’autres facteurs qui matériellement proviennent de l’extérieur de l’appareil judiciaire, mais qui de manière latente et insidieuse, peuvent être en définitive perçus comme des menaces internes.
A. CRISE FINANCIERE ET INDEPENDANCE DU JUGE
En ce qui concerne d’abord les moyens accordés aux juridictions, les études généralement faites sur leurs conditions matérielles et financières, notamment dans les pays africains, ont montré des insuffisances notoires pouvant affecter l’exercice d’une « bonne justice » et au-delà, entraîner une incapacité du juge à bien mener sa tâche [35]. Une perte de crédibilité auprès des justiciables et de son indépendance vis-à-vis des autres pouvoirs de l’Etat peut en résulter.
Il a été noté, lors des rencontres précédentes entre les pays francophones sur les questions liées à la justice, que toutes les Cours constitutionnelles ont établi un lien direct entre indépendance et autonomie budgétaire. Or, seules quelques juridictions parmi elles étaient globalement satisfaites des conditions financières et matérielles dans lesquelles elles se trouvaient. Ce sont les Cours qui bénéficient d’une véritable autonomie budgétaire [36] . Une situation dans laquelle ne se trouve pas la majorité des autres Cours dont le budget est dans la plupart des cas fonction des disponibilités financières de l’Etat ; parfois il est le résultat d’une difficile négociation entre le gouvernement et l’Assemblée nationale avant son adoption. Dans certains pays, le budget alloué à la justice est le plus faible parmi les budgets de l’Etat [37]. On peut imaginer la situation des juridictions inférieures et surtout celles éloignées de la capitale du pays et des grandes villes.
En quoi la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice peuvent-elles avoir un lien quelconque avec les conditions matérielles et financières de la justice si ce n’est qu’aucune juridiction, ni aucun magistrat, ne pourrait appliquer sereinement la justice s’il ne dispose pas d’un minimum de moyens ? Force est de reconnaitre que dans tous les Etats francophones d’Afrique, ces moyens manquent de manière cruciale. Le budget alloué au ministère de la justice ne dépasse généralement pas 1% du budget national. Il s’ensuit un manque considérable de moyens matériels : les bureaux sont insuffisants, exigus et vétustes, les machines à écrire ne sont guère en nombre suffisant pour permettre la rédaction rapide des jugements et autres actes liés aux décisions de justice, ce qui contribue largement à la lenteur chronique de la justice et les conséquences qui s’ensuivent quant à l’exigence d’un « délai raisonnable » pour les jugements.
Ensuite, c’est la situation financière et matérielle même des magistrats qui ne leur épargne pas d’éventuelles pressions. Ils reçoivent une rémunération souvent très faible pour la fonction qu’ils occupent, même si l’on note, dans certains pays, un effort des pouvoirs publics pour améliorer leur situation [38]. La faible rémunération des magistrats en Afrique les met dans une situation de précarité telle qu’ils jouissent de moins en moins de la « notabilité » auprès de ceux qui les saisiraient éventuellement pour rendre la justice ou de ceux qu’ils auraient condamnés. Peut-on vraiment concevoir qu’un juge vienne partager le même autobus (n’ayant à sa disposition aucun autre moyen de transport) avec un prévenu qu’il vient de condamner, même d’une peine légère ? La situation est pourtant courante dans certains pays d’Afrique. En dehors des risques d’agression, un tel juge bénéficiera difficilement de toute l’autorité nécessaire dont il aura besoin pour exercer en toute indépendance sa profession. A ces problèmes, s’ajoutent un manque de personnel et un déficit en matière de formation, d’information et de documentation.
Lorsque nous avions traité de la question hiérarchique dans les rapports liant le juge à ses supérieurs, nous avions rappelé que la décision que celui-ci est appelé à prendre à propos d’un litige qu’il a la charge de trancher ne peut relever que de sa seule conscience ; il n’a de compte à rendre ni à son chef de juridiction, ni à qui que ce soit. Tout ceci pour dire que le bon fonctionnement de la justice, et par conséquent l’administration d’une « bonne justice », dépendent dans une très large mesure, de l’intégrité du juge lui-même face à ses obligations statutaires et à l’intérêt du service. De là, on estime qu’il peut dès lors constituer, ou un élément interne de crédibilité de la justice dans son pays si son intégrité professionnelle n’est pas mise en cause, ou une menace interne à l’indépendance de sa juridiction – et donc de sa propre indépendance - dans le cas contraire. Il arrive que cette deuxième hypothèse soit celle que connaissent certaines juridictions. Les raisons qui ont amené cette situation dans certains pays sont multiples et peuvent avoir des origines diverses. Nous en avions mentionné certaines dans une étude antérieure [39] . Il n’est toutefois pas inutile d’en reprendre quelques unes dans le cadre de cette étude car elles restent encore d’actualité.
