Madame Frédérique AGNOUX Le droit des enfants
Le droit des enfants
Si les textes nationaux et internationaux donnent une définition de l’enfant par rapport à son âge, ils n’en donnent pas de celle de l’intérêt de cet enfant.
Il est souvent dit que ce n’est pas à l’enfant d’apprécier son propre intérêt, car il n’a pas de capacité juridique ou peut manquer de discernement s’il est très jeune, mais à ses parents, et, s’ils sont défaillants, au juge.
Pour les Etats parties à la Convention internationale des droits de l’enfant, et en droit français, les décisions concernant un enfant doivent être appréciées au regard de la notion de l’intérêt de l’enfant. Il faut reconnaître que l’on fait appel à cette notion lorsque, précisément, l’intérêt de l’enfant risque d’être compromis. La phrase « c’est dans ton intérêt, tu comprendras plus tard », annonce plutôt un bouleversement qu’une assurance aux yeux d’un enfant. Les textes en droit international et en droit interne, font de plus en plus référence cependant à cette notion d’intérêt particulier à l’enfant qui ne recoupe pas toujours celui des adultes l’entourant.
La tâche d’un juge saisi d’une question où l’intérêt de l’enfant se joue, c’est qu’il doit souvent protéger l’enfant des errances des adultes ou d’un autre danger tout en préservant autant que possible la vie familiale, en évitant de blesser l’enfant davantage.
Après l’examen de la façon dont cet intérêt est cité dans la Convention internationale des droits de l’enfant, l’expérience de l’application de cette notion en droit français sera étudiée à travers des exemples sans prétendre à l’exhaustivité.
I. La notion de l’intérêt de l’enfant dans la Convention internationale des droits de l’enfant
Dans la traduction française retenue pour la ratification, l’expression « intérêt supérieur de l’enfant » apparaît sept fois dans six articles différents.
A. L’article 3-1 de la Convention affirme que « l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale », et c’est l’un des principes fondamentaux sur lesquels ce traité s’appuie.
La coutume est de retenir surtout cet article de la Convention lorsque l’intérêt de l’enfant est évoqué.
La convention internationale des droits de l’enfant Cet article donne la priorité à l’intérêt de l’enfant dans toute décision le concernant, qu’elle émane :
d’une institution publique dotée d’un pouvoir législatif, exécutif ou judiciaire,
d’une institution privée chargée d’une mission de protection.
B. L’article 9 de la Conventionévoque la séparation parents-enfants pour des motifs de maltraitance ou négligence, ou en cas de décision à prendre sur la résidence de l’enfant lorsque les parents se séparent ; cet article confère aussi dans ce cas le droit à l’enfant d’entretenir des « relations personnelles » ou de rester en « contact direct » avec ses parents ou avec celui dont il est séparé – à noter qu’il est bien ici question du droit de l’enfant, et non de celui de son ou de ses parents.
Dans ces situations, l’intérêt supérieur de l’enfant est prioritaire, il peut être contre celui des parents, mais peut être aussi contre ce que désire l’enfant. Dans ces deux cas il est probable que la qualité de l’explication qui en sera donnée par l’auteur de la décision, non seulement à l’enfant, mais aussi à ses parents, conditionnera fortement la réalisation de cet intérêt.
En effet, la clarté de la motivation du juge ou de toute autre autorité ou instance à l’origine de cette décision est essentielle. Plus elle est fondée et argumentée, mieux elle peut être relayée ensuite par ceux qui mettent la décision en application et accompagnent l’enfant : autre parent ou autre membre de la famille, avocats, éducateurs, assistants sociaux, praticiens de l’enfance, tiers le prenant en charge par exemple. Ainsi, un enfant qui fait l’objet d’une mesure de placement parce que ses parents, souffrant d’alcoolisme, ne peuvent assurer correctement sa prise en charge quotidienne, mettra en échec cette mesure prise pour le protéger s’il pense que c’est parce qu’il n’a pas été sage qu’on l’éloigne, ou qu’il est en faute de ne plus s’occuper de ses parents.
C. L’article 18incite les Etats parties à défendre le principe que ce sont « les deux parents » (et non un seul comme cela pourrait être le cas dans certains Etats) qui ont « une responsabilité commune pour élever l’enfant. Ceux-ci doivent être guidés avant tout par l’intérêt supérieur de l’enfant ». La priorité donnée aux parents pour élever l’enfant est érigée en principe par la Convention.
En des ères sombres, Les expériences de faire élever les enfants par d’autres que leurs parents, par des institutions dénuées de contacts empreints d’amour ont abouti très fréquemment, non seulement à une mortalité infantile très élevée, mais aussi à des troubles graves de la personnalité. Boris Cyrulnik, neuropsychiatre, a décrit ces effets observés dans plusieurs pays au fil de ses divers ouvrages : les enfants sélectionnés pour leur « pureté raciale », les enfants abandonnés en hôpital ou orphelinats sans contacts humains chaleureux et restant sur leur lit en sont des exemples.
