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Parjure, outrage et privilège : les pouvoirsParjure, outrage et privilège : les pouvoirs

Parjure, outrage et privilège : les pouvoirs

Parjure, outrage et privilège : les pouvoirs

par Charles Robert et Blair Armitage

Le présent document porte sur l’histoire du privilège et de l’assermentation de

témoins ainsi que sur les enjeux qui s’y rapportent. En somme, il y est soutenu que les

pouvoirs relatifs à l’outrage que possèdent les comités ne suffisent pas toujours à

exiger la comparution de témoins ni à les contraindre à témoigner; que, en

prévoyant par voie législative le pouvoir de faire prêter serment, en soustrayant les

témoignages sous serment aux protections habituelles du privilège en cas de parjure

et en confiant aux tribunaux la responsabilité des poursuites dans les cas de parjure,

le Canada a créé un mécanisme plus efficace pour sévir contre ceux qui mentent à un

comité parlementaire; que les dispositions de la Charte garantissant la primauté du

droit et l’application régulière de la loi peuvent entrer en conflit avec les pouvoirs de

coercition du Parlement; que d’autres pouvoirs allégués, comme la capacité

d’imposer des amendes aux contrevenants, peuvent également être contestables;

que le pouvoir de sanctionner l’outrage et d’imposer des amendes ne peut plus être

affirmé avec certitude tant que les tribunaux ne se seront pas prononcés. Comme solution,

les auteurs proposent qu’on réalise une étude exhaustive des privilèges et des

pouvoirs du Parlement en ce qui concerne ses comités et qu’on envisage de faire en

sorte que les comités soient équipés correctement pour agir à l’égard des

interprétations des droits juridiques et humains qui ont cours depuis l’adoption de la

Charte.

L

’utilisation de pouvoirs de coercition par le Parlement a

deux fonctions identifiables : contraindre ou punir. La

contrainte peut servir dans le cas de témoins qui hésitent

ou répugnent à coopérer; il s’agit d’une situation immédiate.

Les sanctions servent après le fait, à l’encontre de témoins dont

le comportement a été jugé offensant pour la dignité du comité.

La possibilité de recourir à la contrainte ou aux sanctions est

laissée entièrement à la discrétion du comité, sous réserve de

confirmation par la Chambre. L’histoire de ces pouvoirs de

coercition et leur efficacité n’ont pas fait l’objet d’études ni

d’observations très importantes. L’ouvrage

Le privilège

parlementaire au Canada

, de Joseph Maingot, est l’un des

seuls qui aient abordé la question, mais son analyse ne se

prétend pas exhaustive, et Maingot ne se demande pas

vraiment si ces pouvoirs conviennent encore de nos jours, bien

qu’il soit sensible à l’évolution du contexte juridique provoqué

par l’ajout de la

Charte à la Constitution. Faudrait-il revoir ces

pouvoirs pour en maximiser l’utilité dans le contexte

contemporain? Se sont-ils ressentis de la proclamation de la

Charte

, qui garantit les droits individuels, notamment

l’application régulière de la loi et la protection contre

l’auto-incrimination?

Les privilèges et les pouvoirs du Parlement du Canada

découlent des pratiques et traditions parlementaires

HIVER 2007/REVUE PARLEMENTAIRE CANADIENNE 29

Charles Robert et Blair Armitage sont les greffiers principaux du

Sénat. Les opinions exprimées dans les pages qui suivent leur sont

propres. Les auteurs remercient chaleureusement Stephen Dunbar et

Vincent MacNeil de leur aide sur le plan de la recherche et de la

correction du texte.

britanniques. En Angleterre, la Chambre des communes exerce

depuis des siècles ses pouvoirs à l’égard de l’outrage. Comme

élément de la Haute Cour du Parlement, elle avait le droit

inhérent d’insister sur une coopération complète des témoins

convoqués à la barre de la Chambre ou devant l’un de ses

comités. Le refus de se conformer aux demandes d’information

pouvait entraîner diverses sanctions, dont des remontrances,

des réprimandes et, assez fréquemment, l’emprisonnement.

Il se trouve que l’affirmation fructueuse de la suprématie du

Parlement, à la fin du XVII

e siècle, a confirmé ces pouvoirs et a

également contribué à des excès dans leur utilisation. Le

jugement rendu dans l’affaire

Stockdale v. Hansard comprend

une liste d’excès commis pendant un siècle

1. Parmi les pires

exemples, il faut noter la violation des biens privés de députés,

comme le braconnage et des intrusions, voire l’éviction de

locataires pour non-paiement du loyer. Ces excès n’avaient

aucun lien avec une interprétation stricte de la notion

d’outrage, car les faits ne constituaient pas une entrave au

fonctionnement de la Chambre ni à la participation des députés.

Ces pratiques excessives ont fini par être tempérées, et, ce qui

convient mieux, on a limité le recours aux pouvoirs en matière

d’outrage aux cas où il fallait faire respecter les ordres de la

Chambre dans la poursuite de ses travaux.

Outre le pouvoir relatif à l’outrage, la Chambre des

communes a réclamé le droit de faire prêter serment aux

témoins, droit qui lui a été intégralement conféré par voie

législative en 1871. À la différence de ce qu’on observait à la

Chambre des lords, les Communes ne possédaient pas ce droit

de façon inhérente parce qu’elles n’exerçaient pas de fonctions

judiciaires. Par contre, elles s’occupaient de questions quasi

judiciaires comme les élections contestées et les requêtes en

divorce. Les premières tentatives d’audition de témoins sous

serment ont été entachées de procédures irrégulières. Lorsque

des députés étaient également magistrats, on pouvait leur

demander de faire prêter serment aux témoins. Il est arrivé

aussi que des témoins soient envoyés prêter serment à la barre

de la Chambre des lords. Ces pratiques, qui n’étaient pas

autorisées par la loi, ont été utilisées sporadiquement pendant

une centaine d’années, jusqu’à leur abandon, au milieu du

XVIII

e siècle.