1 - Le juge et son milieu
L’indépendance du juge dépend de plusieurs facteurs. Sa crédibilité en est un. Nul doute qu’en Afrique, nombreux sont les magistrats qui font preuve journellement d’une compétence et d’un comportement exemplaire dans l’exercice de leur fonction comme à l’extérieur de leur service. Ce n’est pas toujours le cas [40] . Conscients des garanties et des larges protections dont ils font l’objet, certains magistrats se sont donnés des libertés incompatibles avec les exigences de leur fonction. Là c’est un juge qui, sans raison apparente, n’a pas traité une affaire sur une durée de deux ans alors qu’elle avait été déjà mise en délibéré, obligeant le médiateur de la République – qui a qualifié ce fait de déni de justice - à intervenir pour permettre aux requérants d’obtenir une décision de justice (Sénégal). Ailleurs, c’est le laxisme d’un juge qui a été dénoncé à l’occasion d’une ordonnance de référé qui a duré du mois d’août au mois d’avril de l’année suivante (Côte-d’Ivoire) ou la méconnaissance du droit à être jugé dans un délai raisonnable dans une affaire où le requérant a attendu 14 ans avant d’être jugé (Bénin), voire 25 ans (Burkina-Faso) [41] .
Sans confondre vie privée et activité professionnelle des juges, la réputation de ceux qui ont la charge de rendre la justice tient encore une très grande place dans l’opinion publique. Certains comportements liés à la moralité des magistrats ont été décriés (alcoolisme, femmes en instance de divorce et venues au tribunal à cet effet). Au niveau interne des juridictions, de telles données fragilisent le magistrat qui « prêtent le flanc » à ses supérieurs et certainement aussi aux autorités exécutives, d’où des risques de perte d’indépendance vis-à-vis d’eux.
Ces premières menaces qui relèvent même de l’éthique du magistrat, restent informelles et rares ; d’autres en revanche sont plus sournoises et plus redoutables.
2- Les menaces intrinsèques (inhérentes ?) à la fonction de juger
Elles touchent au fonctionnement de la justice, sont de plusieurs ordres et sont directement ou indirectement les conséquences d’une certaine politisation de la justice dans certains pays d’Afrique
C’est d’abord des prises de position de magistrats incompatibles – et surtout incompréhensibles – avec la fonction de juger au sens moderne et démocratique du terme. Rappelons qu’il y a à peine quelques années en République Démocratique du Congo, c’est une véritable soumission du juge aux directives du parti qui avait été organisée par les gouvernants [42] qui n’hésitaient pas à prendre des sanctions à l’encontre des magistrats récalcitrants. Aujourd’hui, la justice semble y présenter un aspect plus conforme aux principes démocratiques. Dans d’autres pays, cette politisation de la justice est plus subtile. Elle se manifeste à travers des craintes - souvent justifiées - éprouvées par certains magistrats, de se voir infliger des sanctions de toutes sortes. Elle peut également s’afficher à travers des prises de position de magistrats convaincus que les décisions de justice ne devraient pas entraver les décisions administratives ou gouvernementales qui iraient dans un sens prétendument favorable au développement politique et économique du pays. Les restrictions apportées aux libertés sur un tel fondement, constituent « un mal nécessaire » que la collectivité doit momentanément supporter au prix d’un épanouissement futur (qui pourrait être par ailleurs bien hypothétique…). Des décisions de justice montrent assez nettement cette inféodation de la justice au pouvoir politique [43] .
