SERVICE SOCIAUX ce qui cloche en Haut Garonne
300 000 jeunes concernés (50 % faisant l’objet d’un placement en dehors de leurs familles, dont la moitié serait abusif, et 50 % bénéficiant de mesures éducatives), 5,8 milliards d’euros consacrés par les Conseils généraux : le constat de la Cour des Comptes sur la protection de l’enfance, en 2009, était implacable.
Voilà pour les chiffres. Mais au quotidien, cela peut vite être l’enfer. Exemple avec Pierrick*, qui vit en banlieue toulousaine. Victime d’une soustraction de ses deux enfants de la part des parents de son exfemme et de cette dernière en juin 2009, il n’a plus vu ses filles depuis un an alors que la justice lui accordait jusque-là un weekend par mois plus la moitié des vacances, l’obligeant à faire 2800 km aller-retour chaque fin de semaine entre Toulouse et la région parisienne. Puis tout s’est dégradé. « Depuis trois ans, j’accumule les preuves de maltraitances et de négligences de la part de la mère mais les psychologues ou les assistantes sociales dépendant du Conseil général de Haute-Garonne me disent que j’alimente le conflit et que, malgré tout, mes filles ne se sont pas jetées du 7e étage ! ». Pierrick est en butte avec la justice depuis des mois. Des procédures longues et usantes nerveusement. « Dans 90 % des cas, le juge des enfants suit les recommandations de l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Or, ces recommandations sont basées sur des rapports mensongers », ajoute-t-il.
Résultat : il a demandé l’inscription en faux des expertises concernant son affaire, porté plainte cet été pour « soustraction d’enfant et mise en danger de la vie d’autrui » et son dossier est traité depuis un an par les affaires criminelles de Paris.
1 enfant sur 2 confié au parent maltraitant
Pierrick, en arrêt maladie depuis de longues semaines, est loin d’être un cas isolé. Selon une étude américaine dirigée par un professeur de Harvard, 54 % des enfants seraient ainsi confiés au parent maltraitant. Et en Haute- Garonne, comme partout en France, la gestion « sociale » des 3 300 enfants suivis par l’ASE (lire ci-dessous) est sujette à caution. Ce que confirme Stéphane Tardy, référent de l’Association SOS Inceste Maltraitance en Midi- Pyrénées. « Ce département n’est pas le plus problématique mais nous avons déjà constaté qu’un enfant avait été placé parce que la maman l’allaitait. Autre cas de figure sur Muret : un enfant à qui l’institution a fait croire que ses parents étaient morts alors qu’ils vivaient à quelques kilomètres du foyer… ».
Une recrudescence des problèmes qui se retrouve chez la déléguée départementale du Défenseur des Droits pour la promotion des droits de l’enfant, Colette Gayraud. « Nous suivons des dossiers concernant 35 enfants, c’est plus qu’en 2011. Ce sont souvent des contestations de placement ou des demandes de grands-parents qui n’ont pas fait partie du Projet pour l’enfant, qui est fixé par le Conseil général avant toute mesure éducative ». Elle tire deux constats des expériences qu’elle observe tous les jours. « Les parents doivent absolument sortir du conflit. Et si l’enfant peut ne pas rester très longtemps en foyer, c’est le mieux ».
Les foyers, sur lesquels pèsent régulièrement des soupçons de… maltraitance (lire le témoignage ci-dessous), comme les autres modes de placement (Maison d’enfants à caractère social, familles d’accueil…), sont gérés par le Conseil général de Haute- Garonne. « L’intérêt de l’enfant n’a pas de définition légale, c’est à nous de l’apprécier par rapport aux éléments que nous avons dans chaque dossier, précise d’abord Christophe Magne, le directeur du service Enfance et Famille, dont le travail est régi par un « protocole d’accord » sur « des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou en risque de danger », signé en juin 2011 avec le procureur de la République, Michel Valet. Notre souci principal, c’est l’attractivité du département, qui enregistre 16 000 naissances par an. Le nombre d’enfants de la tranche 14-18 ans à protéger a augmenté ». Pour lui, « le placement est le dernier recours » et les décisions « sont prises par rapport aux droits et aux faits. Nous sommes sur une matière humaine difficile, avec du doute, sans condescendance. Nous essayons seulement, dans tous les cas, de prendre la moins mauvaise des solutions », conclut Christophe Magne.
