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PRINCIPE D’INDEPENDANCE et D’IMPARTIALITE (Art. 16 DDHC) :

PRINCIPE D’INDEPENDANCE et D’IMPARTIALITE (Art. 16 DDHC) : Insuffisance des garanties au sein des CDAS et nouvelles modalités de modulation des effets dans le temps

mardi 5 avril 2011.

Serge SLAMA

CREDOF - CENTRE DE RECHERCHES ET D’ETUDES SUR LES DROITS FONDAMENTAUX

Cons. Constit. décision n° 2010-110 QPC du 25 mars 2011, M. Jean-Pierre B. [Non-conformité partielle/ Composition de la commission départementale d’aide sociale]

Saisi par le Conseil d’Etat (CE 30 décembre 2010, N°343682) d’une QPC portant sur la composition des commissions départementales d’aide sociale (CDAS), juridictions administratives spécialisées régies par l’article L. 134-6 du code de l’action sociale et des familles (CASF), le Conseil constitutionnel déclare les dispositions des deuxième et troisième alinéas de cet article contraires à la Constitution car elles n’instituent pas les garanties appropriées permettant de satisfaire au principe d’indépendance des fonctionnaires et d’impartialité des fonctionnaires et des élus siégeant en leur sein en violation de l’article 16 de la DDHC et module les effets dans le temps de cette censure en définissant de nouvelles modalités au bénéfice des justiciables qui ont invoqué la QPC.

Grande méconnues, les CDAS comptent parmi les juridictions administratives spécialisées les plus importantes en terme de masse de contentieux (20 000 dossiers/ an) et dans la vie quotidienne (aide sociale aux personnes âgées et aux personnes handicapées). Créées par un décret-loi du 30 octobre 1935, leur composition n’a guère varié depuis. Le fonctionnement des CDAS était promis à la censure constitutionnelle dans la mesure où les dispositions renvoyées prévoient que siègent dans cette juridiction trois conseillers généraux élus par le conseil général et trois fonctionnaires de l’État en activité ou à la retraite, désignés par le représentant de l’État dans le département alors même que la compétence de ces commissions porte sur les recours contre les décisions en matière d’aide sociale du président du conseil général (à l’exception de l’aide sociale à l’enfance) et du préfet (recours en matière d’AME ou de CMU par exemple) (2°). Cela était d’autant attendu que dans le cadre du contrôle de conventionnalité, au regard des exigences l’article 6§1 de la CEDH, les coups de semonce et critiques avaient été nombreuses (1°). Etait moins attendu le fait que le Conseil constitutionnel saisisse cette occasion pour préciser de nouvelles modalités de modulation des effets dans le temps davantage respectueuses du droit au procès équitable (3°).

1°) Les coups de semonce et critique des CDAS au regard des exigences de l’article 6§1 CEDH

Les critiques à l’égard du fonctionnement et de la composition des CDAS ne sont pas nouvelles. Elles émanent aussi bien du Médiateur de la République, de l’inspection générale des affaires sociales (« Les institutions sociales face aux usagers », Rapport annuel 2001) et de la section des rapports et des études du Conseil d’État (L’avenir des juridictions spécialisées dans le domaine social, La documentation française, 2004 dont l’auteur - M. Jean-Michel Belorgey - n’était autre que le président de la juridiction d’appel de ces commissions : la Commission centrale d’aide sociale). Ce n’est toutefois pas en soi l’existence de cette juridiction spécialisée qui est mise en cause mais leurs dysfonctionnements (v. le commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel qui cite en référence l’énigmatique Alexis Franck [sic : Frank] « Réflexion sur les spécificités du contentieux de l’aide sociale », RDSS, 2009, p. 921). Tout le monde s’accorde à dire qu’« une justiciabilité digne de ce nom n’est pas assurée en matière d’aide sociale » (Rapport 2010, p. 326).

Et pourtant, le Conseil d’Etat n’a pas placé à un niveau élevé les exigences en termes d’impartialité et d’indépendance « qui s’applique à toute juridiction, et que rappellent les stipulations de l’article 6 de la [CEDH] », selon la formule consacrée. Sur le seul terrain du principe d’indépendance, il a exigé que « toute personne appelée à siéger dans une juridiction doit se prononcer en toute indépendance et sans recevoir quelque instruction de la part de quelque autorité que ce soit ». Sur le terrain de l’impartialité objective, il a estimé que la présence des fonctionnaires de l’État « ayant à connaître de litiges auxquels celui-ci peut être partie » ne peut, « par elle-même, être de nature à faire naître un doute objectivement justifié sur l’impartialité de [de la Commission centrale d’aide sociale] ». Il a néanmoins concédé « qu’il peut (...) en aller différemment lorsque, sans que des garanties appropriées assurent son indépendance, un fonctionnaire est appelé à siéger dans une juridiction en raison de ses fonctions et que celles-ci le font participer à l’activité des services en charge des questions soumises à la juridiction » (Conseil d’État, 6 décembre 2002, Trognon, n° 240028 : les fonctionnaires exerçant leur activité dans les services en charge de l’aide sociale ne peuvent siéger à la CCAS) et Aïn Lhout (Conseil d’État, section, 6 décembre 2002, Aïn Lhout, n° 221319 : le directeur régional du travail et de l’emploi ne peut siéger à la commission départementale des travailleurs handicapés). On observera qu’alors que le Conseil d’Etat se situe au niveau de la seule dépendance au service en charge de la question, la Cour de cassation s’est placée au niveau du ministère en jugeant que la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail ne présentait pas les garanties d’une juridiction indépendante et impartiale compte tenu de la présence, parmi les membres, d’un fonctionnaire honoraire d’administration centrale car le ministre exerce ou a exercé « le pouvoir hiérarchique sur eux » (Cass. Pl., 22 décembre 2000, n° 99-11303 et 99-11615.4). Et si dans une troisième espèce du même jour, il aurait eu l’occasion de se prononcer sur les CDAS, il a rejeté le pourvoi car le moyen avait été soulevé pour la première fois en cassation (CE, Ass. 6 décembre 2002, Maciolak, n° 239540. V. les conclusions de Pascale Fombeur concluant au « doute légitime sur l’impartialité de la commission départementale » : RFDA, 2003, p. 694). La difficulté était d’ailleurs similaire, jusqu’au rattachement de la Cour nationale du droit d’asile au Conseil d’Etat, puisque son personnel relevait de l’organisme dont elle contrôle les décisions : l’OFPRA (anomalie validée par le Conseil d’Etat : CE 12 octobre 2005, Gisti, N° 273198, aux tables).

Il ne faisait donc guère de doute que les CDAS ne satisfont pas aux exigences du procès équitable. Du reste, s’agissant de la cour nationale de la tarification sanitaire et sociale, qui est également une juridiction administrative spécialisée, le Conseil d’État a jugé qu’ « il peut être porté atteinte [au] principe [d’impartialité] lorsque, sans que des garanties appropriées assurent son indépendance, les fonctions exercées par un fonctionnaire appelé à siéger dans une des formations de jugement de [cette Cour] le font participer à l’activité des services en charge des questions soumises à la juridiction » et « qu’il en va de même lorsque des membres de l’assemblée délibérante d’une collectivité territoriale qui est partie à l’instance siègent dans l’une des formations de jugement de cette cour » (CE, Sect., 30 janvier 2008, Association orientation et rééducation des enfants et adolescents de la Gironde, n° 274556. V. aussi CE 21 octobre 2009, M. Bertoni, n° 316881). C’est pratiquement mot pour mot ce même considérant que les juges de la rue Montpensier vont reproduire pour fonder la censure partielle de l’article L.134-6 du CASF.

2°) Une censure constitutionnelle attendue

Saisi sur le fondement de l’article 16 de la DDHC, le Conseil constitutionnel rappelle que « les principes d’indépendance et d’impartialité sont indissociables de l’exercice de fonctions juridictionnelles » (cons. 3 - v. déjà Cons. constit. décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la justice, cons. 15), y compris pour des juges non professionnels (Cons. Constit. Décision n° 2003-466 DC du 20 février 2003, Loi relative aux juges de proximité, cons. 23). S’agissant en premier lieu de la question de l’indépendance des membres de la CDAS, il juge que la législation applicable n’institue pas « les garanties appropriées » à l’égard des fonctionnaires de l’Etat siégeant dans les CDAS (cons. 5), sans remettre toutefois en cause le principe même de leur participation à ces juridictions (v. déjà sur la composition des tribunaux maritimes commerciaux : Cons. Constit. décision n° 2010-10 QPC du 2 juillet 2010, Consorts Cousin et a., cons. 4 - ADL 2 juillet 2010). Cette inconstitutionnalité ne concerne pas les élus qui, selon les Cahiers, « par leur statut, ne sont pas placés sous l’autorité du président du conseil général » (CCC, p.7). Cela laisse dubitatif pour les élus qui appartiendraient à la majorité départementale : la ligne politique fixée par une majorité étant parfois non moins exigeante que l’obéissance hiérarchique d’un fonctionnaire à son supérieur.

S’agissant en second lieu de la question de la partialité, contrairement à sa décision sur la composition des tribunaux des affaires de sécurité sociale (Cons. Constit. Décision n° 2010-76 QPC du 3 décembre 2010, M. Roger L., cons. 9.), le Conseil constitutionnel juge « que ne sont pas davantage instituées les garanties d’impartialité faisant obstacle à ce que des fonctionnaires puissent siéger lorsque cette juridiction connaît de questions relevant des services à l’activité desquels ils ont participé » (cons. 5) mais cette fois-ci ce principe est également atteint par « la participation de membres de l’assemblée délibérante du département » mais uniquement « lorsque ce dernier est partie à l’instance » (cons. 6). Comme le faisait valoir Pascale Fombeur dans ses conclusions sur l’arrêt Maciolak (préc.) les conseillers généraux qui siègent à la CDAS « prennent part aux délibérations qui autorisent le président du conseil général à introduire des recours devant cette même commission départementale, en cas de décision de la commission d’admission défavorable au département, puis à former un appel voire un pourvoi en cassation sur les litiges jugés » et « leur présence aboutit bien à placer le département dans la situation d’être juge et partie tout à la fois » (conclusions dont on trouve de larges extraits cités dans le commentaire aux Cahiers). Or, comme l’expliquait Guy Braibant le principe d’impartialité n’est « que l’application d’un principe très général et très ancien selon lequel nul ne peut être juge et partie dans la même cause » (concl. CE, 2 mars 1973, Dlle Arbousset : RDP, 1973, p. 1072). Dès lors les dispositions déférées sont contraires à la Constitution. Et même si les Cahiers prennent bien soin de ne citer aucune jurisprudence de la Cour de Strasbourg, il est concédé que : « Le grief formé sur ce fondement n’est guère éloigné du grief qui serait formé sur le fondement de l’article 6 § 1 de la CESDH ».... (CCC, p.6).

Toutefois ce n’est pas l’article L. 134-6 du CASF dans son entier qui est censuré mais uniquement ses deuxième et troisième alinéas qui prévoient la présence au sein de la CDAS, respectivement, des trois conseillers généraux et des trois fonctionnaires.

3°) Une redéfinition des conditions de modulation des effets dans le temps moins attendue

La censure partielle prononcée amène une nouvelle fois le Conseil constitutionnel a décidé de moduler les effets dans le temps de sa décision sur le fondement de l’article 62 de la Constitution. Mais il saisit l’occasion pour se fixer une nouvelle ligne directrice en la matière. Il précise en effet, d’une part, qu’en principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la QPC et que la disposition législative inconstitutionnelle ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision. D’autre part il rappelle qu’il est habilité à fixer la date de l’abrogation et à reporter dans le temps les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité en précisant les conditions et limites (cons. 8) (v. aussi du même jour : Cons. Constit. Décision n° 2010-108 QPC du 25 mars 2011, Mme Marie-Christine D. [Pension de réversion des enfants], cons. 5 et 6). Faut-il voir dans ce nouveau « considérant de principe » - selon les termes utilisés par les Cahiers - une réponse aux critiques de certaines modulations du Conseil constitutionnel qui ont placé la Cour de cassation entre l’enclume de l’article 62 de la Constitution et le marteau de l’effet immédiat de la Convention européenne des droits de l’homme (v. pour la garde à vue : Cons. constit. n° 2010-14/22 QPC, M. Daniel W. et autres - ADL du 7 août 2010 et Cass, crim n° 5699 du 19 octobre 2010, n°10-82.902 - ADL du 19 octobre 2010) - et ce au moment même où l’assemblée plénière de Cour de cassation est saisie de la question (« Garde à vue : la Cour de cassation rendra sa décision le 15 avril », AFP 31 mars 2011) ?

En l’espèce, la censure suppose qu’à compter de la publication au JORF de la décision, les CDAS doivent siéger dans une composition où ni les conseillers généraux ni les fonctionnaires ne peuvent siéger. « Seul le fonctionnaire rapporteur du dossier peut siéger mais selon des règles de délibération prévues par l’avant-dernier alinéa de l’article L. 134-6 qui préservent la voix prépondérante de ce magistrat », précise les Cahiers. S’agissant des décisions déjà rendues par les CDAS à cette date, la déclaration d’inconstitutionnalité peut être invoquée à l’encontre d’une décision qui n’a pas acquis un caractère définitif. Il faut néanmoins que les parties aient contesté la composition de la CDAS (cons. 9). Les justiciables qui ont invoqué l’inconstitutionnalité de la composition de la CDAS ou qui l’invoqueront, si elles sont encore dans les délais pour le faire, seront donc les seuls à bénéficier de l’application immédiate de l’abrogation. L’objectif est de respecter le droit au procès équitable de la partie qui a soulevé la QPC tout en permettant au législateur de conserver sa liberté d’intervenir à tout moment pour redonner, s’il le souhaite, une composition collégiale à la CDAS, dans des conditions qui satisfont aux principes constitutionnels d’impartialité et d’indépendance inhérents à toute juridiction.

Loin d’être anecdotique, la décision n°2010-110 QPC pourrait permettre de redonner de la crédibilité aux CDAS - en provoquant la réforme préconisée par le rapport du Conseil d’État de 2004 - mais aussi aux... modulations des effets dans le temps prononcées par le Conseil constitutionnel dans le cadre d’une QPC.

Cons. Constit. décision n° 2010-110 QPC du 25 mars 2011, M. Jean-Pierre B. [Non-conformité partielle/ Composition de la commission départementale d’aide sociale]



17/06/2012
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