Si on préférait entendre les témoins sous serment, c’est en

partie à cause d’au moins deux raisons. D’abord, il s’agissait de

faire comprendre aux députés commeaux témoins le sérieux de

certaines des délibérations des comités. Deuxièmement, le

nombre croissant de projets de loi d’intérêt privé accentuait le

besoin d’entendre les pétitionnaires sous serment, pour éviter

que le Parlement ne légifère en s’appuyant sur des informations

fausses.

Le

Grenville Act de 1770 a été la première loi à remplacer

cette approche fragmentaire par une démarche plus

systématique. Il s’agissait de permettre aux comités qui

étudiaient les cas d’élections contestées de se comporter

davantage comme s’il s’agissait d’un procès. Cette même loi a

également autorisé la Chambre des communes à faire prêter

serment à des témoins à la barre dans certains cas. Diverses

modifications ont été apportées à cette loi et à d’autres lois

analogues après 1770, de façon à étendre la portée de l’action

des comités et les sujets pour lesquels ils pouvaient faire prêter

serment. Les questions étudiées étaient surtout des élections

controversées et des cas de divorce.

Pour finir, le

Parliamentary Witnesses Oaths Act de 1871 a

accordé à la Chambre des communes et à ses comités le droit de

faire prêter serment sans aucune restriction. Pour en reprendre

le texte, « toute personne ainsi interrogée qui a délibérément

livré un faux témoignage est passible des sanctions pour

parjure ». Avant l’adoption de ces textes législatifs, l’article 9

du

Bill of Rights interdisait aux tribunaux d’utiliser le moindre

élément des délibérations parlementaires comme preuve à

quelque fin que ce soit. Les lois permettant l’assermentation

des témoins, plus particulièrement la loi de 1871, ont levé cet

obstacle en prévoyant une exception législative à l’article 9.

Cette interprétation a été confirmée par le Comité mixte du

privilège parlementaire du Royaume-Uni en 1999

2 et par

Maingot

3. Jusqu’à l’adoption du Defamation Act 19964, qui

permet une utilisation limitée du

Hansard par les députés

comme élément de preuve dans les actions en diffamation, le

parjure était la seule exception à l’article 9.

Ces exceptions à l’article 9 n’ont pas entravé les pouvoirs de

coercition du Parlement, au contraire. À cause de l’ajout du

pouvoir d’assermentation, on pouvait retenir contre les

témoins deux accusations distinctes, l’outrage et le parjure.

Selon les circonstances, on pouvait porter une accusation ou

l’autre ou encore les deux. Ce fait a été reconnu dès 1844 dans

la première édition de l’ouvrage d’Erskine May,

Treatise on

the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament

. Le

rapport britannique de 1999 sur le privilège a également

signalé cette double responsabilité, sans exprimer de

préoccupation particulière, mais un juge britannique a

manifesté une certaine inquiétude récemment au sujet de la

possibilité de résultats contradictoires, s’il était donné suite aux

deux accusations. En réalité, la chose ne s’est jamais produite

et elle semble fort peu probable

5.

On ne trouve au XIX

e siècle que trois exemples

d’accusations de parjure qui ont été recommandées par la

Chambre des communes. Ils sont tous les trois antérieurs à la

loi de 1871 et il s’agit, dans tous les cas, de faux témoignages

relatifs à l’examen, par un comité, d’une élection contestée

6.

Ces exemples ont suscité l’impression que des poursuites

pour parjure ne peuvent être intentées que sur recommandation

de la Chambre, ou que des poursuites doivent être intentées si

la Chambre le demande. Cette position ne semble guère

fondée. Comparaissant en 1869 devant un comité spécial des

Communes, Erskine May a proposé une autre interprétation.

Comme on lui demandait s’il ne pouvait y avoir mise en

accusation pour parjure qu’avec la permission de la Chambre,

May a répondu par la négative :

30 REVUE PARLEMENTAIRE CANADIENNE/HIVER 2007

…la Chambre des communes serait dans la même position que

tout autre tribunal qui fait prêter serment; et la loi du parlement

dirait, comme ce fut le cas dans la loi de 1858, que « toute

personne ainsi interrogée qui a délibérément livré un faux

témoignage est passible des sanctions pour parjure». C’est

maintenant le cas en ce qui concerne les comités relatifs aux

projets de loi d’intérêt privé, ainsi que les comités de la

Chambre des lords; et je ne vois pas pourquoi la Chambre des

communes serait traitée différemment

7.

Mays’est servi de l’exemple des tribunaux pour montrer que

la décision de porter une accusation de parjure serait prise, en

fin de compte, à la discrétion de l’autorité chargée des

poursuites. La décision n’a pas à dépendre d’une autorisation

ni même d’une plainte des Communes. Cette position a été

appuyée tout récemment encore, en juillet 2007, dans un

rapport du comité constitutionnel de la Chambre des lords

chargé d’étudier le rôle du procureur général

8.

Les pouvoirs de coercition demeurent une caractéristique du

Parlement britannique. Ils sont toujours considérés comme

utiles, mais le rapport britannique de 1999 sur le privilège en a

recommandé une actualisation. Loin de proposer que ces

pouvoirs fassent l’objet de compromis ou soient réduits, le

comité a présenté des moyens de les rendre plus efficaces,

notamment en ajoutant le pouvoir d’imposer des amendes pour

punir les auteurs d’outrage.

Expérience canadienne après la Confédération

Les privilèges de la Chambre des communes de Westminster

ont été consacrés par l’article 18 de la

Loi constitutionnelle de

1867

, ce qui englobe implicitement l’article 9 du Bill of Rights

et tous les pouvoirs inhérents qui permettent de sévir en cas

d’outrage. Le pouvoir de faire prêter serment n’était pas

compris dans cet ensemble. La nécessité de ce pouvoir n’a

toutefois pas tardé à devenir évidente et des mesures ont été

prises rapidement pour l’accorder

9.

L’incapacité de faire prêter serment était considérée comme

un obstacle dans l’étude des requêtes en divorce, car les

divorces étaient alors accordés par projet de loi d’intérêt privé.