Ensuite, la politisation à l’intérieur même de la justice passe par le maintien d’une politique jurisprudentielle obsolète, mais que l’on alimente parce qu’elle est favorable aux décisions prises par le pouvoir en place. En d’autres termes, elle est dissimulée dans des notions juridiques, dont certaines sont parfois incomprises de la population - la société ne les ayant pas elle-même secrétées - telles l’intérêt général, l’atteinte à la sureté de l’Etat, la haute trahison, l’acte de gouvernement [44]ou encore la notion d’ordre public. Pendant longtemps, celle-ci a par exemple permis au juge sénégalais d’accepter la légalité de décisions administratives interdisant des réunions ou des manifestations publiques alors qu’elles étaient manifestement illégales, avant que le nouveau Conseil d’Etat ne vienne mettre un coup d’arrêt à cette jurisprudence quelque peu complaisante [45].
Enfin, l’impartialité, qu’il revient au juge de sauvegarder en toute « conscience », constitue aussi un des facteurs d’indépendance, même si elle est à distinguer de cette dernière [46] . Si l’indépendance de la justice signifie l’exclusion de tout lien de dépendance vis-à-vis des pouvoirs législatif et exécutif, ou vis-à-vis de tout autre acteur ou phénomène, l’impartialité en appelle à la conscience du juge qui doit s’assurer que la décision qu’il a prise n’a subi l’influence d’aucun élément étranger dans l’exacte application de la règle de droit aux faits de l’affaire qui lui est soumise. L’impartialité, à propos des menaces internes, soulève quelques questions, notamment lorsque le juge reproduit à l’intérieur de sa juridiction ou dans les procès, des éléments liés à son origine ou milieu religieux, partisan ou syndical. Par exemple, l’élection des juges suisses par le parlement fédéral qui prend en compte des éléments d’ordre idéologique, politique et régional, culturel etc [47] . Si le magistrat issu de ces différents « milieux » ne rompt pas le lien qui les unit, se posera alors la question de son indépendance et de son impartialité [48] . L’appartenance à un syndicat d’un magistrat peut également être source de dépendance et d’absence d’impartialité [49].
Cela dit, il est bien possible que le juge s’affranchisse de toutes ces pesanteurs pour affirmer son indépendance et son impartialité. En France, le Commissaire du gouvernement fait l’objet de nombreuses critiques quant à sa présence dans les délibérations des juridictions administratives, ce qui fit intervenir la Cour européenne des droits de l’homme pour rappeler l’importance dans un Etat de droit du principe d’impartialité dans les procès [50].
Enfin, doit-on rappeler que la publication des affaires introduites auprès des tribunaux [51], ainsi que la publicité des débats constituent des garanties à l’indépendance des juges dans le fonctionnement de la justice [52].
3- Indépendance judiciaire et transparence financière : la lutte contre la corruption
Le développement économique de ces Etats semble considérablement ralenti, sinon gravement compromis par l’absence de transparence des actes juridictionnels intervenus dans les transactions financières ou dans les opérations de marché. Dans ces domaines, il y a de manière générale, un manque crucial d’éthique professionnelle dans le secteur commercial privé. Plus particulièrement, les magistrats ne disposent pas de textes législatifs et réglementaires suffisamment précis et adéquats ou adaptés, d’où leur incapacité à donner confiance aux investisseurs étrangers détenteurs de capitaux suffisants et seuls susceptibles d’investir dans des projets de développement viable. Et s’ils en disposent, ils ne les appliquent pas de manière correcte lorsqu’ils succombent à la pratique de la corruption ou autres comportements répréhensibles. Les impératifs de la mondialisation imposent aux pays africains une certaine moralisation de l’appareil judiciaire sans laquelle, les malversations financières, les détournements de deniers publics et la corruption ne trouveraient aucune solution à court terme. A ce niveau, apparaissent d’autres facteurs aussi déterminants que les précédents : bas salaires, conditions matérielles de travail déplorables etc.
