Reconnaissance sociale et dignité des parents d'enfants placés : parentalité, précarité et protection de l'enfance, par Régis Secher
Reconnaissance sociale et dignité des parents d'enfants placés : parentalité, précarité et protection de l'enfance, par Régis Secher
En voici le compte rendu.
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" forte corrélation statistique existe entre l’appartenance sociale et le placement d’enfants. La grande majorité des parents d’enfants placés, environ 80 %, appartiennent aux couches sociales défavorisées. Ils vivent avec un revenu proche du seuil de pauvreté, voire en dessous. Une étude passionnante a été réalisée par Naves et Cathala en juin 2000 portant sur cette question de la relation entre l’appartenance sociale et le placement d’enfants. Leur rapport se conclut par cette phrase :
« Aucun des enfants accueillis provisoirement ou placés, dont la mission a examiné la situation, n’a été séparé de son milieu actuel du seul fait de la pauvreté de ses parents, même s’il est impossible de nier l’importance du facteur précarité dans les séparations enfants-parents subies.»
En termes de droits et en termes de pratique, la pauvreté n’est donc pas en France une cause de placement des enfants. Cependant la corrélation existe, c’est ce que souligne le rapport et il est donc indéniable que le placement touche en particulier les populations précaires.
Rappeler cette donnée heurte quelquefois les sensibilités. Les dernières statistiques montrent en plus que le facteur de précarité se renforce et que la proportion de familles pauvres concernées par le placement augmente. À partir de ce constat, la question de la nature du lien entre pauvreté et difficultés des parents à exercer leur parentalité a servi de fil rouge à mes recherches.
Entretiens avec les parents de quarante-sept enfants placés
Le protocole de recherche a été élaboré pour réfléchir à cette problématique. Face à l’absence d’écrits antérieurs – aucune thèse en France n’avait été réalisée sur le vécu de cette population –, la meilleure façon de connaître les parents d’enfants placés était d’aller à leur rencontre et d’essayer de comprendre comment ils vivaient cette situation.
Plusieurs services, en Bretagne et Pays de la Loire, ont été sollicités pour constituer le terrain de recherche. J’ai rencontré une quarantaine de parents qui ont accepté de me recevoir beau-coup plus facilement qu’on ne l’avait imaginé. Ayant choisi une approche inductive, j’ai sciemment choisi au départ de ne pas élaborer d’hypothèse de recherche, ni de préparer au préalable de grille d’entretien. Les entretiens se sont donc déroulés sous la forme de conversations « libres », pour éviter au maximum d’introduire des biais. La visée de cette méthode était de tenter de recueillir des récits les plus authentiques possibles.
Cet échantillon, construit de manière aléatoire, s’est révélé a postériori relativement représentatif au regard des statistiques qu’on possède sur les parents d’enfants placés au niveau national
L’expression d’une grande souffrance
Les entretiens duraient entre une heure trente et trois heures. Trois grands thèmes ont été abordés par les parents.
- L’itinéraire de vie et les souvenirs de jeunesse, les conditions d’existence, l’emploi, les soucis de santé, les relations familiales et conjugales, les voisins, les amis…
- Les raisons et le contexte qui ont conduit au placement, ses conséquences, les difficultés éducatives, les problèmes de compétence, d’autorité et les relations avec les agents institutionnels…
- La souffrance liée à la séparation, le regard des autres et les sentiments de honte, de culpabilité, de dévalorisation, l’incompréhension et le sentiment d’injustice, les valeurs, les croyances, les rêves.
Deux grandes catégories de souffrance apparaissent : celle liée à la séparation et celle liée au sentiment d’être de mauvais parents et d’être durablement stigmatisé.
Extrait d’entretien illustrant la souffrance de la séparation
« Quand ils foutent le camp, on se retient. On se retient. Et ce n’est pas bon. Je vais vous raconter un week-end par exemple. Les enfants sont venus là et j’ai vu ma petite fille malheureuse. Je l’avais déjà vue malheureuse, mais jamais comme ça. Là, elle pleurait parce que son frère s’en allait, sa soeur s’en allait et à la voir comme ça qui pleurait, je me suis retenu… Et puis je n’ai pas pu retenir ! Et je me suis mis à chialer avec ma gosse de six ans. Ce n’est pas tout à fait normal, non ? Je ne pense pas. Alors ça, ça fait mal. Ça, j’aimerais que la juge le voie. Mais que voulez-vous faire ? On ne va quand même pas le filmer pour qu’elle le voie !»
