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Porter plainte contre les flics

 

 

 

 

Porter plainte contre les flics

Inégalé, le flic de Coluche : « J'ai l'air un peu con, mais l'uniforme y est pour beaucoup hein.  

 - Non, parce que ma femme me le dit toujours : "T'as signé sans réfléchir." 

 - Et alors ! J'ai demandé aux autres, ils ont fait pareil, hein. Si on avait réfléchi, on aurait pas signé. Faut pas nous prendre pour des cons quand même. » 

 

Coluche nous racontait les histoires du commissariat, avec Robert son collègue flic qui avait réussi une fois à arrêter un mec plus bourré que lui.

 

« On s'fend la gueule! L'autre jour y a un beatnik qui vient pour changer sa carte d'identité. Alors Robert y lui dit... parce que Robert y déconne tout le  temps. Alors Robert y dit, euh... : "Tu me donneras l'adresse de ton coiffeur!" On lui a cassé la gueule. On s'est marrés. Ah non, mais on fait gaffe hein. On tape avec le plat de la main. Comme ça, dans les côtes. Alors ça fait ach'ment mal mais, euh, ça fait pas de traces. Ah non. Parce que on n'a pas droit aux traces. Parce que les mecs quant ils ont des traces, y paraît qu'y peuvent porter plainte.  Remarquez, heu, y faudrait qu'y viennent au commissariat pour porter plainte. J'les plains les mecs. Non, dans l'ensemble y viennent pas. On n'a pas à se plaindre.»

 

Le problème, c’est que ça a un peu changé, car Coluche ne connaissait pas la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité (CNSD).

 

Pour porter plainte pour de violences policières, il y a le schéma le plus direct : plainte au commissariat ou à la brigade de gendarmerie, et si les choses ne sont pas simple, l’accueil est meilleur que ne laissait supposer Coluche. Sans doute plus adapté, une plainte écrite, détaillée et circonstanciées, indiquant les noms des témoins, rédigée par l’avocat, et adressée au procureur de la République. Mais existe aussi la possibilité de s’adresser à cette structure pas trop connue, la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité. Il s’agit d’une autorité administrative indépendante, donc tout ce qu’il y a de plus officiel,  créée en 2000 et chargée de veiller au respect de la déontologie des personnes exerçant, des activités de sécurité. Installez au fond de la casserole avec la police et la gendarmerie nationale, ajoutez une bonne dose d’administration pénitentiaire, parfumez avec la police municipale, et agrémentez par les services de sécurité privée,… Faites cuire à feu doux, et vous vous avez le menu quotidien de cette CNDS.

 

Si vous estimez que les agents de ces très différents services ont mangé leur képi, à défaut de leur chapeau, vous pouvez vous adresser à la CNDS (62 boulevard de la Tour-Maubourg, 75007, Paris). Attention, vous avez un délai d’un an pour agir, et votre réclamation doit être présenté par un parlementaire. La CNDS va procéder ensuite à l’instruction du dossier, rendra un avis, et si elle l’estime justifié, elle pourra saisir les aux autorités judiciaires ou hiérarchiques pour que soient engagées des poursuites pénales ou disciplinaires. Et, last but non least, la CNDS publie chaque année un très instructif rapport.

 

Cette année, le rapport, publié ce 28 avril, porte sur la "déontologie des forces de sécurité en présence des mineurs". Conclusion de ce très sévère rapport : « Il apparaît en effet qu’en dépit de l’existence de textes protecteurs, il est encore relativement fréquent que des jeunes subissent des préjudices moraux ou physiques à l'occasion d’une confrontation avec les forces de sécurité. Or, la prise en compte de la situation réelle, concrète, des mineurs pourra, nous l’espérons, contribuer à la réévaluation éclairée des devoirs qui accompagnent l’utilisation de la force légale. »

 

Enseignement général, donc : vis-à-vis de ces populations fragiles, la police, trop souvent encore n’est pas dans les clous, et se faisant, elle s’accorde des facilités avec la loi qu’elle a pour mission d’appliquer. Ce rapport officiel, qui vient après d’autres, dont celui très récent d’Amnesty, souligne des tares que l’on pouvait croire dépassées.

 

Je vous livre quelques extraits du rapport. Franchement, il reste du boulot, et quelques petites plaintes bien argumentées peuvent aider à la prise de conscience que ça va devoir changer.