Dans les mois qui ont suivi sa création, le Sénat a été saisi d’un

projet de loi sur un divorce qui présentait de graves difficultés,

notamment l’incapacité du Sénat d’interroger les témoins sous

serment

10. Le Parlement britannique avait légiféré en 1858

pour donner aux comités de la Chambre des communes de

l’empire le pouvoir de faire prêter serment aux témoins. Ce

pouvoir était limité à l’étude des projets de loi d’intérêt privé,

mais, au Canada, ce pouvoir n’avait pas encore été accordé, de

sorte que le comité sénatorial a préféré se reporter aux

témoignages sous serment livrés à la Cour supérieure, à

Montréal

11.

Pour éviter de se conformer à ce précédent étrange et

d’éprouver des difficultés dans des cas semblables par la suite,

le Parlement a immédiatement adopté la

Loi sur les serments,

en 1868. Le pouvoir de faire prêter serment était limité aux cas

de témoins qui comparaissaient à la barre du Sénat, et il était

consenti seulement aux comités spéciaux de chacune des deux

chambres chargés d’étudier les projets de loi d’intérêt privé.

En 1873, le scandale du Pacifique a renforcé l’impression

qu’un pouvoir d’assermentation plus général était nécessaire

12.

Le gouvernement était empêtré dans des allégations de

ristournes sur des marchés visant le Chemin de fer du

Pacifique. L’examen parlementaire de la question était limité,

parce que le pouvoir de faire prêter serment aux témoins était

insuffisant. Une nouvelle

Loi sur les serments a été adoptée

pour accorder un pouvoir plus général à cet égard, loi qui

s’inspirait de l’exemple britannique, qui remontait à deux ans

plus tôt.

Le gouvernement britannique a désavoué la

Loi sur les

serments

au motif qu’elle était inconstitutionnelle, parce

qu’elle outrepassait les limites de l’article 18. En 1875, le

Royaume-Uni a modifié l’

Acte de l’Amérique du Nord

britannique

pour permettre au Parlement du Canada

d’actualiser ses privilèges de temps à autre, pourvu que ces

privilèges demeurent semblables à ceux des Communes

britanniques. À la session suivante, en 1876, le Parlement du

Canada a adopté une nouvelle loi qui donnait aux deux

chambres le pouvoir général de faire prêter serment à des

témoins. Au départ, les comités ne pouvaient exercer ce

pouvoir que si, au cas par cas, la Chambre leur en donnait

l’autorisation. Cette dernière loi donnait également la

possibilité de faire une affirmation solennelle au lieu de prêter

serment. Ces dispositions demeurent, en grande partie,

inchangées de nos jours.

Il y a au Canada peu d’exemples de controverse découlant de

l’utilisation du pouvoir relatif à l’outrage. Deux exceptions,

l’affaire

McGreevy et l’affaire R.C. Miller, révèlent les limites

de ce pouvoir et montrent qu’il est plus faible qu’il n’est censé

l’être.

En 1891, le Comité des privilèges et des élections de la

Chambre des communes a étudié des allégations d’irrégularités

dans de nombreux marchés de l’État valant des millions de

dollars. Au centre des allégations, la conduite d’un député,

Thomas McGreevy. Membre du Parti libéral-conservateur de

MacDonald, il a été député de 1867 à 1891. Au cours des

années 1880, il a accepté des montants considérables pour

exercer son influence comme commissaire du port de Québec

et trempé dans d’autres incidents de corruption qui lui ont

rapporté près de 250 000 $.

Le Comité a opté pour une approche analogue à celle d’une

enquête. Son rapport renvoyait à plus de 400 pièces et à

quelque 1 200 pages de témoignages recueillis auprès de 80

témoins assermentés. Le rapport visait presque exclusivement

à documenter l’affaire pénale. Le Comité ne s’est guère attardé

aux questions administratives découlant des faits, par exemple

la responsabilité des ministres et les améliorations de la

politique propres à prévenir d’autres scandales semblables

13.

HIVER 2007/REVUE PARLEMENTAIRE CANADIENNE 31

Pour l’essentiel, McGreevy a coopéré avec le Comité. Il a

comparu et a accepté de témoigner sous serment. Toutefois, il a

refusé fermement de coopérer sur un point : le 12 août 1891, le

Comité lui a demandé à maintes reprises de révéler le nom de la

personne à qui il avait versé 20 000 $. Les membres du Comité

voulaient plus particulièrement qu’il réponde aux allégations

voulant qu’il ait, directement ou indirectement, versé cet argent

au ministre des Travaux publics. Malgré l’insistance du

Comité, McGreevy a refusé de répondre.

Le 13 août 1891, le Comité a fait rapport à la Chambre, qui, à

son tour, a ordonné à McGreevy de se présenter à son fauteuil.

Comme il ne l’a pas fait, le président a émis un mandat

d’arrestation et ordonné au sergent d’armes d’incarcérer

McGreevy. Par la suite, le sergent d’armes a dit qu’il était

incapable de le retrouver. Le 29 septembre 1891, la Chambre a

expulsé McGreevy.

L’affaire

McGreevy a été parmi les premiers cas où un

comité a examiné des allégations d’irrégularités graves dans

les marchés de l’État. Quelle qu’en soit la valeur sur d’autres

plans, elle illustre les limites du pouvoir relatif à l’outrage

comme moyen d’obtenir la coopération des témoins, fût-ce

sous serment. La Chambre a exercé la totalité de ses pouvoirs,

tout d’abord en ordonnant au témoin de se présenter, puis, au

bout du compte, en l’expulsant comme député. Il reste que le

Comité n’a jamais obtenu réponse à toutes ses questions.

À l’évidence, la Chambre des communes était exaspérée par

les limites de son pouvoir, face à l’outrage au Parlement. Et

cette exaspération a été aggravée par le comportement de

McGreevy et la conviction que plusieurs témoins entendus par

le Comité s’étaient parjurés

14. Le 12 avril 1892, la Chambre a

adopté une résolution autorisant l’utilisation de la transcription

des délibérations de ses comités, des pièces recueillies et

d’autres documents comme preuve dans les instances

judiciaires visant une gamme d’infractions, notamment la

conspiration, le détournement de fonds et le parjure.