Extrait illustrant la souffrance liée au sentiment d’être un mauvais parent
« Surtout qu’on vous dit, on vous le fait sentir, que vous n’êtes pas bonne, néfaste, bonne à rien, vous êtes une merde ! J’ai été reniée de ma famille aussi à cause du placement ! J’étais reniée, j’étais de la merde, j’étais une mauvaise mère ! Enfin bref, parce que la famille n’est pas faite non plus pour vous arranger. Je me suis retrouvée complètement isolée, plus de famille, plus d’amis... Vous ne savez pas gérer votre couple en tant que parent, l’enfant est en danger, vous êtes des criminels. On ne va pas au crime et pourtant, nous sommes des criminels. Voilà. C’est mon ressenti à moi et je vous promets, à beaucoup de parents. »
De nombreux parents ont le sentiment que le placement est un marquage indélébile. Leurs relations sociales sont marquées par le sceau de l’indignité. Le placement est vécu comme une mesure infamante. Ce sentiment est partagé également par les parents demandeurs de cette mesure. Aucun parent ne considère cette mesure comme banale. De plus, les points de vue sur le placement sont très contrastés. Cette très grande diversité permet d’éviter de tomber dans le piège de la généralisation.
Quatre façons de vivre le placement
Après cette première phase d’étude thématique, j’ai repris l’examen approfondis de ces entretiens en mettant en oeuvre une méthodologie d’analyse structurale des récits biographiques Cette approche cherche à comprendre la logique des discours, en dépassant la seule analyse du vocabulaire employé. Cette seconde analyse m’a permis de classer les discours des parents. Il est apparu alors que ceux-ci se répartissaient en deux groupes égaux : ceux qui contestent la mesure et ceux qui l’acceptent. En entrant dans le détail, j’ai pu distinguer quatre façons de vivre le placement.
Dans le groupe 1, on trouve les parents « révoltés », qui perçoivent le placement comme une injustice.
« Ils pensent que certains enfants sont en danger alors que ces enfants ne sont pas en danger et, finalement, ils font souffrir autant l’enfant que le parent. C’est vrai qu’il y a des enfants en danger, ça c’est clair, il y en a, mais quelquefois, ces enfants-là, réellement en danger, ils ne sont pas protégés. Et nous qui n’avons rien fait de mal, qui nous débrouillons comme on peut à gérer tout ça, on nous place nos enfants. C’est injuste. La justice ferme les yeux sur beaucoup de choses. Parce qu’il y a des enfants qui sont placés injustement et les parents ne comprennent pas qu’on place leurs enfants alors qu’ils n’ont rien fait. Ils souffrent. » (Mme H.)
Dans le groupe 2 sont regroupés les parents qui se sentent « abusés » et qui contestent la prolongation des mesures.
« Il y a beaucoup de personnes qui ont des crises conjugales et on ne leur enlève pas les enfants pendant trois ans de suite comme ça ! C'est assez incompréhensible d'enlever un enfant à sa famille pendant trois ans… Pour moi c'est de l'abus total ! Je pense que le placement peut être utile dans certains cas, mais il y a beaucoup d'abus. » (M. Y.)
Le groupe 3 est composé de parents «résignés,» les plus pauvres du corpus, qui ne contestent absolument pas la légitimité du placement, le considérant même comme une bonne chose pour leurs enfants.
Ils s’estiment souvent incapables d’éduquer leurs enfants. La plupart d’entre eux ont été placés durant leur enfance, et s’ils acceptent le placement comme une fatalité, ils ne l’ont pas délibérément demandés : « Moi si j’avais pu, j’aurais évité ça. Je n’ai pas été tellement d’accord avec le placement de mes filles, mais j’ai été obligé de suivre. Si je les avais gardées ici, moi, aujourd’hui, je serais en prison. Un moment de temps, je ne voulais pas la laisser partir. Dans un sens, je trouvais que c’était injuste. C’est nous qui faisons les enfants, c’est normal que ce soit avec nous qu’ils vivent. J’ai souvent du chagrin quand je l’emmène. Encore maintenant. » (M. B.)
Le groupe 4 est constitué :
- soit de parents qui ont demandé le placement parce qu’ils sont en difficultés avec leurs enfants
« Le placement s'est fait de notre propre chef. J'ai demandé un coup de main pour éviter cette situation qui n'aurait pu que dégénérer. Et puisque j'en avais le droit ! » (M. E.) - soit de parents qui l’acceptent après coup
« Il y avait quand même des problèmes. Il faut reconnaître que ces placements sont justifiés. C'est vrai que maintenant avec le recul, si je ne m'étais pas torché la gueule, j'aurais pu les garder. Mais c'est vrai que c'était invivable pour les enfants. » (M. P.)