D. L’article 20évoque la situation de l’enfant qui, « privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l’Etat » ; bien que ne soit pas utilisée ici l’expression « intérêt supérieur de l’enfant », il apparaît qu’il est bien question de cela ici, en particulier pour les enfants connus en France comme « mineurs étrangers isolés » ; ils y parviennent le plus souvent par des réseaux clandestins en fuyant des pays en guerre ou en situation économique précaire, et ont besoin d’être sécurisés par des interventions sociales ou judiciaires afin de ne pas être récupérés par d’autres réseaux clandestins à des fins de prostitution, de délinquance organisée ou de travail illégal.
E. L’article 21relatif à l’adoption pose également en considération primordiale l’intérêt supérieur de l’enfant en cette matière, afin d’éviter les éventuels intérêts liés à des ventes déguisées, ou tenant à des motivations pouvant mettre l’enfant en difficulté de la part des adoptants, même quand leurs intentions sont généreuses.
F. L’article 37intervient pour garantir à « l’enfant privé de liberté » comme ayant à répondre de ses actes devant la justice, un traitement humain ; il est ici posé en principe, juste après avoir réaffirmé de ne pas soumettre l’enfant à la torture, à la peine capitale, à emprisonnement à vie, aux arrestations arbitraires, de le séparer des adultes lorsqu’il est privé de liberté.
Et ce, sauf quand on estime « préférable de ne pas le faire dans l’intérêt supérieur de l’enfant, et il a le droit de rester en contact avec sa famille par la correspondance et par des visites… ».
Cette particularité de ne pas le séparer des adultes peut concerner un adulte en situation de protéger l’enfant. Ainsi, une mère, incarcérée, met au monde un enfant qui a besoin de son contact pour se développer. En France, un petit enfant peut rester dix huit mois avec sa mère, au-delà desquels l’incarcération est considérée comme rapidement nocive pour son évolution.
G. L’article 40fait aussi référence à l’enfant ayant à s’expliquer dans le cadre de la loi pénale au sujet d’une infraction ; l’une des garanties énoncées est que sa cause soit entendue sans retard, et, « à moins que cela ne soit jugé contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant en raison notamment de son âge ou de sa situation, en présence de ses parents ou représentants légaux » ; il est facile de comprendre qu’il est par exemple préférable qu’un parent qui reproche à son enfant de ne pas mentir devant un juge ne le trouble pas durant les débats, ou, à l’inverse, ne le menace pas de façon excessive incompatible avec la recherche de la vérité.
L’intérêt de l’enfant est bien présent, cependant il doit passer par son introduction en droit national car un enfant ne peut saisir lui-même le Comité des droits de l’enfant. Ces dispositions sont de plus en plus intégrées au droit interne français et avec le droit interne aux pays d’Europe. L’étude portera sur la France à travers plusieurs exemples.
II. La notion d’intérêt de l’enfant en France
A. L’enfant à protéger dans le cadre civil
1. Si l’enfant est d’abord considéré comme devant « honneur et respect à ses père et mère » par une loi du 4 juin 1970 (article 371 du code civil), la loi du 4 mars 2002 prend en compte l’intérêt de l’enfant en en faisant la finalité de l’autorité parentale (article 371-1), qui sera contrôlée par le juge naturel de la famille, c’est-à-dire le juge aux affaires familiales institué par la loi du 8 janvier 1993. Ainsi l’enfant, par cette loi et en fonction de cet intérêt, sera ou ne sera pas séparé de ses frères et sœurs, verra ou non ses grands-parents, sera sous l’autorité de l’un ou de ses deux parents, vivra ou visitera l’un ou l’autre en cas de séparation parentale. L’ordonnance réformant la filiation le 4 juillet 2005 donne aussi la priorité à l’intérêt de l’enfant, notamment en ne distinguant plus entre les enfants naturels et les enfants légitimes.
La Cour de cassation, par un arrêt en date du 25 mars 2009 (1ère civ no 0814.917), s’est fondée sur l’intérêt supérieur de l’enfant pour estimer caractérisés des motifs graves permettant de « refuser un droit de visite et d’hébergement à un parent qui exerce conjointement l’autorité parentale » : un parent avait emmené son enfant dans un autre pays sans l’accord de l’autre pour des congés, d’une façon qui avait perturbé l’enfant.
2. En cas de danger, un juge spécialisé intervient, le juge des enfants : parmi les principes qui dirigent son action, il doit « se prononcer en stricte considération de l’intérêt de l’enfant » (loi du 2 janvier 2004 sous l’article 375-1 du code civil).
Pour donner un exemple, il est parfois difficile de respecter les autres principes en même temps que celui-ci : la recherche de l’adhésion des parents, le principe du contradictoire lorsqu’un enfant demande que ses paroles ne soient pas répétées à ses parents, la priorité du maintien de l’enfant dans son milieu familial, le respect des convictions religieuses et philosophiques de l’enfant et de sa famille. Ainsi, des parents voulant renvoyer leur fille dans leur pays d’origine pour l’y marier à quatorze ans à un homme de 40 ans, un enfant qui invoque des gestes de nature sexuelle commis par un proche, une famille décrétant que l’enfant est une sorcière d’après leur coutume et qui l’enferment, le refus d’un parent de dire quelle est la véritable mère ou le véritable père de l’enfant, les occasions de rechercher l’intérêt de l’enfant sont multiples et ses définitions également.