La Chambre était pleinement consciente que cette résolution

dérogeait directement à ses propres privilèges. Voilà ce que

révèle le libellé de la résolution, qui comprend une mise en

garde explicite disant qu’elle ne devait pas être utilisée comme

précédent. Voici un passage de la résolution :

…cette chambre, tout en se désistant de ses privilèges dans ces

cas particuliers [...] ne cède en aucun sens ses droits

imprescriptibles et indéniables…

La décision de rendre les documents disponibles pour

faciliter les poursuites a probablement eu peu d’effet, voire

aucun; ce fut en grande partie un geste vain. Le gros des

documents a été soumis aux ordonnances ordinaires de la cour

visant la production de documents

15. Ceux qui ont témoigné

devant le comité (en dehors de l’accusé) pouvaient facilement

être cités à comparaître. Les seules inculpations au pénal pour

lesquelles on aurait pu se fier aux documents parlementaires

étaient celles de parjure, pour lesquelles les transcriptions des

délibérations de comité étaient déjà admissibles aux termes de

la

Loi sur les serments.

L’affaire

R. C. Miller

Au printemps de 1912, le Comité des comptes publics de la

Chambre des communes a essayé de voir si des pots-de-vin

avaient été versés pour des marchés de l’État mettant en cause

la Diamond Light and Heating Company. Il a convoqué son

ancien président, R. C. Miller, à titre de témoin, mais celui-ci

n’a pas tenu compte de cette assignation.

Un an plus tard, en février 1913, il a enfin comparu,

accompagné d’un avocat, il a prêté serment, mais il a refusé de

répondre à toutes les questions parce que ses réponses

pouvaient lui nuire dans un litige en instance. Le Comité a fait

rapport de ce refus de coopérer, et la Chambre a ordonné à

Miller de se présenter à la barre. Le 18 février, il l’a fait,

accompagné d’un avocat, il a prêté serment, mais il a de

nouveau refusé de répondre aux questions.

La Chambre a alors ordonné sa mise en détention jusqu’à ce

qu’il accepte de répondre aux questions ou jusqu’à ce que la

Chambre ordonne sa remise en liberté. Il a été mené à la prison

du comté de Carleton. On ne trouve dans les

Journaux aucune

trace d’ordre de libération, et il n’a jamais comparu de nouveau

pour répondre aux questions. On présume qu’il est resté en

prison jusqu’à la prorogation de la Chambre, le 6 juin, quelque

trois mois et demi plus tard.

Devant un témoin obstiné et déterminé, la Chambre a, une

fois de plus, été incapable d’obtenir sa coopération au moyen

de ses pouvoirs ordinaires relatifs à l’outrage. Si lui et son

avocat étaient au courant de l’affaire

McGreevy, il a peut-être

craint que le Parlement ne communique son témoignage au

Comité pour qu’il serve de preuve dans son procès au civil.

Dans l’affirmative, la décision du Parlement de se désister de

ses propres privilèges dans l’affaire

McGreevy a eu pour

conséquence un affaiblissement de sa capacité de persuader

d’autres témoins de coopérer.

La possibilité d’une conséquence aussi paradoxale a été au

coeur d’une décision judiciaire récente portant sur la

Commission d’enquête sur le programme de commandites et

les activités publicitaires. La Commission avait refusé

d’autoriser le contre-interrogatoire des témoins fondé sur des

déclarations qu’ils avaient faites antérieurement au Comité des

comptes publics de la Chambre des communes. Pour motiver le

rejet d’une demande de révision judiciaire, la juge

Tremblay-Lamer a écrit notamment :

…il est important pour la démocratie canadienne qu’un témoin

puisse parler ouvertement devant un comité parlementaire. Cet

objectif sera accompli s’il ne craint pas, au moment où il

témoigne devant ce comité, que l’on puisse utiliser ses paroles

par la suite pour le discréditer dans une autre instance [...]

L’incertitude quant à la portée du privilège qui lui est accordé

peut accentuer le sentiment de vulnérabilité d’un témoin et

l’empêcher de s’exprimer ouvertement, ce qui réduirait

évidemment l’efficacité des audiences devant les comités

parlementaires

16.

32 REVUE PARLEMENTAIRE CANADIENNE/HIVER 2007

M

me la juge Tremblay-Lamer a signalé qu’il y avait un

danger à modifier après coup la protection accordée aux

témoins par le privilège parlementaire. Une fois informés de

cette possibilité, les témoins, incertains de l’étendue de ce

privilège, seraient moins portés à donner des réponses

complètes et véridiques. L’efficacité du processus

parlementaire, dont la crédibilité serait douteuse, serait

gravement menacée.De façon analogue, la

Loi sur la preuve au

Canada

, adoptée en 1893, interdit, dans certaines

circonstances, l’usage de témoignages incriminants livrés sous

la contrainte, dans des instances ultérieures, au pénal ou au

civil, ou les rend inadmissibles

17. Le principe de justice

naturelle sous-jacent à cette loi peut également expliquer

pourquoi des autorités comme Maingot et le Comité mixte du

privilège parlementaire, au Royaume-Uni, rejettent l’idée

d’une dérogation rétroactive

18. Tous deux soutiennent que tout

régime permettant de faire exception au privilège doit être

appliqué avant le fait, par l’adoption d’un texte législatif

explicite disant qu’une dérogation au privilège parlementaire,

prévue par la loi, ne peut être faite par la suite au moyen d’une

résolution. Leur assertion est appuyée par des précédents

comme la

Loi sur les serments. Les poursuites pour parjure à

l’égard de déclarations faites par un témoin doivent, par

définition, reposer sur la preuve présentée au Parlement ou à

l’un de ses comités et supposent nécessairement l’invalidation

ou la remise en question d’un débat ou d’une instance dans un

tribunal ou un endroit extérieur au Parlement.