Comme pour la plupart des Etats africains, le Sénégal a jugé bon de mettre en place une politique destinée à assainir davantage l’appareil judiciaire, en invitant les magistrats à avoir plus d’éthique dans leur fonction. Les autorités sénégalaises ont en effet insisté sur ce qu’elles ont appelé « la gouvernance judiciaire », en précisant que dans un contexte démocratique, les politiques de l’Etat dans ce secteur visent à promouvoir l’existence d’une justice viable, efficace, impartiale et favorable au développement économique. A cet effet, ces autorités reconnaissent que la corruption, même si elle est difficile à définir, constitue « un phénomène majeur » contre lequel les instances nationales et internationales doivent absolument lutter. La « gouvernance judiciaire » aura ainsi pour objectif de réduire cette corruption grâce à une véritable promotion de l’éthique dans le pays et dans tous les secteurs, à l’amélioration des procédures de passation des marchés publics, la simplification des formalités administratives, la mise en place d’un pacte d’intégrité entre les usagers et le secteur public, la rationalisation de la chaîne des dépenses publiques, l’implication de la société civile et surtout, la création d’un Observatoire sur la lutte contre la corruption.
Cette préoccupation est loin d’être théorique car la corruption concerne tous les domaines d’activités de l’Etat en Afrique, y compris la justice elle-même.
Le Sénégal vient d’être le théâtre d’une affaire de corruption présumée de magistrats haut placés dans l’appareil judiciaire (mois de juin- juillet 2006), dont les faits ont été largement diffusés dans la presse écrite et par la radio (diffusion à travers les ondes des radios privées de l’enregistrement des discussions entre le corrupteur et les juges corrompus et les sommes d’argent réclamées par ces derniers). L’un des magistrats, personnage central de l’affaire, a été mis à la retraite anticipée, tandis qu’un autre a été affecté dans une autre zone géographique et un troisième suspendu de ses fonctions pendant une durée de cinq ans, même si le motif de corruption n’a pas été retenu à leur encontre par la Cour de cassation sénégalaise, juge en la matière.
Conclusion
De tout ce qui précède, il apparaît que le juge occupe, dans tous les pays francophones à qui le questionnaire a été préposé, une place centrale dans leur système juridique et politique respectif. Cela ne veut certainement pas dire que le juge est un « acteur » devant intervenir dans l’arène politique au même titre que les organes législatif et exécutif ; loin de là. Sa fonction reste celle « de juger » [53] . Il n’en demeure pas moins que tant pour l’instauration de l’Etat de droit que pour le respect des droits et libertés individuels, les populations attendent du juge qu’il remplisse son rôle, c’est à dire faire respecter la loi et s’assurer que les principes démocratiques comme les droits de l’homme ne sont pas impunément bafoués. Bien évidemment, sans une réelle indépendance - dans le cadre d’une séparation des pouvoirs effective- garantie à la fois par des textes et confirmés dans la pratique, ce rôle du juge ne sera que théorique.
Dans les pays occidentaux, l’avancée démocratique est plus poussée que dans les Etats pauvres. Il n’en demeure pas moins que l’Etat de droit et la démocratie constituent une quête permanente, et se présentent comme des défis quotidiens jamais définitivement acquis. Pour preuve, la Cour européenne des droits de l’homme se montre très vigilante à l’égard des Etats européens quant au respect des principes d’organisation juridictionnelle parmi lesquels figurent l’indépendance de la justice [54] et l’impartialité du tribunal , conformément aux dispositions des articles 5 et 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme..
Dans les pays de l’espace francophone africain, et de manière générale dans les Etats en voie de démocratisation situés ailleurs, l’indépendance de la justice n’est certainement pas évidente à sauvegarder et les menaces internes, entres autres, dont elle fait l’objet sont plus tenaces qu’on ne le pense. Ces pays ont cependant les moyens d’y faire face ; pour cela de profondes mutations au sein de la justice nécessitent d’être entreprises et accompagnées, tout particulièrement par les autres acteurs constitutionnels et politiques (majorité et opposition etc.). La Cour africaine des droits de l’homme qui vient d’être mise sur pied saura certainement, à l’instar de celle de l’Europe, inciter les Etats à respecter davantage les principes d’indépendance et d’impartialité en matière de justice au niveau national.
[1] Pour reprendre une expression devenue courante dans la doctrine française.
[2] V. J-C Menard « Réflexions sur « l’indépendance du juge judiciaire », Revue de la recherche juridique, Droit prospectif, 2004
[3] V. L. Cohen – Tanugi, Les métamorphoses de la démocratie, O. Jacob, 1989, cité par J-L Menard, art. précité, p. 327
[4] C’est la conception de la fonction publique en France que la doctrine (Hauriou, Burdeau) a longtemps défendue et que l’on retrouve dans la fonction publique de la plupart des Etats francophones d’Afrique.
