liens parents enfant sefca Europe

Quand le droit des enfants outrepasse celui des parents

 

Quand le droit des enfants outrepasse celui des parents

Doyenne des Africains de l'Ouest à Marseille, Marie-Laure [1] constate que « maintenant, il y a eu l'évolution et tout ça ! Dans le temps, les parents, ils vous disent faites ça, faites ça mais maintenant, les parents, on n'a plus la cote ! » Les parents affirment ne plus pouvoir élever leurs enfants, aujourd'hui, en France et suivant leur propre mode éducatif. En effet, « l'éducation africaine, si c'est transposé exactement ici, l'enfant, il devient fou, ça marche pas (rires) ! » (N'Dack). Les valeurs de la société globale évoquées plus haut apparaissent comme une entrave dans les rapports entre parents et enfants, et dans la manière de sanctionner un enfant.

 

« Je crois qu'il y a un problème de société qui se pose parce que voilà, dans le temps il était, moi je me souviens nous avons reçu des coups, non pas exagérément m'enfin on en a quand même reçu mais bon, parce que c'était de ma génération, ceci dit, les générations changent, les lois changent, maintenant nous comprenons tous que bon, on a pas le droit de frapper un enfant, on a vraiment pas le droit de maltraiter un enfant, donc les parents comprennent qu'il y a, je veux dire les enfants sont protégés maintenant par la société, donc ils peuvent plus se permettre de frapper leurs enfants et donc les enfants aussi comprennent cela, ils savent que les parents ne peuvent plus les battre si c'était le cas, ou faire quelque chose qu'on considèrerait maintenant d'abus, et donc les enfants ont tendance à jouer de ça, c'est pas grave, il y aura pas de pénalités. [...] On est pris en sandwich en tant que parent » (Marcelle).

 

Sanctionner physiquement un enfant est admis, légitime et efficace pour le groupe de référence, du moins pour les générations précédant celle des enfants. Or aujourd'hui et en France, comme le dit Marcelle ici et d'autres parents ailleurs, « battre » son enfant est passible d'une peine par l'institution juridique française. Dans ce sens, ils se sentent « pris en sandwich » entre le respect des lois de la société d'installation - ou la crainte d'être poursuivis - et exercer leur rôle de parents, en l'occurrence, frapper un enfant pour le recadrer. En cela, les parents considèrent que le droit des enfants en France outrepasse le leur. Cependant, j'ai maintes fois noté une certaine confusion entre « sanctionner physiquement » un enfant fautif et le « battre », des termes dont le degré peut être variable. D'après certains parents, dont les réactions ont été quelquefois exacerbées, la loi ne distingue pas l'acte de gifler son enfant lorsqu'il a fait une bêtise et celui d'agir ainsi excessivement ou sans raison. Aussi, frapper un enfant les conduirait devant une assistante sociale, voire devant un juge pour enfants, des enfants qui, avertis par des campagnes d'informations en faveur du droit des enfants, peuvent les menacer à leur tour, en allant se plaindre des sévices auprès d'une assistante sociale ou de la police (une pratique inconcevable en Afrique). L'amalgame s'est avéré fréquent, pour les parents comme pour les enfants. N'Dack, assistante psychologue à la DDASS, connaît les procédures : les assistances sociales menacent pénalement les parents qui « battent » (qu'elle distingue de « corriger ») leurs enfants voire, les leur retirent.

 

 

L'inquiétude majeure des parents repose sur la connaissance qu'ont les enfants de leurs droits et des lois : ils savent qu'il leur est permis de se défendre contre des corrections physiques qu'ils considèrent, contrairement à leurs parents et aux aînés, non plus comme une norme ou une sanction légitime, mais comme des violences qui font d'eux des enfants battus, des victimes. Par ailleurs, les enfants se rendent compte qu'il en est autrement chez d'autres, dont les parents sont plus laxistes. Aussi « échappent[-ils] aux parents » (Badou) par l'existence de lois et d'une multitude de recours : éducateurs scolaires, assistance sociale, police, associations... « Les enfants ont une grande connaissance des lois en France, c'est un choc des cultures. Tu es obligé de laisser l'enfant partir... » (Marie).