Comités du divorce

Au cours de ses 15 premières années d’existence, le

Parlement a étudié 18 requêtes en divorce. À l’époque, ces

requêtes donnaient lieu à une intervention législative et étaient

traitées comme tout autre projet de loi d’intérêt privé. Une fois

franchies les étapes préliminaires, dont la publication d’un avis

et la présentation d’une preuve de signification à la barre du

Sénat, la requête était renvoyée à un comité spécial. Le rapport

du comité faisait l’objet d’un long débat au Sénat.

On n’a pas tardé à prendre conscience que cette procédure

fort longue était peu pratique. En 1888, un processus simplifié

a été mis en place et un comité sénatorial permanent sur le

divorce mis sur pied

19. La Chambre des communes possédait

également un comité chargé des divorces, mais ses travaux

venaient presque toujours après ceux du Sénat. Le comité

sénatorial est resté actif pendant plus de 80 ans. Il a été dissous

en 1969, après que la

Loi sur le divorce a établi des modalités

uniformes de divorce dans le cadre judiciaire pour l’ensemble

du Canada, y compris au Québec et à Terre-Neuve, les

dernières provinces à avoir utilisé les modalités

parlementaires

20.

Les témoins qui comparaissaient devant le comité sénatorial

sur le divorce devaient toujours prêter serment. Leur

interrogatoire sous serment constituait un élément essentiel

pour juger du bien-fondé de la requête en divorce et décider s’il

y avait lieu ou non d’accorder celui-ci. Dans une intervention

au Sénat en 1962, le sénateur Arthur Roebuck, qui a longtemps

présidé le Comité sur le divorce, a signalé l’importance du

serment en disant que ce comité avait éprouvé des difficultés à

cause des faux témoignages, qu’il y avait, à ce moment-là, trois

personnes qui avaient été reconnues coupables et incarcérées et

que d’autres causes étaient en instance

21. Chaque cas où on

soupçonnait le parjure avait été signalé au procureur général de

la province

22.

L’étude des cas de divorce était un travail vraiment très lourd

pour les membres du Comité. Dans les années 1960, ils avaient

des centaines de requêtes en divorce à étudier à chaque session.

En laissant au procureur de l’Ontario le soin de s’occuper des

allégations de parjure, puisqu’il est le chef des agents

d’application de la loi à l’égard de tout crime commis dans le

territoire de la province, les membres du Comité étaient plus à

même de se concentrer sur les requêtes qui leur étaient

soumises, sans devoir se mêler de sévir contre les témoins

soupçonnés d’avoir menti. En outre, le ministère public

pouvait réclamer des sanctions plus lourdes que celles

imposées pour outrage

23. Voilà qui semblait souhaitable, étant

donné que le parjure avait donné lieu à l’adoption d’une loi

fédérale mal fondée. Lorsque les prévenus étaient cités devant

un juge, tous plaidaient coupable, et l’un d’eux a reçu une peine

d’emprisonnement de cinq ans, ce qui est bien plus qu’une

sanction pour outrage. Ce processus pénal n’empêchait pas le

Sénat d’intenter également des poursuites pour outrage, mais il

semble qu’il ne l’ait jamais fait.

Contexte actuel

Le pouvoir de sanction pour outrage est demeuré à peu près

statique depuis le début de la Confédération. La dernière

modification importante du pouvoir d’assermentation des

témoins a été apportée il y a 113 ans, en 1894, année où la

Loi

sur les serments

a été modifiée pour permettre aux comités des

deux chambres de faire prêter serment et autoriser le

remplacement du serment par l’affirmation solennelle. Depuis,

le contexte dans lequel les pouvoirs relatifs au privilège et les

pouvoirs connexes sont utilisés a changé radicalement. Les

privilèges, plus particulièrement les pouvoirs de coercition,

sont rarement invoqués. Leur adaptation à un contexte

moderne est entravée par des lacunes sur les plans de la

compréhension pratique et de l’application concrète. L’accès à

l’information pour le Parlement risque d’être compromis si ces

pouvoirs, notamment les pouvoirs de coercition, ne sont pas

optimisés en fonction du contexte actuel.

Le Parlement agit maintenant sur la place publique, ce qui

est radicalement différent de la situation qui régnait il y a un

siècle. Les délibérations parlementaires sont diffusées

largement et instantanément par des moyens électroniques. Les

médias de masse, les chaînes d’information continue et un

large accès par Internet ont pour conséquence que l’exercice

des pouvoirs est examiné de façon plus large et plus critique

que cela n’était possible il y a cent ans. Les soupçons de parjure

peuvent maintenant venir de sources extraparlementaires.

Au cours des 60 dernières années, l’appareil

gouvernemental a connu une croissance exponentielle. Dans

HIVER 2007/REVUE PARLEMENTAIRE CANADIENNE 33

les premières années de la Confédération, le Cabinet comptait

moins d’une douzaine de ministres. De nos jours, il y en a

fréquemment jusqu’à une quarantaine. Le Parlement surveille

près de 100 ministères, offices, organismes, commissions,

« organismes de service spécial » et sociétés d’État.

Il faut de plus en plus avoir un accès facile à des

renseignements sûrs pour alléger le travail difficile qu’exige

l’examen approfondi d’une organisation aussi complexe que le

gouvernement du Canada. Par voie de conséquence, il est de

plus en plus impérieux de veiller à ce que des témoins disposés

à coopérer livrent des témoignages complets, conformes à la

vérité et exacts.

Les pouvoirs de coercition du Parlement sont apparus bien

avant que les droits de la personne ne soient consacrés par la

Constitution, dans la

Charte. La décision rendue par la Cour

suprême dans l’affaire

Vaid montre qu’on ne peut tenir pour

acquises les hypothèses reçues au sujet des pouvoirs et des

privilèges du Parlement

24. La conclusion ici (dans le contexte

du présent article) est qu’il faut revoir ces pouvoirs de

coercition et les mettre à l’abri de toute contestation. Plus

particulièrement, le pouvoir d’incarcération, lorsqu’il est

exercé à des fins punitives, est vulnérable aux contestations

fondées sur la

Charte.