La reconnaissance et ses différentes sphères
L’un des gros soucis de ces parents est la question de la reconnaissance, sur le plan social et sur le plan de la parentalité. Les parents constatent qu’ils sont dans une situation de stigmatisation, et ils s’interrogent sur la légitimité du discrédit dont ils sont l’objet. Le fait d’avoir un enfant placé, en particulier dans les milieux populaires, est perçu comme une grande infamie. Dans la hiérarchie sociale au sein des quartiers populaires, il n’y a pas pire situation. Les parents dont on a « placé le gosse » appartiennent à une catégorie dont on souhaite absolument se démarquer.
Réciprocité entre l’image sociale et l’image de soi
Pour étudier cette question de la stigmatisation, j’ai utilisé le paradigme de la reconnaissance, en m’appuyant sur le travail d’Axel Honneth, un sociologue titulaire d’une chaire de sociologie à l’université de Francfort. Il a actualisé la théorie d’Hegel sur le concept de reconnaissance. Son ouvrage, La Lutte pour la reconnaissance, publié en 2002, reprend l’idée que la reconnaissance se joue dans différentes sphères. Chaque être humain a besoin d’être reconnu par les siens. La sphère familiale est un lieu de reconnaissance essentiel qui permet à l’individu de se construire un rapport à soi positif. L’individu a aussi besoin d’être reconnu par sa communauté d’appartenance, au travail, dans son pays, etc. À ce titre-là, il a besoin de posséder des droits pour assurer ses devoirs et se sentir reconnu en tant que citoyen.
La troisième sphère de reconnaissance est liée à la question de l’estime de soi et de l’estime sociale. C’est au niveau cette fois de ses qualités et ses capacités personnelles que l’individu aspire à être distingué des autres membres de sa communauté d’appartenance.
En résumé, pour se sentir reconnu , l’être humain a besoin d’être aimé, d’avoir des droits et d’être reconnu dans ses capacités et ses qualités personnelles.
Hegel a donc déterminé trois sphères différentes où se jouent des dynamiques de reconnaissance spécifiques. Dans l’ensemble de ces sphères, Hegel prétend que le rapport à soi est déterminé par le rapport entretenu avec autrui. On se regarde soi-même à travers le regard de l’autre. Cette question de la réciprocité entre l’image sociale et l’image de soi est centrale dans la thèse d’Hegel.
Les parents d’enfants placés ont l’impression qu’ils ont une image très négative dans la société. Cela les amène à avoir souvent d’eux-mêmes une image très dégradée. La question de la souffrance se joue dans cette dialectique entre image de soi et image renvoyée par les autres.
Le parcours de reconnaissance, chemin semé d’obstacles
Je me suis également appuyé sur le travail du philosophe Paul Ricoeur. Son dernier ouvrage s’intitulait : Parcours de la reconnaissance. Paul Ricoeur reprend l’ouvrage d’Honneth et va plus loin. À partir d’un décryptage du terme sous différents angles, il constate que la reconnaissance peut se résumer en trois étapes : l’identification (« je l’ai reconnu par la couleur de ses yeux »), l’authentification (« il faut reconnaître qu’il a raison », « le père a reconnu son fils ») et la réciprocité (« je lui suis reconnaissant des bienfaits accordés »). Ces trois étapes par lesquelles il faut passer constituent un parcours. La question du parcours de reconnaissance et des obstacles à franchir pour être reconnu est très présente dans les propos des parents d’enfants placés.
Parentalité psychologique, juridique et éducative
J’ai utilisé un troisième « tamis » théorique, celui de la parentalité proposé par Houzel, qui définit trois axes : psychologique, juridique et éducatif. L’ensemble des parents que j’ai rencontrés ont soif d’être reconnus comme parents, mais ils ne mettent pas l’accent sur le même axe.
Les parents les plus précarisés, qui ne contestent pas le placement de leurs enfants, et se décrivent comme étant incapables d’élever leurs enfants, disent être très attachés à leurs enfants. Ils redoutent que l’éloignement entraîné par le placement fasse naître l’oubli. L’attachement peut se manifester de diférente façons. Pour une maman, ce qui est important c’est d’envoyer une carte pour l’anniversaire de sa fille pour lui dire qu’elle l’aime.