 

LE RECOURS EXCESSIF À LA COERCITION

 

La Commission n'a eu que trop souvent l'occasion de déplorer les pratiques de menottage systématique encore largement répandues. Elle a rappelé à de multiples reprises les dispositions de l'article 803 du Code de procédure pénale, selon lequel : « Nul ne peut être soumis au port des menottes ou des entraves que s'il est considéré soit comme dangereux pour autrui ou pour lui-même, soit comme susceptible de tenter de prendre la fuite ». Cette règle étant fréquemment méconnue par les fonctionnaires de police, elle a été rappelée par la circulaire du ministre de l'Intérieur du 11 mars 2003 et, de nouveau, par celle du Directeur général de la police nationale datée du 9 juin 2008.

 

C'est pourquoi, suite à la saisine 2005-12 (rapport 2005), la Commission a demandé au ministère de l'Intérieur de préciser la circulaire du 11 mars 2003par une directive relative aux mesures à prendre à l'égard des mineurs. C'est en réponse à cet avis que le ministre a adressé aux services de police et de gendarmerie l'instruction du 22 février 2006, qui prescrit aux fonctionnaires de «conserver en toute circonstances des pratiques professionnelles irréprochables vis-à-vis des mineurs, qu'ils soient victimes, témoins, mis en cause ou simplement contrôlés ».

 

Un cas particulièrement frappant d'emploi abusif de la coercition s'est présenté en 2007, lors de l'interpellation et de la garde à vue d'un garçon de 15 ans à Chalon-sur-Saône (saisine 2007- 144, rapport 2008). Celui-ci avait assisté à l'allumage d'un feu dans un autobus par un groupe de jeunes chahuteurs et en avait averti le conducteur. Bien qu'aucun soupçon sérieux ne pesât sur lui, il a été interpellé à son domicile à 6h00 du matin sans aucune convocation préalable, en violation de l'article 62 du Code de procédure pénale. Simple témoin, l'adolescent a pourtant été placé en garde à vue (en violation de l'article 63 du même code), déshabillé, menotté et a fait l'objet d'un enregistrement au fichier national automatisé des empreintes génétiques (en violation de l'article 706-54). Un fonctionnaire, pour rassurer sa mère bouleversée de voir son enfant menotté, a tenu à cette dernière des propos très révélateurs d'un état d'esprit que la Commission souhaiterait voir disparaître au plus vite : « Je lui ai tout de suite dit qu'il n'était pas menotté parce qu'il était coupable de quoi que ce soit, mais parce que nous avons une note de service interne qui nous oblige à menotter les personnes à l'intérieur du commissariat en raison de la vétusté des locaux. »

 

Quant à l'utilisation détournée des menottes dite en « mobylette » (torsion du poignet créant des douleurs dans le coude) pour maîtriser un individu récalcitrant mineur, elle est indigne d'un fonctionnaire de police (saisine 2003-25, rapport 2003).

 

LES VIOLENCES ILLÉGITIMES COMMISES CONTRE DES MINEURS

 

Lorsqu'il se trouve face à un mineur, un fonctionnaire de police doit avant tout chercher à éviter toute confrontation violente. Personnes vulnérables, les mineurs sont aussi susceptibles de réactions moins maîtrisées que les adultes et la Commission a, à plusieurs reprises, été saisie de cas où une interpellation pour des motifs très légers a dégénéré en une violente altercation.

 

Ce fut notamment le cas en 2004 lorsque l'interpellation d'un jeune de 17 ans pour outrage aux forces de sécurité a abouti à des heurts très violents avec celui-ci et un de ses amis, ainsi qu'avec son père qui s'était opposé à l'action des fonctionnaires (saisine 2004-9, rapport 2004), dont l'une d'entre eux a été frappée au visage. Les interpellés ont subi des traumatismes crâniens entraînant des interruptions totales de travail de 6 et 8 jours ; les habitants du quartier ont été profondément choqués. En l'espèce, même si le délit d'outrage était constitué et même si les intéressés ont réagi avec une grande brutalité, la disproportion entre le motif de l'interpellation et ses conséquences très graves est patente.

 

Art. 9 Code de déontologie de la police nationale : « Lorsqu'il est autorisé par la loi à utiliser la force et, en particulier, à se servir de ses armes, le fonctionnaire de police ne peut en faire qu'un usage strictement nécessaire et proportionné au but à atteindre. »

 

En 2005, un policier, suspectant un trafic de résine de cannabis, a interpellé un mineur, qui n'avait eu aucun geste d'agression à son égard, en lui portant un coup de diversion ou « atemi » (saisine 2005-6, rapport 2006). Ce coup, qui a occasionné au lycéen un préjudice corporel sérieux (perforation du tympan), constitue une violence injustifiée. En réponse à l'avis de la Commission, le Directeur général de la police nationale a demandé à ce que le fonctionnaire suive une formation continue aux gestes techniques d'intervention, mais n'a pas engagé de poursuites disciplinaires.