La constitutionnalisation des droits a également entraîné une

évolution des attitudes à l’égard des institutions publiques.

Maintenant qu’on peut faire respecter ses droits en invoquant la

Constitution, on semble avoir moins de déférence, et il y a eu

récemment un certain nombre de causes judiciaires dans

lesquelles des privilèges et pratiques parlementaires ont été

contestés

25. Dans ces conditions, les témoins récalcitrants ou

peu coopératifs risquent de se faire plus nombreux, rendant les

pouvoirs des comités donc d’autant plus importants.

Les ministères et les programmes gouvernementaux se sont

multipliés, mais le nombre de comités parlementaires chargés

de les examiner a également augmenté. Pour assumer cette

charge de travail, le Parlement a dû rationaliser son rôle et ses

procédures internes. Il a rationalisé les travaux des chambres en

fixant des limites de temps pour les débats, en simplifiant

l’étude des crédits et en adoptant des règles d’attribution de

temps. Chacune des chambres a délégué une grande partie de

son travail à des comités permanents et à des mandataires

importants du Parlement, comme le vérificateur général.

Dans les années qui ont suivi la Confédération, il n’y avait

guère qu’une poignée de témoins qui comparaissaient au cours

d’une session. Aujourd’hui, les témoins se comptent par

milliers et des mémoires sont présentés au cours de toutes les

sessions. Par conséquent, le nombre d’heures consacrées aux

travaux des comités a augmenté considérablement, tout comme

celui de rapports produits. Il importe de signaler que ce travail

monopolise la majeure partie du temps des comités. On a fort

peu besoin d’interroger les témoins sous serment, car la

majorité d’entre eux comparaissent volontairement pour

exprimer leur opinion, pour donner leur avis sur des politiques

et des projets de loi. Les serments sont désormais réservés

presque exclusivement aux enquêtes portant sur des faits

concrets et visant à établir la vérité ou une séquence

d’événements.

Le Parlement a beaucoup fait pour s’adapter à l’expansion

de ses responsabilités, mais fort peu pour examiner—a fortiori

actualiser — ses pouvoirs de coercition.

Options

Après une évolution de contexte qui s’étale sur plus d’un

siècle, il est peut-être temps de revoir les outils qui sont à la

disposition du Parlement pour garantir son accès à

l’information. Le meilleur moment pour le faire, c’est avant

que ces pouvoirs ne soient contestés. La qualité de

l’information et l’efficacité des outils qui permettent de

l’obtenir témoignent de la robustesse d’un gouvernement

démocratique et d’un sain processus d’élaboration de la

politique d’intérêt public.

La première option à envisager est un statu quo plus solide.

Un examen rapide permettrait de conclure que les pouvoirs de

sanction pour outrage et le droit de faire prêter serment aux

témoins suffisent. L’évolution observée dans le contexte

politique et le contexte des communications peut ne pas faire

ressortir la nécessité de modifications d’importance. Malgré

tout, il peut y avoir place pour une amélioration de la

compréhension, pour rendre plus cohérente et efficace

l’application des pouvoirs par l’élaboration de critères de

procédure permettant aux présidents de décider dans quelles

circonstances il y a lieu d’interroger les témoins sous serment.

En outre, les documents préparés pour informer les témoins

donnent une profusion de détails sur la façon de présenter un

exposé efficace devant un comité. Ils expliquent également la

protection que le privilège confère aux témoins. Par contre, ces

documents ne sont pas exhaustifs, et ils ne donnent aucune

information explicite sur les conséquences auxquelles les

témoins s’exposent s’ils ne coopèrent pas ou s’ils induisent

délibérément un comité en erreur, qu’ils soient sous serment ou

non.

Les pouvoirs de coercition sont bien établis et ils ont été

exercés de façon fructueuse par le passé. Cette « force

d’inertie » est le grand avantage du maintien du statu quo. Il

n’en demeure pas moins qu’un examen donnerait l’occasion de

faire appel aux pratiques exemplaires, de renforcer ces

pouvoirs à l’ère de la

Charte et d’être réaliste au sujet des

pouvoirs qui peuvent être exercés dans un contexte donné. Le

risque de contestation judiciaire ou politique du recours à ces

pouvoirs pourrait être atténué si un examen aboutissait à une

procédure fondée sur des principes et cohérente pour encadrer

leur utilisation dans l’intérêt de la politique d’intérêt public et

de la responsabilisation en démocratie.

L’inconvénient du maintien du statu quo est qu’il écarte la

possibilité d’innover en ce domaine. On raterait une occasion

de concevoir des outils pour garantir efficacement la

34 REVUE PARLEMENTAIRE CANADIENNE/HIVER 2007

production d’information pour le processus parlementaire. Il

existe un risque notable de contestation judiciaire, surtout en ce

qui concerne les éléments de ces pouvoirs qui vont directement

à l’encontre des protections accordées par la

Charte.

Une autre issue possible d’un examen serait la décision

d’abandonner simplement des pouvoirs qui sont restés

largement inutilisés et dont l’étude de l’expérience passée met

l’utilité en doute. Dans un rapport récent du service de

recherche du Congrès, les pouvoirs inhérents de sanctionner

l’outrage sont décrits comme « inconvenants, encombrants,

exigeants en temps et relativement inefficaces »

26. Il est

possible d’établir un constat semblable au Canada.

L’avantage de l’élimination du pouvoir d’incarcération en

général, suivant la recommandation du rapport du

Royaume-Uni sur le privilège, est d’abolir un élément du

privilège que bien des gens considèrent comme anachronique

et mêmepréjudiciable à la dignité du Parlement. Cela écarterait

aussi le risque de conflit avec les droits garantis par la

Charte.