« Cet amour que je lui apporte, je sais qu’elle en a besoin. Et moi, j’ai besoin de cet amour pour exister. »
Pour ces parents, ce lien avec leurs enfants est essentiel. Ils revendiquent d’être parents et privilégient l’axe dite de l’expérience de la parentalité. Les aspirations des parents d’enfants placés se jouent donc à des niveaux, dans des sphères de reconnaissance différents et sur des aspects de la parentalité spécifiques.
En étudiant les propos des parents à la lumière de ces trois tamis théoriques, j’ai pu tenter de donner sens à ces différents vécus.
La stigmatisation et la honte
Concernant le phénomène de stigmatisation, la question de la honte revient souvent dans les propos des parents. Extraits des entretiens sur le sentiment de la honte
« Ça me vexait beaucoup et tout le monde le savait dans le quartier. Il y a des rumeurs que disent des grandes goules. C’est au Shopi que je l’ai su. En faisant mes courses, j’étais dans un rayon, j’ai entendu en parlant de moi : vous savez quoi ? Cette femme-là, ils lui ont retiré ses mômes ! Vous vous rendez compte ! J’avais honte ! » (Mme N.)
« Même ma famille, ma propre famille, ma propre famille m'a jugé comme ça. Ils me considéraient comme un minable. Oui, j'ai beaucoup baissé la tête. Vous savez quand on a des enfants placés, les gens, ils ne cherchent pas à comprendre. Et puis rapidement tout le monde le sait, obligatoirement : tu te rends compte, on lui a enlevé ses gosses ! J'avais honte d'avoir fait des enfants et de ne pas être capable de les élever ! Jamais je n'aurais imaginé ça ! » (M. P.)
Ces entretiens montrent bien la capacité des parents à réfléchir à leur situation.
« Vous savez c'est insupportable d'avoir ses enfants placés. On ne peut pas s'habituer. La seule chose qu'on peut faire, c'est d'attendre qu'on nous les rende en essayant de rester calme. Avant, quand je ramenais mes enfants dans les familles d'accueil, je pleurais. Maintenant je ne pleure plus, je rends mes enfants. Ça s'arrête là. Moi je n'ai pas de honte que mes enfants soient placés. Il y a une grande différence entre avoir honte et se sentir dévalorisé. Ce n’est pas du tout la même chose. La dévalorisation, c'est surtout le manque de confiance. On ne nous fait pas confiance quoi. C'est vrai qu'on a pu faire des erreurs, il ne faut pas juger une personne à l'infini parce qu'elle a fait une erreur. Il faut lui laisser sa chance aussi. Moi honte et dévalorisé, ce sont des mots complètement différents qui n'ont rien à voir. Mais il ne faut pas avoir honte, faut savoir pourquoi un enfant a été placé. C'est complètement stupide de mêler la honte là-dedans ! On se sent dévalorisé parce qu'on nous a enlevé nos enfants. C'est-à-dire qu’on se sent moins bien que les autres, mais ce n’est pas pour ça qu'on a honte ! On se sent dévalorisé parce qu'on va se dire : mais qu'est-ce qu'on a fait pour qu’on nous enlève nos enfants ? On se sent dévalorisé, ça d'accord, mais ce n'est pas de la honte. » (M.Y.)
Ce point de vue montre à quel point certains de ces parents peuvent avoir une réflexion approfondie concernant leur vécu. Les professionnels gagneraient à s’en saisir pour essayer de comprendre ce qui se joue. La question du respect est aussi très présente dans les propos des parents.
« Pas du tout respecté, par rapport aux gens. On est méprisé, pas compris. Je crois que ce sont des gens qui manquent d’informations et puis qui jugent de façon hâtive. Ça me blesse quand même, énormément. Oui, oui, c’est très, très, très douloureux ! » (Mme R.)
Les propos de Mme U. illustrent bien la thèse d’Hegel sur le rapport entre l’image sociale et l’image de soi.
« Si j'accepte ça et que je fais un travail sur moi, avec tout ce qui m'est arrivé, j'apprends à me respecter... Je vais vous parler honnêtement. Je vois, à la fin de ma consommation, quand j'étais enceinte de Rachel, je faisais la pute pour un verre de tequila ! Où est-ce que je vais chercher le respect de moi-même là-dedans ? C’était aussi pour que la personne m'emmène avec elle tellement j'en avais marre d'être seule, ou que la personne me paye un verre... Pour rien en fait ! » (Mme U.)