Aussi cet intérêt est habituellement défini lors de la motivation de chaque décision du juge qui rencontre l’enfant, et peut varier d’une décision à l’autre en fonction du contexte familial et personnel de l’enfant. Entre le juge aux affaires familiales et le juge des enfants, les relations sont plus organisées à présent en vue d’effectuer la communication de pièces du dossier existant chez l’un de ces deux juges au profit de l’autre lorsqu’il doit statuer, afin d’améliorer la perception de la situation de l’enfant et de sa famille.
3. L’intérêt de l’enfant sert également de base à la dernière réforme envisagée du projet de loi relatif à l’adoption, dont l’exposé des motifs en avril 2009 exprime clairement qu’il est fondé sur l’intérêt supérieur de l’enfant : accompagnement des personnes désirant adopter, création d’un comité interministériel pour l’adoption, accélération des procédures en cas de désintérêt des parents évoluant vers un abandon avant une adoption…
B. L’enfant dans le cadre pénal
En tant que victime, l’enfant fait l’objet d’auditions mais cet aspect, présent dans une autre partie du colloque, ne sera pas développé ici ; on peut rappeler que dans toutes les phases de la procédure, la recherche de son intérêt amènera des règles de protection spéciales : un administrateur ad hoc, l’éloignement entre l’enfant et l’auteur, qui peut ne pas être comprise par l’enfant et nécessitera un accompagnement particulier. Auteur supposé d’un délit ou d’un crime, l’intérêt d’un mineur sera pris en compte par diverses mesures : l’assistance d’un avocat par exemple est obligatoire à toutes les phases de la procédure et il sera jugé par des magistrats spécialisés en vertu de textes qui lui sont consacrés, avec une priorité au principe de l’éducatif avant le répressif qui reste de son intérêt depuis le préambule de la Constitution de 1946 même si les réformes annoncées sont de nature à remettre en cause ces éléments. La réflexion entre les avocats et les magistrats à aussi abouti à définir qu’un mineur, lorsqu’il fait l’objet de plusieurs procédures pénales, aura intérêt à être toujours défendu par le même avocat ; cette pratique de plus en plus fréquente dans les tribunaux devrait être intégrée aux projets de réforme du droit pénal des mineurs.
Le respect de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950 et ratifiée par la France le 3 mai 1974 se conjugue aussi avec la recherche de l’intérêt de l’enfant appliqué par la Cour européenne de justice, qu’un enfant peut saisir directement.
C. L’enfant dans le cadre administratif
Par l’arrêt Cinar du 22 septembre 1997, le Conseil d’Etat a estimé que relève de l’intérêt supérieur de l’enfant son droit à ne pas être séparé de ses parents : en cas de refus d’un regroupement familial, l’enfant qui n’est pas autorisé à séjourner en France par un préfet alors que personne ne s’est occupé de lui dans son pays d’origine n’a pas à être séparé de sa mère résidant en France. Cet arrêt a fait application de l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant. Dernièrement le Conseil d’Etat a, dans un rapport en date du 6 mai 2009 demandé par le Premier Ministre, recommandé de faire prévaloir l’intérêt de l’enfant sur le droit à l’enfant que des aspirants au rôle de parents assurent avoir en demandant la légalisation de la « gestation pour autrui » : l’enfant à naître serait l’objet d’une transaction dès lors illégale. La notion d’intérêt de l’enfant est à présent au centre des procédures qui le concernent.
Plus les adultes qui ont à s’en occuper sont malmenés, plus ils risquent à leur tour de malmener l’enfant dont ils sont responsables ou de ne pouvoir le protéger des dangers extérieurs, nationaux, internationaux et environnementaux.
En France cette notion d’intérêt de l’enfant est de plus en lien avec les récentes recherches médicales sur « l’enfant-médicament », les dernières réformes développant l’audition de l’enfant que le décret du 20 mai 2009 organise : il paraît difficile d’imaginer rechercher l’intérêt de l’enfant sans l’entendre ou, tout au moins, sans le rencontrer si son audition risque d’être, précisément, contraire à son intérêt… Bien que sa définition reste encore évolutive au cas par cas, et qu’on sache en effet plus souvent dire ce qui est contraire à l’intérêt d’un enfant que ce qui lui est bénéfique, cette notion se rapproche de celles du respect d’un être fragile, différent, souvent au centre d’enjeux qu’ils n’a ni créés, ni compris, et qu’il ne connaît parfois pas. En somme, il pourrait être ce qui permet de ne pas se servir d’un enfant comme un instrument des rêves et désirs des adultes et de respecter, d’une façon adaptée à son âge, la construction de sa personnalité et l’environnement dans lequel il évolue en favorisant l’amour qu’il a besoin de recevoir pour se développer.
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