[5] Certes il existe des aménagements…
[6] Art. 5 de l’Ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958.
[7] C’est le cas au Bénin, au Burkina-Faso, au Cameroun, en Egypte, en France, au Gabon, en Guinée, à Madagascar, au Mali, au Niger et au Niger ou encore au Sénégal
[8] V. G. Masson, Les juges et le pouvoir, éd. Moreau/syros, 1977, p. 258 et s.
[9] Il faut admettre que le principe d’inamovibilité n’est pas fondamentalement incompatible avec les besoins du service public. Il n’est par exemple pas toujours souhaitable qu’un magistrat soit maintenu à son poste pour une période très longue, ne serait-ce que pour des besoins de mobilité. Cette raison n’est malheureusement pas parfois, celle qui motive les décisions de mutations dont les magistrats font l’objet.
[10] Loi n° 92-27 du 30 mai 1992
[11] V. DCC. 97-033 du 10 juin 1997
[12] CC Sn 23 juin 1993
[13] C’est l’article 64 de la Constitution du 4 octobre 1958 qui pose le principe de l’inamovibilité des magistrats « Les magistrats du siège sont inamovibles ». L’ordonnance du 22 décembre vient préciser sa portée en disposant que « le magistrat du siège ne peut recevoir sans son consentement, une affectation nouvelle, même en avancement ».
[14] Article L 221-1 du Code de l’organisation judiciaire (COJ).
[15] Dans certains pays, il n’existe pas encore de texte sur le déroulement de la carrière du magistrat ; tel est par exemple le cas en Hongrie où un projet de loi est déposé dans ce sens (réponse à la question 21, p. 253), mais aussi en Suisse où « il n’existe aucun cursus du juge » (réponse à la question 21, p. 257)
C’est le cas de la majorité des pays ayant répondu au questionnaire.
[16] Au Canada et en Suisse, le recrutement des magistrats se fait au sein d’anciens professionnels du droit qui ne sont pas nécessairement obligés de passer un concours d’entrée. Ce mode de recrutement a souvent été critiqué au Canada, raison pour laquelle il a fait l’objet d’une réforme pour éviter que l’opinion publique ne pense que la justice est inféodée à l’exécutif à l’origine de telles nominations. Ce mode de recrutement pose par ailleurs des problèmes liés à l’impartialité dans la mesure où les candidats recrutés pourraient se sentir obligés de « renvoyer l’ascenseur ».
[17] Dans certains pays, une voie appelée « latérale » permet à des personnes d’accéder à la fonction de magistrat en fonction de l’expérience juridique acquise.
[18] Le Conseil d’Etat français a très tôt assuré le contrôle de la légalité des décisions administratives refusant des candidats aux concours de la fonction publique et motivées par des discriminations fondées sur les opinions politiques. (l’arrêt de principe est celui du CE, Ass. 28 mai 1954, Barel, cl. Maxime Letourneur ; RPDA 1954, p. 149, conclusions et p. 157, note Charles Eisenmann.). En l’espèce, la candidature du requérant à l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) avait été refusée pour ses opinons communistes
[19] F. Frison-Roche, « La réforme du système judiciaire dans les Balkans membres (à part entière ou associés) de l’Organisation Internationale de la Francophonie (Bulgarie, Moldavie et Roumanie – Albanie et Macédoine) », Rapport de l’Observatoire sur l’état des pratiques de la démocratie et des droits de l’homme dans l’espace francophone, OIF, 2006.
[20] L’appellation de cet organe varie selon les pays : Haut Conseil de la justice (Albanie), Conseil de la Magistrature de la République (Macédoine), Conseil Judiciaire Supérieur (Bulgarie), Conseil Supérieur de la Magistrature (Roumanie), Conseils des Hauts Magistrats (Moldavie).
[21] A. B. FALL, « Les juridictions administratives dans les pays de l’Est », Mélanges S. MILACIC, à paraître en décembre 2007.