Le risque de cette approche, c’est que le Parlement constate,

après les avoir abolis, qu’il a besoin de ces pouvoirs. Au milieu

d’un conflit avec un témoin qui pose problème, il ne serait pas

possible de rétablir un pouvoir qui a été éliminé par voie

législative. Cette abrogation constituerait aussi une approche

simpliste qui ne tient pas compte de la complexité des enjeux

qui sont à l’origine du pouvoir de sanction pour outrage.

Enfin, il est possible d’entreprendre un examen pour étudier

les possibilités d’actualisation des pouvoirs existants ou même

d’élaboration de nouveaux moyens de répondre aux besoins en

information de qualité dans le processus parlementaire. Les

possibilités sont nombreuses et l’expérience d’autres pays

indique des innovations qui pourraient s’adapter aux besoins

du Canada. Les moyens d’application pourraient aller d’une

modification des pratiques à l’adoption de nouvelles règles ou

de nouveaux articles du Règlement, en passant, dans certains

cas, par la promulgation d’une loi.

Par exemple, le

Parliamentary Privileges Act australien de

1987 prévoit le pouvoir d’imposer des amendes pour punir

l’outrage. Il s’agit d’une solution moyenne entre

l’admonestation et l’emprisonnement. Le Comité mixte

britannique a recommandé que son parlement s’engage

également dans cette voie, mais ces amendes seraient imposées

par la Chambre dans le cas des parlementaires et par les

tribunaux dans celui des non-parlementaires.

Le Congrès américain s’est inspiré du modèle britannique du

XIX

e siècle, celui de la pénalisation des faux témoignages par

le truchement du pouvoir inhérent de sanctionner l’outrage. Il

est allé plus loin en externalisant le moyen de traiter avec les

témoins qui ne coopèrent pas, de façon plus générale, et il a

rendu le comportement non coopératif passible de sanctions

pénales. En outre, à l’égard du pouvoir de sanctionner

l’outrage, les États-Unis ont prévu une « troisième voie » : le

dispositif juridique de l’outrage au civil a été ajouté à l’arsenal

du pouvoir inhérent et du pouvoir pénal. Le dispositif civil, qui

accorde à un tribunal le pouvoir d’entendre tout recours fondé

sur une poursuite pour outrage intentée par le conseiller

juridique du Sénat, a nettement allégé la charge liée à l’exercice

des pouvoirs de sanction de l’outrage et aidé à trouver une

solution moyenne entre la sanction à peu près dénuée de sens

qu’est l’admonestation, et la solution qui se trouve à l’autre

extrême, l’emprisonnement.

Le Canada a emprunté le modèle américain de pénalisation

de la non-coopération lorsqu’il a établi certains offices,

organismes et commissions aux termes de la

Loi sur les

enquêtes

. Pourtant, on n’a jamais songé à utiliser cette

approche pour élargir les pouvoirs d’enquête des comités

parlementaires. L’utilisation du processus pénal, qui peut

résister aux contestations fondées sur la

Charte, présente le net

avantage de réduire au minimum les incertitudes juridiques.

Ces dernières années, la Chambre des communes a envisagé

deux fois de passer outre à ses propres privilèges relativement

au témoignage de certaines témoins

27. Comme nous l’avons

déjà dit, plusieurs autorités s’interrogent sur les conséquences

juridiques du recours à une résolution à cette fin. Si l’on veut

que cette tactique devienne une arme de l’arsenal du Parlement,

l’examen aiderait à définir et à mettre en place des fondements

juridiques à cet égard, une série de critères permettant de

décider quand recourir à ce moyen, et une procédure adaptée.

L’innovation dans le domaine des privilèges n’est pas sans

risques. Le remplacement de pouvoirs anciens et bien établis

par des procédures nouvelles comporte aussi le risque d’autres

contestations judiciaires. Néanmoins, un examen approfondi

qui tienne compte du contexte politique, juridique,

constitutionnel et social moderne aiderait à élaborer des

approches innovatrices qui prévoient et atténuent ces risques.

Conclusion

Le pouvoir de sanction pour outrage et l’utilisation du

serment demeurent des outils utiles pour maintenir la capacité

des comités de convoquer les témoins et de réclamer les

renseignements dont les parlementaires ont besoin pour faire

correctement leur travail. Aujourd’hui plus que jamais, il est

essentiel d’avoir accès à de l’information sûre si l’on veut que

le Parlement soit efficace dans ses fonctions en matière de

législation et de responsabilisation. Par ailleurs, il est tout aussi

nécessaire de prendre conscience du contexte juridique et

social en évolution dans lequel le Parlement travaille. La

Charte

a profondément transformé les attitudes à l’égard des

droits de la personne. Raison de plus pour revoir sérieusement

la façon dont le Parlement utilise ses pouvoirs de coercition.

Les formes classiques de remontrances et de réprimandes ne

constituent pas forcément le moyen le plus efficace de

persuader des témoins récalcitrants ou entêtés de coopérer. Les

affaires

Thomas McGreevy et R. C. Miller, demeurent des

rappels utiles de la limitation des pouvoirs de coercition du

Parlement. Et désormais, l’emprisonnement, soit le pouvoir de

coercition extrême, pose problème des points de vue politique

HIVER 2007/REVUE PARLEMENTAIRE CANADIENNE 35

et juridique. On peut se demander si une peine de prison

imposée par les Communes ou le Sénat pourrait résister à une

contestation judiciaire en l’absence de garantie d’équité en

matière de procédure. Fait tout aussi important, une application

incohérente des privilèges au moyen de dérogations, comme

dans l’affaire

McGreevy, risque aussi d’être préjudiciable à la

capacité du Parlement d’obtenir l’information ou les éléments

de preuve nécessaires pour prendre correctement ses décisions.