 

 

Aujourd'hui, en France, « c'est plus ouvert, quand l'enfant a quelque chose à dire, il le dit » (François). Le sentiment qu'en ont les parents oscille entre crainte et mécontentement ou alarmisme. Je note toutefois qu'à ce jour et parmi mes informateurs, aucun enfant n'a fait appel à la justice contre ses parents. Néanmoins, les parents ne sanctionnent pas physiquement leurs enfants, comme eux l'ont été. J'ai montré par ailleurs qu'ils emploient davantage les sanctions morales, la privation, pour corriger les enfants, en plus de les recadrer par anticipation (notamment à travers le regard de la mère). Considérant qu'ils n'ont pas le « droit » en France de sanctionner physiquement les enfants, « en France, on a pas le droit de frapper les enfants, en Afrique, on peut » (Astou), et bien que n'usant peu des coups, « les parents ont peur ici, à cause des assistantes sociales » (Marie). A ce propos, l'une des difficultés rencontrées sur le terrain, surtout en milieux soninké et peul musulman, lors des premières visites au domicile des familles, a été d'être suspectée d'être une assistante sociale (stagiaire, puisque je me présentais comme étant étudiante).

 

 

Tout en craignant l'institution judiciaire française et ses médiateurs, les parents se considèrent privés de leurs droits de parents, punis de punir leurs enfants. Alors qu'ils tentent de les éduquer rigoureusement en France, « ici, y a des juges, il faut faire attention. Les parents se plaignent que les enfants tournent mal car on les punit pas » (Marie). Ces lois sont pour, et selon eux, une entrave à leur manière d'élever leurs enfants, une privation de leurs droits. La législation française et la refonte de l'assignation des rôles génèrent-elles une remise en cause de l'autorité parentale, patriarcale ? A ce propos, M. Timera montre, à propos des Soninké-s en France, que le contrôle social patriarcal en Afrique a pour principale cible les femmes et les jeunes filles, et qu'en France, les hommes ont le sentiment que les institutions françaises prennent leur parti (1996 : 101). Qu'en est-il dans le cas d'un père inactif et dépendant des aides sociales pour subvenir aux besoins familiaux ?

« Les parents gagnent si peu, avec le chômage et tout [...] ils sont dépassés mais le gamin, sachant qu'il a des droits, il va leur balancer, moi, j'ai des droits, y a combien de familles où y disent je le touche plus parce que l'enfant, il dit, je vais le dire à l'assistante sociale, je vais lui dire que vous m'avez frappé, vous m'avez enfermé, les parents ont peur ! Alors je sais pas qu'est-ce qu'il faut faire actuellement ! Le souci, y a les parents qui lâchent de plus en plus [...] ils lâchent et y a des enfants qui sont si durs, faudrait... » N'Dack met le doigt sur l'impact de telles situations sociales, qui tendent à fragiliser les rapports parents-enfants et l'équilibre familial tout entier. Selon N'Dack, de telles conditions sociales et professionnelles génèrent des difficultés éducatives irrémédiables.

 

D. Alaoui (2000 : 44) pose la question de savoir ce qui se passe « sur le plan du rapport à l'autorité paternelle, quand l'immigré occupe un travail dévalorisé par la société d'immigration ? [...] Des enfants nés dans la société d'immigration ont beaucoup de difficultés à comprendre comment un père dont la dignité est écrasée par la nature de l'emploi occupé, veut cependant exercer une autorité. [...] Il existe un lien, entre la nature du travail occupé par l'immigré, le chômage et la reconnaissance de l'autorité paternelle. » Les enfants interrogés n'ont pas fait référence à la situation professionnelle de leur père sans que la question leur soit posée. La place des mères africaines dans l'éducation des enfants prévaut, en quelque sorte, sur celle des pères. L'autorité de ces derniers est-elle acquise et exercée différemment de celle des pères nord-africains (population d'étude de D. Alaoui) ? Seule une étude empirique et comparative permettrait d'apporter des éléments de réponses.

 

 