[22] V. X. BOISSY, La séparation des pouvoirs, œuvre jurisprudentielle, éd. Bruylant, pp. 120-139
[23] M. FRISSON-ROCHE précise par ailleurs que pour être en conformité avec les normes démocratiques internationales, ces pays ont également instauré un triple degré de juridictions (1ère instance, Appel et cassation) et inscrit dans leur Constitution l’interdiction de mettre en place des tribunaux d’exception. Ils ont consacré dans toutes ces Constitutions des développements importants sur les droits de l’homme que la justice doit protéger et faire respecter.
[24] Le même auteur avait noté que « l’organisation du pouvoir judiciaire avait le double avantage d’afficher de la démocratie tout en restant « verrouillé » par le biais de certaines nominations ». C’est dire que l’organisation même de ces juridictions ne répond pas encore aux critères retenus dans les démocraties modernes en matière de justice.
[25] Cités par X. BOISSY, op. cit.
[26] A propos de l’indépendance statutaire du pouvoir judiciaire, la Cour constitutionnelle albanaise sanctionna, par deux fois, l’immixtion des pouvoirs exécutif et législatif dans la compétence du pouvoir judiciaire par une loi du 9 mai 1997 sur le contrôle financier des personnes morales. Cette loi permettait à l’administration d’agir à la place du juge et portait ainsi atteinte à son indépendance statutaire. (Cour constitutionnelle albanaise, Décision n° 6 du 25 janvier 1999).
[27] La Cour constitutionnelle a affirmé qu’elle accomplirait ses fonctions de manière indépendante et qu’elle n’était pas « une institution du système judiciaire (…) », la Cour est bien un (…organe de contrôle de constitutionnalité indépendant des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire » (Cour constitutionnelle bulgare, Décision n° 18, 1993. La même Cour devait également dégager le principe d’autonomie budgétaire du pouvoir judiciaire. Elle posa le principe selon lequel, il revient au Conseil Supérieur Judiciaire de préparer ce budget particulier, et si le gouvernement peut émettre des réserves, il doit dans tous les cas l’intégrer tel quel dans le budget qui sera présenté au parlement (Cour constitutionnelle bulgare, Décision n° 1, 4 janvier 1994).
[28] Sur la protection du fonctionnement régulier des institutions judiciaires, la Cour constitutionnelle macédonienne a jugé contraire au droit de propriété et au principe de la séparation des pouvoirs certaines lois spéciales, datant de la période communiste, qui protégeaient les propriétaires fonciers de toute éventualité de restitution au moyen d’une action judiciaire (Cour constitutionnelle macédonienne, Décision du 18 mars 1998).
[29] La Cour constitutionnelle roumaine a admis que la formation d’autorités administratives chargées de rendre certaines décisions de nature juridictionnelle, n’occulte en rien l’existence du pouvoir judiciaire dont la voie est ouverte à tout justiciable qui intente un recours, au nom du principe constitutionnel de libre accès à la justice (Cour constitutionnelle roumaine, Décision n° 34. du 24 juin 1993
[30] « Aucune classification n’existe en ce qui concerne les juges (réponse à la question 22-a, p. 262 du questionnaire) ; « Aucune règle ne gouverne l’avancement (réponse à la question 22-b, p. 267 du questionnaire) ; plus significative encore est la réponse à la question 22-c (p. 270) du questionnaire) : « On peut présumer que pour accorder une promotion à un Juge, c’est-à-dire le faire passer à un tribunal supérieur, l’autorité de nomination considère son ancienneté, rarement son mérite personnel ; mais souvent ce n’est pas le cas, l’avancement se fait sur la base des relations personnelles ou de recommandations ». Il serait bien étonnant que les magistrats haïtiens soient les seuls à vivre une telle situation…, même si ailleurs, ce serait dans une moindre mesure.
[31] Cf. D. SY, « La condition de juge en Afrique : l’exemple du Sénégal », in Les défis des Droits fondamentaux, Actes des Deuxièmes journées scientifiques du réseau Droits fondamentaux de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF), tenues à Québec du 29 septembre au 2 octobre 1999, Aupelf-Uref, éd. Bruylant/AUF, 2000, p. 354.