Une plainte contre le Conseil général en 2011
Un volontarisme qui n’empêche pas les zones d’ombre. Le 21 novembre 2011, l’association SOS Inceste Maltraitance portait plainte contre le Conseil général en raison des «dysfonctionnements et des mensonges des éducateurs ». Une plainte classée sans suite par le procureur de Toulouse… Et l’on attend toujours les résultats de l’enquête concernant la mort suspecte d’une petite fille de 3 mois au foyer de Launaguet, en février dernier. Sollicité à ce sujet, le bureau du procureur ne nous a pas rappelés.
*Le prénom a été modifié
———————————————
Témoignage : un adolescent raconte les violences des éducateurs en foyer
Rémi*, qui fêtera ses 16 ans à la fin de l’année, a passé plus de quatre ans en foyer en Haute- Garonne et dans le Gers. D’enfant réservé, « pas violent », son passage dans les foyers l’a amaigri et rendu nerveux à la moindre occasion. Il s’est même mis à fumer, à l’affût du moindre « regard de travers dans la rue ». Ses seuls souvenirs sont empreints de la « violence » des éducateurs. Exemples à l’appui au CDEF (Centre départemental de l’enfance et de la famille) de Launaguet. « Un jour, les éducateurs ont bloqué les volets de ma chambre et m’ont enfermé toute une après-midi. À l’école primaire interne au foyer, l’instit pouvait nous soulever par le T-Shirt si on faisait une faute », avoue Rémi, qui explique avoir reçu « des coups» dans cet établissement.
Musique classique et tabassage
Au Chêne Vert de Flourens, le jeune homme estime avoir connu « moins de soucis » malgré une tentative de fugue. Mais l’expérience la plus traumatisante, Rémi l’a vécue au foyer de Saint-Clar de Lomagne (Gers). « C’est mon pire souvenir, l’éducateur là-bas m’a tapé et étranglé. Une fois, j’étais rentré un quart d’heure en retard au foyer et il m’a levé par la gorge. Un autre éducateur a déjà enfermé un jeune dans sa chambre et l’a tapé sur fond de musique classique ». Le quotidien pouvait rimer avec coups de poing, et les bleus sur le corps qui vont avec, même si « d’autres étaient respectueux ». L’idée de porter plainte à la gendarmerie a effleuré plus d’une fois le jeune homme et sa mère. « Mais les gendarmes ne pouvaient prendre la plainte qu’à la condition d’être accompagné d’un éducateur… », se désole Rémi.
Humiliations lors des repas
Au moment des repas, les scènes d’humiliation ne cessaient pas. Au contraire. « Quand je nettoyais la table, un jour il a pris du plaisir à renverser une brique de lait. J’ai aussi vu des éducateurs menacer d’autres jeunes comme moi avec des couteaux, et les blesser. On était rabaissés sans arrêt ».
« Maman, elle t’oublie »
L’avenir, Rémi tente de le positiver. Aujourd’hui sorti de cet « enfer », il en veut pourtant davantage à son père qu’aux services sociaux et aux institutions. Entré en apprentissage dans la restauration, Rémi n’a plus qu’une hâte : « Rattraper le temps perdu avec ma mère ». Pour se venger de cette ironie amère qu’une assistante sociale lui a asséné un soir de décembre pour son anniversaire au CDEF de Launaguet : « Maman, elle ne t’a rien envoyé. Elle t’oublie ».
* Le prénom a été modifié
———————————————
LES CHIFFRES CLÉS :
> 3300 :
C’est, selon les chiffres fournis par le Conseil général, le nombre d’enfants suivis par le service de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) en Haute-Garonne. Des chiffres qui, selon le Département, comprennent aussi les enfants du 31 placés dans d’autres départements (7 % des cas). Ces données diffèrent légèrement du côté de l’association SOS Inceste Maltraitance qui notait, en 2007, 4 515 enfants suivis par l’ASE, soit 1,5 % de la population des moins de 20 ans de Haute-Garonne, qui représente au total 300 000 jeunes. En tout, le Conseil général consacre 120 millions d’euros par an à l’enfance et à la jeunesse.
> 30 :
C’est le nombre « d’informations » mensuelles enregistrées au numéro vert du Conseil général (0 800 31 08 08). « Nous transmettons au parquet si des faits ou des délits sont constatés. En tout, 2 % des informations nous sont retournées par an », explique Christophe Magne au Conseil général.
(Ce dossier est paru dans l’édition de Voix du Midi Toulouse du jeudi 29 novembre dernier)
A découvrir aussi
- La Justice en France
- BLAME POUR LA PSYCHIATRIE CANADIENNE
- L'acte d'arrestation de Danton et de ses Amis