J'ai montré que les parents peuvent déléguer leur autorité à un tiers, que tout adulte peut exercer la fonction d'éducateur. A ce propos, Christian soulève la question de l'interdiction de sanctionner un enfant qu'a un adulte, qui peut être considéré comme un parent dans les représentations familiales africaines. «  [C'est] mieux au Sénégal oui, parce qu'un élève n'ose pas répondre à un maître, ici les élèves ils discutent [2] avec les maîtres. La dernière fois, j'ai appris [il rapporte qu'une enseignante tapait sur les doigts de ses élèves, en France] c'est pas grave ça ! Ce n'est rien et ça marche bien dans l'école, mais après il paraît qu'elle a été sanctionnée, elle a eu une amende parce que je sais pas elle avait pas le droit des tas de truc, et y a un parent qui a bien parlé, il a dit : « Et avec ça, qu'est-ce que vous voulez maintenant, les enfants ils n'ont peur de rien à l'école, ils feront tout ce qu'ils leur viennent à la tête, ils vont le faire à l'école, parce qu'ils leur feront plus rien, tu touches un enfant, on leur dit que vous n'avez pas le droit, tu cries sur un enfant, on dit que vous n'avez pas le droit de crier sur un enfant ! Donc maintenant les enseignants, qu'est-ce qu'ils vont faire ? Qu'est-ce qu'ils vont devenir à l'école ? C'est des simples figurants, ils enseignent et puis c'est tout, et pourtant les élèves, ils disent n'importe quoi aux enseignants et rien ne se passe ! On sanctionne pas l'élève, on ne fait rien, c'est malheureux... »

 

 

Ce qui est inconcevable pour les uns, est condamnable et condamné pour les autres. Corriger physiquement un enfant est légitime, courant et efficace en Afrique, alors que la loi française « protège » les enfants en leur accordant un certain nombre de droits. J'ignore les faits précis concernant l'enseignante dont il est question : a-t-elle simplement « tapé sur les doigts de l'élève », a-t-elle été administrativement réprimandée pour cela, les parents de l'élève ont-ils porté plainte ? La délégation de l'autorité parentale, si elle ne vaut pas pour les institutions scolaire et judiciaire françaises, a-t-elle encore du sens pour les enfants ? A travers les réactions d'enfants d'origine ouest-africaine au collège où je travaille, il semble que oui.

En définitive, les parents se sentent désarmés, et s'interrogent, dépités : « Alors comment on fait ? » (N'Dack). Marie impute à l'excès de liberté en France - de droits, de s'adresser aux assistantes sociales, d'avoir de l'argent, etc. - qui a pour conséquence : « C'est cette liberté qui les conduit à leur perte ici. » A la question de savoir comment il envisage l'avenir compte tenu des conjonctures, Christian pense que « si ça continue comme ça, ce sont ces enfants là qui vont corriger demain les grandes personnes, qui vont taper les maîtres, [...] je dis à ma femme, tu vas voir demain, ce qui va se passer, ces jeunes de 12 ans, 13 ans, ils vont frapper les maîtres, ils vont frapper leurs parents ! » Le déterminisme d'un tel mécanisme, c'est-à-dire à défaut de pouvoir sanctionner les enfants comme ils l'entendent, d'être « privé » de leurs droits de parents, conduiraient les enfants vers le non respect, la déviance voire, la délinquance

 

 

A la source...

 

Les parents mettent en avant la différence de confort et de moyens matériels en Afrique et en France pour distinguer leur propre mentalité de celle de leurs enfants, pour rendre compte du contraste entre un enfant élevé là-bas et ici. En quelque sorte une relation de cause à effet, le manque de moyens en Afrique favoriserait, du point de vue des parents, un état d'esprit plus spirituel, moins exigeant, tandis qu'en France, l'attrait matérialiste altérerait la « mentalité », l'état d'esprit, le caractère des enfants.

 

 

Le discours des parents relatif au quotidien en Afrique révèle systématiquement des différences matérielles et immatérielles (valeurs), qui génèrent des divergences de « mentalité » entre les deux générations. De manière récurrente, les parents affirment qu'un enfant élevé en Afrique se contentera, se satisfera de ce qu'il possède (jeu, activité, espace) alors qu'en France, il ne cessera d'en vouloir toujours plus. Cette exigence, disent-ils, est caractéristique des enfants en Occident. En revanche, les enfants africains en Afrique manifestent une volonté certaine d'aller de l'avant, de toujours mieux travailler, d'apprécier leur « peu », alors qu'en France, tout leur est dû.

 

 

Marie regrette qu'« ici, ils ont tout ce qu'ils veulent immédiatement ! » Autrement dit, leurs enfants en France sont de plus en plus « exigeants », et tendent à « déprécier la valeur des choses simples. » P. Erny constate : « On peut dire d'une manière générale que pour s'instruire et s'amuser, l'enfant d'Afrique dépend davantage de l'univers de la parole et des relations interindividuelles que de l'univers des objets » (1987 : 163). Cette attitude serait due, toujours selon ces parents, à l'Occident, où tout semble facile et à portée de main. « Là-bas, dit une mère, le peu qu'on a, on le garde », et une autre, les moyens manquent en Afrique, mais les enfants sont plus créatifs, plus imaginatifs.