[32] Cette évaluation qui constitue un des éléments déterminants dans la carrière du magistrat, peut en effet susciter bien des doutes comme le fait remarquer R. PERROT en ces termes : « Quels que soient les termes utilisés, on se trouve ici en présence d’un problème assez irritant, dont on comprend certes la nécessité, mais qui introduit un ferment de sujétion que l’on évoque jamais sans une certaine gêne quand on pense à la dignité du juge et à son indépendance… », Institutions judiciaires, Montchrestien, 12ème édition, 2006, p. 79
[33] La réforme dont le Conseil a fait l’objet en 1993 ne semble pas avoir atteint ses objectifs. Le comité Balladur chargé de réfléchir sur l’adaptation des institutions actuelles de la Vème République devra certainement proposer d’autres réformes comme l’exclusion du Chef de l’Etat et du Garde des Sceaux de ce Conseil, lequel sera dorénavant présidé par une personnalité indépendante n’appartenant ni au parlement, ni à l’ordre judiciaire mais nommé par le président de la République.
[34] « Présentement aucune règle ne régit la carrière des juges. Les juges de paix sont à la merci d’une révocation qui peut survenir à tout moment. Ceux des autres juridictions qui détiennent un mandat ne sont pas du tout assurés de voir ce dernier renouvelé à expiration » (réponse à la question 21)
[35] V. entre autres, « L’indépendance des juges et des juridictions », ACCPUF, OIF, Bulletin n° 7, novembre 2006 et la synthèse des questionnaires par M. PAUTI, Secrétaire générale de l’ACCPUF.
[36] Il s’agit de la France et du Gabon. Dans ces deux pays, les Cours établissent leur budget à partir de leurs besoins, lequel budget sera voté avec la loi de finances par le parlement, sans qu’il fasse l’objet de discussion (contrairement aux autres pays occidentaux –Suisse, Belgique – et africains où le budget est discuté devant le parlement). Au Gabon, une loi de finances qui réduit les moyens financiers de la Cour peut être censurée. La Cour constitutionnelle du Bénin avait aussi annulé deux lois de finances qui avaient réduit ses dépenses de fonctionnement
[37] Par exemple en Albanie, le budget est chaque année revu à la baisse depuis 2005 (réponse à la question 11, p. 145) alors qu’en France, il est en hausse depuis 2002.
[38] Les magistrats sénégalais ont vu leurs rémunérations substantiellement améliorées en 1998 avec l’octroi d’une allocation de judicature, et une augmentation importante de salaires depuis quelques années.
[39] A. B. FALL, « Le juge, le justiciable et les pouvoirs publics : pour une appréciation concrète de la place du juge dans les systèmes politiques en Afrique », in Les défis des Droits fondamentaux, Actes des Deuxièmes journées scientifiques du réseau Droits fondamentaux de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF), tenues à Québec du 29 septembre au 2 octobre 1999, Aupelf-Uref, éd. Bruylant/AUF, 2000, p. 309-346.
[40] Bien évidemment, ceci n’est pas le propre des pays africains, loin de là ; des magistrats peu consciencieux ou peu vertueux se rencontrent partout y compris bien évidemment dans les pays occidentaux. Le vol d’une carte bancaire par un magistrat français participant à un colloque dans un pays étranger avait récemment fait la chronique judiciaire en France, un fait que la presse a largement diffusé par la suite (magistrat finalement condamné par les tribunaux).
[41] Aff. Kabore Ali Noaga c/ Derme Moussa, rapportée par S. YONABA, Indépendance de la justice et droits de l’homme, le cas du Burkina Faso, éd. Pioom, 1997, p. 156. Tous les faits cités ici ont été condamnés par les tribunaux de ces pays respectifs.
[42] Les propos du procureur de l’époque étaient sans équivoque sur l’inféodation de la justice au gouvernement : « Le Conseil judiciaire n’est pas une institution propre, mais un organe par lequel le MRP (parti au pouvoir), - et donc son Président car ce dernier en est l’incarnation – exerce la mission de rendre la justice. De ce fait, le magistrat zaïrois est non pas à proprement parler le mandataire du Président, mais en quelque sorte le Président lui-même exerçant sa mission de dire le droit (…) quiconque s’insurge contre ses décisions désobéit au Président du MRP lui-même (…). Le magistrat zaïrois doit-il prendre de plus en plus conscience de l’importance de sa mission et rendre la justice en âme et conscience de militant » (propos rapportés par M.E. BOSHAB, « La misère de la justice et justice de la misère en République Démocratique du Congo », Revue de la Recherche Juridique, 1998, 3, p.1169)
[43] V. A. B. FALL, article précité, p. 235.