Tout être humain doit être respecté au titre de sa dignité. Au centre des propos se trouve la question de la dignité. Cette notion très usitée recouvre différentes choses. Tout d’abord, la dignité désigne un sentiment personnel : appartenir à la communauté des hommes, avoir un statut social valorisant, entretenir un rapport positif à soi. La dignité c’est aussi un droit, qui fonde l’égalité entre les hommes et un droit qui garantit le respect de chacun. Comme le disait Feinberg, « respecter les personnes, ce n’est peut-être que respecter leurs droits. De sorte que l’un ne va pas sans l’autre. Ce qu’on appelle la dignité humaine, ce n’est peut-être rien d’autre que la capacité reconnue de revendiquer un droit. » La dignité est aussi une valeur universelle. « Tous les êtres humains naissent égaux en droits et en dignité. » (Article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.) Ou comme, le dit RICOEUR : « La dignité ? Quelque chose dû à l’être humain du seul fait qu’il est humain. » Tout être humain, quelle que soit sa condition, son état de santé, sa race et son sexe doit être respecté au titre de sa dignité. Ce qui différencie l’être humain de la chose c’est qu’on ne peut pas fixer un prix à l’être humain, disait Kant. Son prix, c’est sa dignité et il est incommensurable.
Plusieurs parents que j’ai rencontré m’ont justement parlé de dignité, ou, plus précisément, d’indignité :
Extraits des entretiens sur la dignité : « Moi, je me suis dit : mais qu'est-ce que j'ai encore fait ? Mauvaise mère ? C'est-à-dire que je suis indigne de m'occuper de mon fils. Je ne suis pas quelqu'un digne d'être mère. Voilà ce que j'ai ressenti. C'est très dur à encaisser. Quand on m'a enlevé mes enfants, qu'est-ce que vous voulez que j'en pense ? J'ai pensé que j'étais une mauvaise mère, une mère indigne. » (Mme Y.)
Opposer la dignité des enfants à celle des parents est une faute conceptuelle A travers les plus récents textes de loi, le législateur précise, que le fait de protéger la dignité des enfants, ne peut justifier l’atteinte à la dignité de leurs parents. Respecter la dignité des enfants ne peut se faire que si ces enfants savent que la dignité de leurs parents est préservée. Même si ces parents ont eu des comportements à leur encontre qui justifient qu’ils aient été séparés, opposer la dignité des uns et des autres n’a pas de sens : la dignité est une et indivisible, c’est la dignité de l’être humain, tout simplement ! Certes, il existe bien des comportements indignes, qui doivent être sanctionnés. C’est même un des fondements de la protection de l’enfance : il est primordial et ne doit en aucune façon être remis en cause D’ailleurs, aucun des parents rencontrés n’a contesté la légitimité du dispositif de placement des enfants en danger. Certains ont dit que cette mesure n’avait pas été adéquate pour eux, mais tous convenaient que ce dispositif doit exister. Pour autant, la stigmatisation dont ils sont l’objet est-elle justifiée ?
« Si je ne le dis pas que mon fils est placé, c'est parce que j'ai peur que les gens me jugent. J'ai peur qu'ils me jugent comme une mère indigne. Avant de connaître ce truc-là, je pensais qu'on ne plaçait que les enfants des parents indignes. Je les jugeais mal, moi aussi ! » (Mme W.)
Même s’ils ne sont pas officiellement qualifiés ainsi, le sentiment d’être jugé indignes est donc ressenti par nombre de parents d’enfants placés.
Pour terminer, je voudrais relater le témoignage d’une mère en désaccord avec le placement de ses enfants et qui pourtant est capable de faire la part des choses :
« J'ai été très en colère au début et c'est vrai que ça s'est passé un peu. J'avais mal partout, ça faisait très mal. Mais il y a toujours une douleur au fond de moi quand même. Mais il n'y a pas de colère. Je me dis : c’est bien. Les enfants évoluent bien. Malgré le fait que ce n'est pas moi qui les élève. Ça, j'ai toujours eu du mal à accepter que ça soit quelqu'un d'autre qui les élève. Mais enfin, c'est comme ça, c'est comme ça. Maintenant, je me rends compte que les enfants grandissant dans les familles d'accueil, ils sont quand même bien élevés et moi, je ne sais pas si j'aurais pu réussir à faire les choses aussi bien. Peut-être pas mieux, parce qu'on a toujours une douleur quand on les voit et quand ils repartent, mais c'est un bonheur aussi de les voir comme ça, qui évoluent bien, qui grandissent bien, qui sont à l'aise, qui sont bien. » (Mme C.)
Cet extrait montre que les choses sont beaucoup plus complexes qu’on l’imagine souvent, notamment quand on oppose, comme on le fait régulièrement, intérêts de l’enfant et droits des parents. Cette mère en tout cas ne semble pas insensible aux intérêts de ses enfants, n’est-ce pas ?
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