 

LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA GARDE À VUE

 

En dépit des instructions ministérielles précitées du 11 mars 2003 relatives à la garantie de la dignité des personnes placées en garde à vue, l'état des locaux qui les accueillent est encore trop souvent proche de l'insalubrité, et nombre d'entre eux sont impropres à recevoir des mineurs.

 

Le Comité européen de prévention de la torture (CPT) a constaté, lors de sa visite de 2006, qu'il existait toujours en France des salles de garde à vue de 7 m2 dépourvues d'aération, de lavabo ou de matelas, et d'autant plus inhospitalières qu'elles sont souvent d'une saleté repoussante.

 

Ces conditions de retenue en elles-mêmes sont potentiellement traumatisantes pour un mineur.

 

La Commission a ainsi été saisie du cas d'adolescents placés en garde à vue en hiver dans des cellules peu chauffées, sans matelas, sans couverture, avec une lumière allumée toute la nuit, et sans accès aux toilettes, ce qui les a contraints à uriner dans leur cellule (saisine

2006-75, rapport 2007).

 

De manière générale, bon nombre de mineurs ayant été gardés à vue ont fait état devant la Commission de l'odeur d'urine et de la saleté choquante des locaux dans lesquels ils avaient été placés (par exemple lors de la saisine 2004-59, rapport 2005). Le rapport du CPT déjà mentionné qualifie les cellules pour mineurs de la préfecture de police de Paris de « très sales » et indique que, lors de leur passage dans cet établissement, un mineur a déclaré aux visiteurs « avoir passé la nuit sur un banc dans le couloir, des excréments parsemant la cellule qui lui avait été assignée ».

 

LES FOUILLES DE SÉCURITÉ INJUSTIFIÉES

 

De manière générale, la Commission a remarqué que les fouilles à nu dites « de sécurité » étaient encore pratiquées de manière systématique lors des gardes à vue, dans bon nombre de commissariats. Cette pratique systématique qui subsiste est intolérable. Elle l'est d'autant plus lorsqu'elle concerne des mineurs et qu'elle est contraire à des instructions précises datant de plus de cinquante ans et qui ont été renouvelées récemment dans les termes les plus clairs.

 

L'instruction ministérielle du 11 mars 2003, rappelée par la note complémentaire du Directeur général de la police nationale datée du 9 juin 2008, comporte des consignes très nettes à cet égard : « Lorsqu'elle est pratiquée systématiquement avec le déshabillage de la personne gardée à vue, la fouille de sécurité peut être attentatoire à la dignité et contrevient totalement aux exigences de nécessité et de proportionnalité voulues par l'évolution du droit interne et européen. Il y aura donc lieu dès à présent de limiter les mesures de sûreté à la palpation de sécurité. Dans l'hypothèse où des vérifications plus adaptées se révèleraient nécessaires, il conviendrait d'en référer à l'officier de police judiciaire. En tout état de cause, toute instruction rendant les fouilles systématiques doit être abrogée ».

 

La palpation de sécurité devrait donc être la règle, et la fouille intégrale l'exception ; celle-ci ne se justifiant que si la personne gardée à vue est suspectée de dissimuler des objets utiles à la manifestation de la vérité, ou dangereux pour elle-même ou pour autrui.

 

Ces conditions n'étaient manifestement pas remplies lors de la fouille à nu de deux jeunes de 13 et 14 ans d'aspect inoffensif et suspectés d'avoir dégradé un véhicule (saisine 2006-129, rapport 2008), ni lorsque quatre mineurs de 15 à 16 ans, interpellés dans leur collège parce qu'ils étaient soupçonnés d'avoir lancé des pierres sur la façade d'une maison, ont été fouillés intégralement dans un couloir du commissariat de Montgeron (saisine

2004-59, rapport 2005).

 

En 2007, un simple soupçon de dégradation d'affiche électorale a abouti à une fouille à nu au commissariat d'un mineur de 15 ans (saisine 2007-64, rapport 2008).

 

Ces fouilles abusives constituent une atteinte condamnable et choquante à la dignité des mineurs et un manquement à l'article 10 du Code de déontologie de la police nationale, selon lequel une personne gardée à vue ne doit subir aucun traitement « inhumain ou dégradant » de la part des fonctionnaires.

 

La Commission insiste donc depuis plusieurs années pour que la mise en oeuvre de ce type de fouilles à l'encontre des mineurs soit exceptionnelle et dûment justifiée. La généralisation de la vidéosurveillance dans les cellules de garde à vue et d’équipements de détection sur les personnes des objets pouvant être dangereux permettrait d'ailleurs d'obtenir les garanties de sécurité nécessaires.



12/02/2011
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