[44] L’utilisation de la notion a été fortement critiquée par la doctrine lorsque les autorités camerounaises par exemple l’ont évoquée pour justfier une convocation par décret du corps électoral en vue d’une élection présidentielle anticipée en 1992. Le Ministre de la jeunesse et des sports de ce même pays l’avait également évoquée lorsque la FIFA s’était opposée à la décision de dissolution de la Fédération camerounaise de foot-ball qu’elle avait prise.
[45] Dans une affaire d’expulsion décidée par le Ministre de l’intérieur, le Conseil d’Etat sénégalais a annulé l’arrêté ministériel qui selon lui « se borne à justifier la mesure édictée (…) sans qu’aucun élément contenu dans la décision elle-même, ou dans un document annexe à celle-ci ne renseigne sur les dites nécessités alors que la décision querellée, en tant que mesure de police, devant être motivée surtout qu’elle est défavorable au requérant, puisqu’elle lui retire les avantages liés à son statu de réfugié » (Conseil d’Etat sn, 27 octobre 1993, Seydou Mamadou Diarra)
[46] La plupart des réponses fournies dans le questionnaire lient ces deux éléments qu’elles considèrent comme complémentaire. La réponse du Sénégal est assez significative à ce sujet : « Le principe de l’indépendance des juges proclamés par les articles 88 et 89 de la constitution et celui de l’impartialité des magistrats résultant de l’article 13 du statut des magistrats constituent le fondement et la justification du pouvoir de juger. Les deux principes sont nécessairement en corrélation ».
[47] Le même problème se pose au Liban ou le recrutement inclut la représentation confessionnelle.
[48] Cette précaution est expressément mentionnée par les textes béninois qui exigent des magistrats appartenant à l’association dans laquelle ils se sont regroupés, de déclarer leur indépendance vis-à-vis de cette corporation pour ce qui concerne l’exercice de leur fonction
[49] Est-ce pour cette raison que dans certains pays (Liban, Pologne, Sénégal, Canada), les magistrats ne peuvent se constituer en syndicat ? Il faut préciser toutefois qu’au Sénégal où les magistrats sont également interdits de grève (comme en France), existe une amicale qui s’apparente en une simple association d’ordre corporatif (Union des Magistrats du Sénégal). En revanche, le droit de se syndiquer est reconnu (parfois par la Constitution elle-même comme en République tchèque et en Moldavie) dans certains autres Etats (Bénin, France, Togo).
[50] CEDH, 12 avril 2006, MARTINIE c/ France.
[51] A ce sujet, le secret de l’instruction en matière pénale pose un certain nombre de problèmes, raison pour laquelle il fait l’objet de beaucoup de controverses. D’une part, il se justifie par l’intérêt de la poursuite (qui s’oppose à ce que le public soit régulièrement informé des recherches effectuées par le juge d’instruction) et celui du suspect – qui peut être injustement mis en cause – sur la base de la présomption d’innocence. D’autre part, il est critiqué parce que perçu par certains (les avocats notamment) comme attentatoire aux droits de la défense. Le débat reste encore vif en France par exemple, et tout laisse croire qu’il revient au juge pour l’instant et dans le respect des textes, d’assure l’équilibre entre ces deux impératifs.
[52] La publicité des débats est un principe généralement admis. Il est par exemple posé par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, même s’il fait l’objet de certaines exceptions, par ailleurs limitativement énumérées.
[53] La justice semble tout de même jouer aujourd’hui un rôle important de contre-pouvoir dans nos sociétés démocratiques contemporaines… (V. F. HOURQUEBIE, Sur l’émergence du contre-pouvoir juridictionnel sous la Vème République, Bruylant, 2004, 677 pages.
[54] CEDH, 22 octobre 1984, affaire Sramek (le rapporteur, membre du tribunal, était le subordonné de l’agent public qui avait saisi le tribunal et qui en même temps, représentait le gouvernement du Land autrichien concerné devant le même tribunal. Dans de telles conditions, la Cour a estimé que l’indépendance du tribunal n’était pas suffisamment garantie.
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