 

 

Mamadou S. explique qu'« un seul cahier et un seul stylo » suffisent pour une année scolaire en Afrique, qu'aller en classe nécessite de marcher cinq kilomètres à pied et que, malgré ces efforts, plus d'écoliers en Afrique que d'écoliers en France deviennent de brillants étudiants. Son épouse, N'Deye, ajoute : « En Afrique, il part à l'école mais pas chaussé, mal habillé, il veut ! » Le sentiment de ces parents est unanimement celui du reproche à l'égard d'une vie (en apparence) trop facile à travers laquelle les enfants n'ont plus conscience de leurs chances.

Les parents considèrent l'école en France comme étant facile d'accès, alors qu'« 

 

 

en Afrique, l'école est à cinq kilomètres, ils connaissent la valeur de l'école, ici, non, tout est facile, le transport en bus, la cantine... pas comme en Afrique ! [...] beaucoup plus d'échecs scolaires ici qu'en Afrique » dit Marie, qui ne fait que confirmer le propos des autres parents. Pour expliquer l'altération de la « mentalité » des descendants, les parents font référence à « l'étalage », le (sur)choix en matière de produits vestimentaires, alimentaires, ludiques et au-delà, de liberté et de droits.

 

 

 

 l'étalage »

 

J'ai, un jour, rencontré un père de famille malgache et une « maman » wolof musulmane dans la salle d'attente d'un médecin, à qui j'ai posé la question de l'éducation des enfants en France. Le premier a résumé son propos par un mot : « trop ». La seconde considère que l'excès matériel - à travers la vitrine des boutiques et la télévision - en France, « ça gâte, les enfants font des caprices ici. » Aussi a-t-elle décidé que ses enfants (19 et 22 ans), restent au Sénégal. Ils ont aussi évoqué la question de l'excès de libertés, notamment en matière de droits accordés aux enfants.

 

 

Je retrouve les mêmes reproches dans le discours des parents, du manque voire de l'absence (selon eux) de limites établies dans cet environnement, qui obstruerait le processus éducatif et aurait un impact direct dans l'évolution - au sens de se construire - des enfants. Catholiques et musulmans semblent aller dans le même sens, à savoir qu'« en France, c'est trop libre, on donne trop de choses, on n'apprécie plus et on fait n'importe quoi. [...] la liberté est gratuite dehors, mais payante à la fin... » Thérèse sous-entend que cette liberté est attractive, mais conduit inéluctablement vers des dérives, des déviances sociales.

 

 

N'Deye incrimine l'excès de liberté qu'ont les enfants en France, donnant lieu à des changements comportementaux. Ils sont « gonflés [...] trop gâtés » dit-elle, « abusent et font des conneries ici. » La « liberté » n'est pas le seul excès à être mis en cause par ces parents. La France, pays dit développé et riche par son pouvoir d'achat, regorge de produits de consommation et pousse à acheter toujours plus. N'Dack appelle cela « l'appel de l'extérieur, tout cet étalage de choses, dès qu'ils sont dehors, y a plus de repères, y a aucun adulte qui va leur dire mais arrêtez, faites pas ci, faites pas ça [...] ils font n'importe quoi, y a pas d'adultes, quand les parents sont défaillants, y a personne d'autre, et s'ils veulent une chose, il faut qu'ils le volent, ils vendent de la drogue [...] il s'élève pas tout seul un gosse, il faut se donner de la peine... »

 

 

L'extérieur exhibe quantité de produits, alléchant les consommateurs, principalement les plus jeunes. Les parents, ceux pour lesquels la vie est économiquement difficile en France, ceux dont l'éducation qu'ils donnent à leurs enfants s'avère défaillante ou simplement, des parents absorbés par le rythme social et professionnel voient leurs enfants sensibilisés à et par cet « étalage ». Le pas vers « le mal », vers le vol et l'engrenage du pouvoir d'achat, de l'argent paraît ici, facile à franchir d'après N'Dack. Marie, une grand-mère sénégalaise, regrette que les enfants aient ici « tout ce qu'ils veulent immédiatement, en Afrique, ils connaissent la valeur, ici, non, tout est facile. » Sans « valeur », un enfant n'aura pas les repères lui permettant de respecter ce et ceux qui l'entourent.