Bien que les comités des deux chambres puissent faire prêter

serment aux témoins, les sanctions pour parjure ont été rares;

tous les cas qui ont été repérés concernent des requêtes en

divorce, avant que le processus du divorce ne soit confié aux

tribunaux, en 1969. L’expérience donne toutefois à penser que

l’utilisation du pouvoir de faire prêter serment a généralement

suffi pour faire comprendre aux témoins qu’il était important

de donner des réponses conformes à la vérité. Cette expérience

peut fort bien représenter un facteur utile à considérer dans

l’examen des pouvoirs de coercition du Parlement. La force de

ses pouvoirs tient au fait que toutes les conséquences négatives

auxquelles s’expose le faux témoin accusé de parjure relèvent

du système de justice pénale qui, au fil des ans, a élaboré des

systèmes et des procédures qui sont conformes aux normes

juridiques et constitutionnelles.

Si les pouvoirs de coercition du Parlement sont soumis à un

examen, il semble qu’il y ait, au fond, trois grandes options :

maintenir les pouvoirs actuels; abolir tous ces pouvoirs ou

certains d’entre eux; actualiser les pouvoirs et en élaborer de

nouveaux. Au bout du compte, le résultat de l’examen pourrait

infléchir les préférences dans un sens ou dans l’autre ou, tout

aussi vraisemblablement, dans le sens d’une combinaison des

trois options. Quel que soit le choix, un examen devrait faire en

sorte que le Parlement soit prêt à faire face aux obstacles à

l’obtention de l’information essentielle à son fonctionnement.

Notes

1.

Stockdale v. Hansard, (1839), 112 E.R. 1112, p.1117.

2. Royaume-Uni. Parlement. Joint Committee on Parliamentary

Privilege,

Report and Proceedings, 318, p. 82.

3. Voir J.P. Joseph Maingot,

Le privilège parlementaire au Canada,

2

e éd., Chambre des communes et Les presses universitaires

McGill-Queen’s, 1977 p. 151-152 et p. 200, n. 71.

4.

Defamation Act 1996 (Royaume-Uni), art. 13.

5.

Pepper v. Hart [1993] A.C. 593 et Prebble v. Television New

Zealand

[1995] 1 A.C. 321 (P.C.).

6. Voir les

Journals de la Chambre des communes britannique, 8

décembre 1857, p. 10 : Le procureur général est invité à poursuivre

Edward Auchmuty Glover pour faux témoignage au cours de

l’audience portant sur l’élection de Berwick-Upon-Tweed. Voir

aussi les

Journals du 23 avril 1866, p. 239 : Henry Chambers a fait

un faux témoignage dans l’enquête sur l’élection de Maidstone et

le procureur général est invité à intenter des poursuites.

7. Témoignage d’Erskine May, question 89.

8. Comité des affaires constitutionnelles de la Chambre des

communes britannique,

Constitutional Role of the Attorney

General

, 5th Report of Session 2006-07.

9. Le divorce Whiteaves a été l’affaire qui a été à l’origine de la

volonté de permettre aux comités spéciaux d’interroger des

témoins sous serment.

10. La Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick avaient des

tribunaux du divorce avant la Confédération. Comme la province

du Canada ne possédait pas d’instances équivalentes, les

demandes de divorces provenant de l’Ontario et du Québec étaient

renvoyées au Sénat. Pour de plus amples discussions sur la

nécessité d’interroger les témoins sous serment, voir les

Débats du

Sénat des 31 mars, 30 avril et 4 mai 1868.

11. Voir les

Débats du Sénat, 30 avril 1868, p. 232-234, et les

Journaux

de la Chambre des communes, 4 mai 1868, p. 275.

12. Voir les

Débats de la Chambre des communes, 18 avril 1873.

13. Voir

Minutes de la preuve [et rapports concernant certaines

accusations de J. I. Tarte faites au sujet des soumissions et

contrats concernant les travaux du havre de Québec et le bassin de

radoub d’Esquimalt, C.B., etc. 15 mai - 16 septembre 1891]

,

Bibliothèque du Parlement. Voir au rapport 7 de ce volume le

détail des accusations portées contre McGreevy.

14. Voir les

Journaux de la Chambre des communes, 24 septembre

1891, p. 529.

15. Voir

The Queen v. Connolly and McGreevy, 1 C.C.C. 468, [1894]

O.J. n

o 119, 25 O.R. 151, surtout les p. 473-475.

16.

Gagliano c. Canada (Procureur général) (C.F.) [2005] 3 C.F.

555, par. 77 et 78.

17.

Loi sur la preuve au Canada, par. 5(2).

18. Voir le témoignage de J.P. Joseph Maingot devant le Sous-comité

du privilège parlementaire du Comité permanent de la procédure

et des affaires de la Chambre, 16 novembre 2004, p. 39.

19.

Ibid.

20. Thomas J. Abernathy, Jr. et Margaret E. Arcus, « The Law and

Divorce in Canada », in

The Family Coordinator, vol. 26, no 4,

octobre 1977, p. 409-413.

21.

Journaux du Sénat, 11 décembre 1962, p. 410-411.

22.

Journaux du Sénat, 1er juin 1954, p. 519.

23. Les hommes reconnus coupables d’outrage n’auraient pu être

gardés en détention que jusqu’à la fin de la session, le 6 février

1963, soit moins de trois mois. La peine maximum pour parjure est

de 14 ans, alors que, pour outrage au Parlement, on ne peut être

emprisonné que jusqu’à la fin de la session en cours.

24.

Canada (Chambre des communes) c. Vaid, [2005] R.C.S. 667,

2005 CSC 30.

25. Notamment dans

Knopf c. Canada (président de la Chambre des

communes)

, 2006 CF 808, 3430901 Canada Inc. c. Canada

(ministre de l’Industrie)

, (1999), 177 F.T.R. 161, et Ainsworth

Lumber Co. v. Canada (Attorney General) and Paul Martin

,

(2003), 15 B.C.L.R. (4

th) 255.

26. Congressional Research Service,

Report for Congress,

« Congress’s Contempt Power: Law, History, Practice and

Procedure », juillet 2007, p. 15.

27. Voir plus spécialement le 14

e rapport du Comité permanent de la

procédure et des affaires de la Chambre, de novembre 2004, et le

Rapport du Comité permanent des comptes publics

, de juin 2007.

36 REVUE PARLEMENTAIRE CANADIENNE/HIVER 2007



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