 

 

« Ici, ils ont tout » (Fandé) ou encore, « là-bas, on a pas tout ça », explique Moussa en me montrant le poste de télévision, le magnétoscope et la chaîne Hi-Fi. En revanche, « ici, y a pas le respect », ajoute-t-il. Je lui demande de préciser : par exemple, les enfants n'écoutent pas leurs parents. En France, « un enfant pense à une voiture par exemple, un jouet, il sera beaucoup plus facile pour que j'aille dans les magasins et lui prendre un jouet, alors que n'ayant pas les possibilités en Afrique, l'enfant aura la présence d'esprit de créer même une voiture en plastique ou en fil de fer. [...] très souvent, ça les intéresse pour dix minutes et c'est fini, parce que la télévision leur présente toujours plus de choses à consommer, elles pensent que tout ce qu'elles [ses filles] voient à la télé doit être consommé et ça devient même une obligation pour les enfants, même pour les parents » (Marcelle).

 

 

Aujourd'hui, les enfants en général réclament les derniers jouets sortis sur le marché, nombreux et souvent coûteux, et les adolescents, un téléphone portable ou des vêtements et des chaussures de marque. Parmi mes interlocuteurs [1] « adolescents », seules Marilyne et Anna M. possèdent un téléphone portable et, chez les adultes, Diadié en a acquis un, qu'il emploie fréquemment depuis son domicile (le foyer est équipé d'une ligne fixe).

Pour parer à l'exigence des enfants, les parents ont trouvé la solution du compromis : modérer la demande des enfants : « Ils doivent comprendre que j'achète pas de marques, le budget est pour autre chose [...] des cadeaux, à l'occasion, pour qu'il sache apprécier » (Antoinette). Ils s'attachent aussi à leur apprendre la valeur de l'argent dans une « société de consommation » où les enfants et les adolescents sont des cibles. Que ce soit dans le secteur de l'habillement, des sports collectifs ou des loisirs, cette part importante du marché destinée à ces classes d'âge a su être cependant exploitée, et la publicité sait comment faire appel à la fantasmagorie des garçons et des filles pour vendre des produits qui ne seraient pas utilisés, ni utilisables par les « anciens ».

 

 

Le rapport adolescents/pouvoir d'achat - du moins l'attrait pour - m'a orientée à poser la question de l'argent de poche aux enfants et aux adolescents. Tous les enfants ne bénéficient pas d'argent de poche mensuellement, mais ponctuellement, en cas de besoin. Les enfants de Diadié ont à leur disposition une « enveloppe » contenant de l'argent, que seuls les aînés sont autorisés à donner aux plus jeunes. Abdoubahé a quelquefois un peu d'argent de poche, s'il n'y a « pas de problème de sous ». La fête de l'Aïd-el-Fitr est une occasion pour les enfants de recevoir de l'argent. J'apprends que certains donnent l'argent, « offert » par des membres ou amis de la famille, aux parents afin qu'ils leur achètent des vêtements.

 

 

La modération et la valeur de l'argent au programme de l'éducation familiale semblent acquises. Toutefois, même modérée, il y a demande. Les pairs, les médias, la publicité alimentent le désir de consommer, d'acquérir matériellement l'image qu'ils veulent véhiculer d'eux-mêmes, entre autres par le biais de vêtements et de chaussures de marque (immédiatement perceptible à et par l'extérieur). Principale cible, les adolescents sont incités à consommer, une consommation qui a pour « fonction essentielle [...] de produire du sens [et d'être] un moyen de communication non verbale » (Laburthe-Tolra et Warnier 1993 : 355). Or, « les demandes de consommation de ses enfants [...] conduisent à ré-interpréter toutes les relations familiales » (Schnapper 1991 : 176).

 

 

Au-delà de ne pouvoir - ou vouloir - répondre financièrement à la demande des enfants en général et les adolescents en particulier, appâtés par le pouvoir de l'argent qui, « dans les sociétés marchandes ou industrielles, [...] par la liberté qu'il procure, est l'un des outils de la construction identitaire des personnes et des groupes » (Laburthe-Tolra et Warnier 1993 : 361), les parents déplorent la demande, de plus en plus fréquente (au rythme de la publicité) et l'attribution aux enfants du pouvoir d'achat qui, en ne pouvant répondre, les dévalorisent.



31/01/2011
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi