UN COUPLE SUPER-PROTECTEUR :L'A S E et le juge des enfants
Ce papier est l'un des chapitres de mon livre "Enfants victimes, enfants délinquants" publié en 1989 chez Balland.
Il est partiellement daté mais sur le fond il colle encore très bien à la réalité de cette dialectique Social-Judiciaire qui caractérise notre dispositif de protection de l'enfance. Je vous livre avec plaisir. Dès que je trouverai un peu de temps livre je l'actualiserai.
JPR
UN COUPLE SUPER-PROTECTEUR :L'A S E et le juge des enfants
L'Aide sociale à l'enfance et le juge pour enfants forment un drôle de couple. Sont-ils mariés ? Vivent-ils en concubinage ? Le fait est que malgré leurs domiciles séparés, ils sont alliés pour le meilleur et pour le pire. Alliance d'une tricentenaire et d'un quadragénaire.
Nous nous souvenons tous du nom de jeune fille, de vieille fille devrais-je dire, de la première : Assistance publique. On m'objectera peut-être qu'elle n'a pas, sous cet état civil, l'âge que je lui prête. C'est vrai. Mais tous ceux qui se sont interessés à sa généalogie savent qu'elle a été conçue sinon baptisée au temps de Saint Vincent de Paul.
Le juge des enfants tient son acte de naissance d'une ordonnance du 2 février 1945. Entre les deux, les rôles sont alors très distincts. A lui, les délinquants, à elle, tous les autres :: pupilles de l'Etat, recueillis temporaires et enfants autrement assistés dans leur famille. N'est-il qu'un père fouettard ? Si on le compare à elle, sûrement. Mais du point de vue des gamins et des gamines dont il s'occupe, son apparition est un grand progrès. Avant lui, n'importe quel magistrat siégeait dans les tribunaux pour enfants créés en 1912. Si l'on veut remonter dans le temps, on découvre que les petits délinquants étaient, comme les adultes, exposés à la seule répression des juridictions ordinaires. S'il réprime aussi, le nouveau juge a d'abord mission de protéger, de rééduquer.
Le ménage du juge des enfants et de l'Assistance publique s'est constitué en 1958-1959 par un jeu d'ordonnances. Comme sa commère, le juge reçoit alors mandat de protéger les enfants en danger et non plus les seuls délinquants. C'est dans ce moment que sous couvert des D.D.A.S.S., l'Assistance publique prendra le nom plus aimable d'Aide sociale à l'enfance. Un premier lifting pour elle, un véritable éveil à la vie pour lui.
Durant la décennie qui a suivi, le couple a été très prolifique. Lui, fringant et impulsif, droit comme la Justice, ordonnait de la garde provisoire à tour de bras et le provisoire durait longtemps. Elle, habituée à régenter son monde de pupilles de l'Etat, en compensait plus que largement le nombre décroissant - moins de pauvreté produisait moins d'abandons précoces et définitifs - par des recueils temporaires également durables -huit, dix, douze ans, parfois plus- que l'adjectif ne le suggère.
Jugez plutôt.
De 1960 à 1970, le nombre des pupilles de l'Etat tombe de 63 500 à 38 700 -j'arrondis- mais celui des recueillis temporaires passe de 36 000 à 75 000 et celui des gardés provisoirement (c'est-à-dire placés par juge des enfants) s'élève de 30 800 à 107 400. Soit pupilles inclus, environ 130 000 enfants placés en 1960 et plus de 220 000 dix ans plus tard.
Qui protège bien, sépare et place beaucoup pensaient alors l'Aide sociale à l'enfance et le juge des enfants. Ils en sont revenus. Le nombre actuel d'enfants placés est tombé en dessous de ce qu'il était en 1960 : environ 110 000 et parmi eux, on ne dénombre plus que 5.000 pupilles (21.000 encore en 1980) . La grande majorité n'est donc pas vouée au placement jusqu'à l'âge de la majorité.
Derrière le lifting, une importante mutation s'est opérée. L'Assistance publique est morte. Le service public de l'Aide sociale à l'enfance (A.S.E., lire "Laseu") est né avec un sang neuf, ces nouvelles générations d'inspecteurs de l'enfance formés (sur le papier) aux sciences sociales et à la gestion moderne. L'A.S.E. n'a plus seulement vocation comme son ancêtre à accueillir les enfants; elle doit désormais éviter d'avoir à les accueillir en créant les conditions d'une meilleure vie chez eux. Elle prévient autant qu'elle intervient. Le retrait autoritaire d'enfant doit être exceptionnel. Qui plus est il relève du seul juge. Quant à accueillir un enfant avec l'accord des parents, c'est l'ultime solution retenue quand les autres notamment l'aidfe éducative à domicile se sont révélées trop courtes.
Soyons réalistes: sa vieille peau lui colle encore aux os. Pour l'opinion, et notamment dans les départements à forte tradition d'accueil des enfants, elle reste l'Assistante publique.
*
Cette vie de couple ne va pas sans chamailleries. Le juge a le pouvoir de prendre des décisions que l'A.S.E. à l'enfance n'approuve pas forcément. En retour, elle a la possibilité de lui faire des cachotteries, en omettant par exemple de lui signaler des faits qu'il ignore et qui appelleraient son intervention. Ainsi, il lui reproche le temps qu'elle met à le saisir des cas d'enfants maltraités:
- Vous auriez dû me prévenir plus tôt !
- Non, car au début la famille était d'accord pour faire le nécessaire.
Des deux, il est souvent le plus coincé. S'il est vrai qu'il a sur elle l'avantage d'une sorte de puissance paternelle, il n'est pas moins vrai qu'elle sait très bien, mieux que lui, grâce à la toile d'araignée qu'elle a tissé sur le terrain ce qui se passe dans les familles, dans les établissements. En outre, c'est elle qui tient les cordons de la bourse.
Les chamailleries tournent parfois à la querelle de territoire - "C'est pas tes enfants, c'est les miens" - ou au conflit de compétences - "Je les connais ,mieux que toi, je sais mieux ce qui sera bon pour eux". Dans les pires moments, le juge a envie de dire "Paie et tais-toi". et elle de répondre "Contente-toi de décider comme je l'entends".
Rassurez-vous. Entre eux le pire n'est pas fréquent. Ils sont condamnés à s'entendre. Même les infidélités de celui-ci envers celle-là, par exemple quand il préfère confier directement ses enfants à ses propres services de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PPJ), ex-Education surveillée, mais surtout à des associations privées, finissent par être pardonnées. Elle a trop à faire pour se donner le temps de longues jalousies. Et puis ces fausses rivales n'est-ce pas souvent par elle qu'il les a connues ? N'a t-elle pas en outre la certitude qu'il lui reviendra toujours tant il a besoin d'elle ? Elle est bien plus inquiète en fait quand il recourt à des "personnes dignes de confiance" dont il est seul à maîtriser en quoi elles le sont.
S'il est dans ses meubles au tribunal pour enfants, s'il dispose de quelques dépendances à la PPJ, elle possède le bien, elle a les moyens de loger ou de faire loger en établissement ou en familles d'accueil les enfants dont il ordonne la prise en charge; elle encore qui tient le carnet de chèques quand il s'agit de verser une allocation mensuelle ou un secours d'urgence à une famille dans le besoin, de financer une aide familiale ou éducative. Lui peut bien promettre, c'est elle qui décidera de ce qu'il faut lâcher.
Lui aussi admet bien la double vie de sa compagne. Car elle a sa vie propre. Il ne l'empêche pas d'avoir ses bonnes oeuvres, ses enfants et ses familles à elle, -celles qui acceptent de faire ce qu'elle veut pour leurs rejetons-, pour qu'elle revienne bien aux fourneaux pour s'occuper de leurs enfants communs. Il la veut à son service pour exécuter ses mesures. Elle ne doit jamais l'oublier.
Non, à y bien réfléchir, ce n'est pas un couple jaloux. Susceptible plutôt. Le principal reproche que l'A.S.E. fait au juge quand il leur arrive d'étaler leurs querelles en public, c'est d'être parfois comme les pères qui occasionnellement prétendent décider de tout alors qu'ils sont infiniment moins présents que la mère auprès de leurs enfants.
- Je t'avais bien dit de t'en occuper plus; il a encore fait une bêtise !"
- Si tu étais plus présent, cela se passerait mieux. Mais,bien sûr, tu as trop à faire !
Il n'est pas en reste d'argument. S'il n'y veillait rappelle-t-il, elle fonctionnerait plus au "feeling" qu'à la loi. Comme jadis.
Fausse dispute. Ils doivent s'accepter différents. Ils sont différents. Si leurs territoires sont proches, si par l'effet du mimétisme qui rapproche ceux qui vivent longtemps ensemble, ils ont de nombreuses analogies de comportement, il ne s'agit pas d'un couple homosexuel. Leurs fonctions sont bien distinctes. L'un gère le corps et le social, l'autre le droit. Elle aide les familles, dans le respect de leurs droits et obligations, lui veille aux conditions d'exercice de l'autorité parentale. Certes il n'est pas un simple distributeur de droit: il écoute, tente d'être psychologue, se préoccupe des conditions d'existence des parents et des enfants, mais il restreint, conforte, transfert ou consacre des droits.
La distinction est essentielle. Les enfants dont s'occupe le couple ne sont pas les siens. Il ne s'agit pas d'en disposer n'importe comment, de porter atteinte à l'ordre naturel de l'autorité parentale autrement que par voie de justice. Même volontaires, c'est-à-dire acceptées par les intéressés, les délégations d'autorité parentale doivent être entérinées par le tribunal qui vérifie s'il n'y a pas en-dessous des trafics louches. A fortiori, les mesures privatives de tout ou partie de leurs droits ne peuvent-elles pas être imposées à des parents par simple décision administrative. Par mimétisme, il a déteint sur elle. Depuis la loi Dufoix de 1984, le droit a pénétré l'A. S E. Les parents doivent donner un accord préalable et écrit sur les conditions de l'intervention sociale; l'avis de l'enfant doit être recueilli et les situations doivent être régulièrement révisées.
Sur le papier, le partage des rôles parait simple. Quand les familles acceptent son intervention, l'ASE agit sans en référer au juge. Lui intervient quand la famille refuse (ou ne peux pas) prendre les mesures nécessaires à mettre fin à la situation de danger. Dans la réalité, la frontière est plus mouvante.
D'abord elle se sert de lui, à son insu, -mais l'ignore-t-il vraiment tellement cela l'arrange parfois ?-, pour vaincre des réticences: "Si vous n'acceptez pas, je vous envoie au juge!. ". Si la menace est inopérante, elle le sollicite afin qu'il impose par ordonnance la mesure proposée par elle et refusée par les parents.
De son côté, le juge lui envoie des enfants qui lui sont amenés par d'autres voies: des petits délinquants, mais aussi des fugueurs, des victimes réelles ou apparentes de mauvais traitements, récupérés ou ramassés par les gendarmes ou la police.
Pour ceux-là le couple se chamaille vraiment. Par exemple, quand elle lui demande d'ordonner une mesure, l'ASE aimerait bien qu'il ne discute pas. Mais il chipote, il vérifie, il ordonne des enquêtes complémentaires, bref il lui donne l'impression de douter d'elle et de prendre trop de temps. Ne faut-il pas généralement pour lui céder ? Sans doute. Mais parfois il n'est pas d'accord, pas d'accord du tout avec la proposition faite même s'il admet les faits. Bref, il est imprévisible, incertain comme tous les juges.Il a acquis des principes à l'Ecole de la Magistrature : de même qu'un policier ne va directement à la prison avec celui qu'il vient d'arrêter, sans passer par la case Justice où il touche un mandat de dépôt, de même une famille ne peut être l'objet d'une mesure coercitive sans contrôle d'opportunité !
A l'inverse, quand il lui confie de la graine de délinquance, elle grogne, elle rouspète: " On ne veut pas de ça chez nous. C'est pas le genre de la maison. On n'est pas équipé pour !". Elle l'accuse aussi de gaspilleer ou de na pas avoir confiance quand il prend l'initiative de donner un mandat en milieu ouvert à un service privé alors qu'elle prend en charge physiquement les enfants. Elle n'aime pas ces doubles-mesures.
Dans l'un comme l'autre cas il faut parfois parlementer longtemps. On échange des mots doux. Surtout on se téléphone en permanence. Quand l'affaire est grave, on se donne rendez-vous.
Plus finaude que résignée, l'ASE finit presque toujours par laisser au juge le dernier mot. Comme c'est elle qui gère la baraque, elle aura la possibilité d'arranger ensuite les choses à sa convenance. Il compose peut être le menu mais elle confectionne le plat, et là il n'a plus guère l'occasion de ramener sa science. C'est pas ses oignons. S 'il n'est pas content, qu'il change de cantine en donnant main-levée de la mesure. Eventuellement, elle saisira le premier incident pour lui rabattre son caquet : "Vous voyez, je vous l'avais bien dit" De là à l'accuser d'en prendre à son aise avec les décisions du chef de famille, non ! D'une part, il a, je l'ai dit, le pouvoir de mettre fin à la mesure. D'autre part et surtout, elle a autant que lui le souci des enfants, de leur famille. Sa mauvaise tête n'est jamais que la manifestation d'un vrai désaccord sur la meilleure manière d'exercer leur commune protection sur les enfants qu'ils ont en commun. Mais il est vrai qu'elle ne sent pas toujours chez lui les marques d'affection qu'elle attendrait. En vrai macho, il croit vraiment que tout lui est dû et joue de sa superbe. Il est magistrat c'est-à-dire "fonctionnaire à statut spécial", elle n'est que fonctionnaire. Il est "le" défenseur des libertés individuelles et des libertés familiales, elle n'est qu'une administration de gestion !
Ajouterais-je que généralement investi de cette fonction dès sa sortie de l'Ecole, il n'en finit pas d'être toujours plus jeune qu'elle et est assuré, si cette vie de couple lui déplaît, de pouvoir céder sa place à un autre ?
Et eux, ces enfants, ces adolescents, ces parents aussi, qui préfèrent-ils? Aucun ? Cela doit arriver même s'ils ne nous le disent pas. Les deux ? On a le droit de rêver! Ne nous fions qu'à ce que nous entendons. Dans la situation où ils se trouvent, ils jouent de l'un ou de l'autre, de l'un contre l'autre. C'est là, dans leurs difficultés, qu'ils se ménagent une plage de liberté.
"L'Inspectrice (de l'enfance) est sympa, mais le juge est dur!" Variante "Si vous faites cela, j'irai le dire à "mon" juge!". Pareillement des parents s'entendent avec l'Aide sociale à l'enfance parce qu'ils redoutent le juge. D'autres éventuellement vont trouver ce dernier pour lui demander: "Monsieur le juge placez les enfants à l'Aissistance, ma femme est malade et moi je travaille. Ils me refusent un recueil temporaire". Que tous ou presque nous utilisent ou nous subissent, plus qu'ils ne nous aiment, c'est l'évidence. Mettez vous, mettons nous à leur place ! Le besoin qu'ils ont du couple que nous formons ne procède pas d'un penchant affectif, mais d'une nécessité..
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Laissons les bisbilles où chacun réaffirme son -mauvais ?- caractère. Entre l'Aseu et le GI-eu, elles ne sont ni plus nombreuses ni plus importantes que dans un couple raisonnablement stable. Bien plus fréquemment, il n'est même pas besoin de se parler pour se comprendre. Comme dans tous les vieux couples où chacun a quand même du respect pour le partenaire, on se fait mutuellement confiance. A propos de tels ou tels enfants, chacun sait qu'il pourra compter sur l'autre.
Ainsi est-ce en toute confiance que j'avais ordonné sur demande de l'Aide sociale à l'enfance une mesure éducative en faveur de la famille Pilard. Cinq enfants en bas-âge, des parents de condition modeste sans être pauvres, un peu lymphatiques, souvent dépassés par les trop nombreux problèmes que pose une si grande famille. C'est presque la famille-type. On aime ses enfants sans grandes effusions ni suffisante compréhension. On ne parle pas beaucoup, on n'échange pas parce qu'on n'a pas appris. Dès la maternelle, l'école révèle d'importantes difficultés de langage révélatrices d'un réel besoin de soutien éducatif.
Un travail à long terme. La mesure éducative confiée à la Sauvegarde de l'enfance suit son cours. Sans éclat. C'est tout juste si je me souviens des Pilard quand se pose le problème de Catherine. Depuis l'âge de six mois, elle vit dans un établissement très spécialisé de la Marne, le seul du genre en France. Il a accepté de l'accueillir, alors grabataire, dans la cadre d'une prise en charge par la Sécurité sociale.
C'est loin la Marne quand on habite les Yvelines, mais les parents voient leur fille régulièrement. Cette dernière année, ils ont eu la satisfaction de constater de réels progrés. Catherine peut maintenant marcher en s'appuyant sur les rampes dont les murs de cette maison sont équipés. Mais, elle a atteint la limite d'âge fixée par les réglements, 6 ans. Mais on peut attendre encore un peu, le temps de trouver un établissement adapté à ses nouveaux besoins et qui soit plus proche du domicile de ses parents car il n'est quand même pas question qu'elle puisse déjà (re)venir chez elle. On se donne un an pour cela.
Or les choses se précipitent. M. et Mme Pilard ont reçu une lettre de l'Institution. Le directeur leur explique qu'il faut envisager un plus prompt retour dans les Yvelines, sinon leur fille sera transférée dans un hôpital psychiatrique de la Marne. On ne leur laisse finalement guère de choix. Catherine est désormais en surnombre. La Commission d'Education Spécialisée lui imposera cette hospitalisation par pur réflexe gestionnaire. Il y a des places vides dans les hopitaux psychiatriques du département. Aussi simple que cela. Le marché de l'enfance a ses raisons !.
La lettre a été immédiatement transmise à l'éducatrice de la Sauvegarde qui s'est renseignée et m'a informé de la situation. Seule riposte possible: que j'impose judicairement le maintien de Catherine dans cet établissement ou que je la confie à l'ASE qui a aussi le pouvoir d'opposer le besoin de l'enfant au projet d'hospitalisation en psychiatrie. Encore faut-il qu'elle soit d'accord car dans les deux cas elle paiera. J'ai le pouvoir de prendre seul cette décision, mais si elle ne l'accepte pas, elle pourra mettre beaucoup de temps à payer les prix de journée. Or l'Etablissement qui ne demande qu'à conserver Catherine le temps qui était initialement prévu, ne doit pas être sanctionné de notre fait..
Avec l'Inspectrice de l'enfance nous avons retenu la première solution. Un coup de téléphone a suffi pour que nous tombions d'accord. Nous nous sommes compris à demi-mot, comme d'habitude Il me suffira ensuite de recevoir la famille pour la forme -puisqu'elle est d'accord- et de prendre l'ordonnance.
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Une entente si parfaite est parfois à la limite du dommageable. Elle peut conduire à un manque de contrôle réciproque lorsque le juge se contente de prendre les mesures qui lui sont demandées ou s'il n'assure pas le suivi de ses décisions. Or il est garant vis-à-vis de la famille de ce qui doit advenir après son intervention. C'est sa raison d'être, ce qui en fait un juge original.
Ainsi ce juge qui a signé quasiment les yeux fermés l'ordonnanceque sollicitait pour Marina, l'ASEnce. Manque de temps, de recul, ou d'informations ?
Marina, 8 ans, est élevée dès sa naissance par une assistante maternelle du fait de l'état de la mère lors de son accouchement. Grande toxicomane, elle était incapable de s'occuper de son bébé et sans trop savoir ce qu'elle faisait, elle a consenti au recueil temporaire qui dure toujours. Donc pas d'intervention du juge.
Depuis Marina ne voit jamais sa mère, d'origine portugaise, ni ses oncles et tantes qui comme elle vivent en France. La drogue a conduit la mère en prison où lui est imposée une cure de désintoxication. Sa libération approche, elle commence par écrire ou par faire écrire à l'assistante maternelle qui lui répond par une carte postale : "Votre fille va bien, elle grandit et va à l'école". Dans une deuxième lettre, la mère annonce la date de sa libération et son intention de reprendre sa fille.
Affolement à l'ASE. Au fond Marina ne connait pas sa mère. Bien sûr celle-ci a le droit pour elle, mais le projet menace la sécurité de Catherine. Afin d'y faire obstacle, un signalement est adressé au Procureur de la République qui saisit le juge des enfants à charge pour lui de transformer le recueil temporaire administratif en un bon et solide placement judiciaire. Ce qu'il fait. La mère est en prison. Elle n'est pas reçue par le juge qui aurait pu l'en extraire pour la circonstance.
La mère ne comprend pas. Elle interjette appel et se présente seule à l'audience. Elle aurait pu être accompagnée d'un avocat, mais personne ne le lui a conseillé. Maladroite elle s'embrouille dans ses explications, se montre agressive, menace de ne pas aller voir sa fille comme le lui demande l'assistante sociale. Bref, au lieu de défendre sa cause, elle s'enfonce et provoque ainsi la confirmation du placement par la Cour. L'engrenage continue.
Le placement par voie judiciaire s'imposait, c'est sûr. Mais ici la Justice a fonctionné comme un service administratif d'antan. Personne social n'a vu la mère alors qu'il était facile -et pour cause !- de la trouver en prison. N'aurait-il pas fallu clarifier la situation de l'enfant plus tôt ?. Faut-il préciser que dans ce même Service d'un grand département français, les lettres envoyées par les parents à leurs enfants placés de longue date ne sont pas toujours transmises. Comme au "bon vieux temps" de l'Assistance publique, elles restent alors au dossier. "Il ne faut pas traumatiser les enfants". Choquant, non !
Le juge n'a pas reçu la mère de Marina.. Il a entériné la demande par précaution. C'est tout. La suite? S'il y avait une chance d'établir des liens entre Marina et sa mère, de leur permettre à terme sinon de vivre ensemble, au moins d'être en relation, elle a été gâchée. Cette fois Aide sociale à l'enfance et juge des enfants se sont mis d'accord sur le dos de ceux qu'ils ont mission de protéger. Cela leur arrive. Car ne l'oubliez pas, qui protège l'enfant n'exclut pas la mère de cette protection. C'est la loi et le bon sens.
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Au sein du couple, un franc désaccord peut donc être plus profitable qu'une trop parfaite entente. En matière d'autorité parentale, puisqu'on en parle, la loi donne au juge des enfants le pouvoir d'arbitrer entre la famille et la société que par certains côtés représente l'ASE. Ainsi, lui arrive-il, doit-il lui arriver de la déjuger. Il n'est pas une chambre d'enregistrement. Elle propose. Il juge. Comme il ne peut être fiable à cent pour cent la Cour de Cassation a reconnu à la vieille compagne le droit de contester ses décisions en cour d'appel. Droit utile, mais somme toute rarement utilisé. Preuve que finalement cela ne va pas trop mal entre eux. A Paris, trois ou quatre appels pour 4 500 décisions de placement dans les six dernières années.
Voilà un cas de désaccord assumé par le juge au sein du couple. Il date de 1986. La scène se passe dans le nord de la France.
Leila est placée. Sa mère Mme Baudis désire qu'elle soit confiée à sa propre mère Mme Alliot qui s'occupe déjà des trois autres enfants. Refus du Service de l'Aide sociale à l'enfance. La grand-mère est trop âgée. Elle a déjà trop à faire.
Devant le juge, Mme Baudis raconte que lorsqu'elle a fait une demande de recueil temporaire on lui a fait signer un consentement à l'adoption de sa fille. depuis, toutes ses démarches entreprises pour récupérer Leila et l'emmener chez la grand-mère ont été vaines.
-J'ai pourtant dit que jamais j'avais voulu abandonner mon enfant explique-t-elle dans son pauvre français.J'ai même envoyé un recommandé. Quand j'ai voulu reprendre ma fille on m'a refusé et on m'a obligé à accepter une nourrice sous la menace. Si je décidais pas de la placer chez une nourrice, elle -l'Aide sociale à l'enfance- vous dirait que la petite est en danger et ainsi elle aurait ses droits sur Leila
La grand-mère confirme au juge que jamais il n' a été question d'abandonner Leila. "J'assume" semble-t-elle dire,les difficultés de ma fille".
Rapport du Service de l'Aide sociale à l'enfance. La situation juridique de Leila n'est pas évoquée (un silence pudique qui en dit long !). Il n'est pas contesté que presque aussitôt après l'admission de l'enfant, la mère a voulu la reprendre. Sauf à saisir dans l'instant le juge des enfants, sa demande aurait du être satisfaite. Faute de cela, et si ce que dit Mme Baudis est exact, il y eu véritable voie de fait.
Non seulement la grand-mère est âgée insiste le rapport, mais Mme Baudis pourrait, comme par le passé, y reprendre sa fille à tout moment, trop peu consciente du danger qu'elle lui fait courir. On attend donc du juge qu'il confirme le placement en famille d'accueil.
- "Rien n'indique que la mineure soit en danger chez la grand-mère" répond le juge dans son ordonnance qui donne satisfaction à Mme Baudis.C'est en pleine conscience que Mme Alliot demande la garde de Leila après avoir obtenu celle des ainés.
Il intègre cependant partiellement les arguments du rapport social. Au lieu de laisser Mme Baudis la liberté de consentir elle-même à cette garde et d'y mettre un terme quand elle le voudrait par simple exercice de son droit d'autorité parentale, il l'ordonne lui-même, lui donne forme de placement judiciaire. Tant qu'il n'en prononcera pas main-levée, Leila ne pourra être enlevée à sa grand-mère.
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Ils s'épient, se copient parfois. Depuis peu, le juge s'inquiète. Il la sent sous influence. De technicienne -alors on pouvait s'entendre-, elle est devenue politique. C'est qu'elle a un nouvel homme dans sa vie : le président du Conseil général.
Sans doute l'avez-vous remarqué ? Je ne vous ai pas parlé jusqu'ici de la D.A.S.S., service extérieur de l'Etat, chapeauté par le Préfet et suzerain de l'ASE jusqu'en 1984. Elle est maintenant largement hors du coup.
Avec la décentralisation, on a partagé l'ancienne Direction Départemantale des Affaires Sanitaires et Sociales : le Service de l'ASE est tombé dans l'escarcelle du président du Conseil général. ainsi que la protection maternelle et infantile . Bref, maintenant, il est le vrai patron de l'action sociale en direction des familles et du département.
En quelque sorte il est devenu le beau-père du juge des enfants. Le Prefet n'était jadis qu'un chef lointain .Il a conservé quelques compétences. comme d'être le tuteur des pupilles de l'Etat.
Le président du Conseil général aurait aujourd'hui pour sa fille, et par contre-coup pour son gendre, des manières plus jalousement paternalistes. On le dit aussi plus près de ses sous. Or c'est lui qui finance, qui décide du montant de l'enveloppe annuelle. Et puis, disons-le, on le suspecte d'être peu au fait des affaires, donc pas très compétent. On s'attendait à ce qu'il casse tout dès son installation au poste de pilotage de l'action sociale : les vieux rapportent plus que les enfants, les routes, c'est plus visible que le social !
Médisances ? Procès d'intention, plutôt ! Si on commence quand même à sentir la différence - ailleurs on parlerait de frémissements -, le bouleversement tant craint par certains ou attendu par d'autres ne s'est pas encore produit.
Le principal défaut du président du Conseil général serait qu'il est beaucoup plus sensible au qu'en dira-t-on que ne l'étaient le Prefet et son directeur départemental des Affaires Sanitaires et Sociales. Surtout pas de scandales. Qu'on parle de mes industries et de mes sites de loisirs, mais pas des enfants de l'Aide sociale! Ce serait mauvais pour mon image. Un président de Conseil général navigue toujours entre deux élections. Un exemple. En avril 1982 Gilles âgé de 18 mois a été confié à l'ASE, alors service d'Etat, par décision de justice. S'en est suivi un placement en famille d'accueil, les époux Allain. Au début, pas de problèmes. Les difficultés commencent quand le garçon prend de l'âge. Ses nourriciers sont devenus à la fois trop exessifs et trop possessifs. D'un commun accord, le juge et l'ASE ont décidé de confier Gilles à un foyer privé le 29 mars 1986.
Le père du garçon et surtout la famille d'accueil lancent une pétition contre cette décision. Emoi dans les chaumières et à l'Hôtel du département. FR3, puis les chaînes nationales relaient. Entre temps, la décentralisation s'est opérée. Le Président du Conseil général bat en retraite. Sacrifiant à une opinion unilatéralement informée, il désavoue son Service.
Négligeant le dossier, il le somme de reconduire l'enfant chez les Allain. Le juge en est avisé immédiatement. -c'était la moindre des choses- par le directeur de l'ASE ce puisqu'il y avait un mandat judiciaire. Le magistrat décide de maintenir la position qui au départ était commune. Après tout la décision ne dépend que de lui.
"Attendu que le juge des enfants est chargé d'assurer la protection des mineurs en danger; qu'il s'acquitte de cette mission dans l'indépendance que lui garantit la constitution et ne prenant pour seul critère de son action que l'intérêt de l'enfant.
En l'espèce, le transfert de la garde de Gilles au Service de l'aide sociale à l'enfance pour les raisons ci-dessus évoquées n'est plus conforme à l'intérêt du garçonnet et il convient d'y mettre fin d'urgence".
Autrement dit, le juge annule l'ordonnance de 1981 qui confiait Gilles à l'ASE et se donne ainsi les moyens de décider lui-même et directement que l'enfant restera, au moins provisoirement en attendant de trouver une meilleure orientation, au Foyer où il évolue plus positivement que dans son ancienne famille d'accueil.
Son père pourra y exercer son droit de visite à condition qu'il en use lui-même et non qu'il en fasse concession aux Allain. Il convient en effet d'éviter que le garçon ne soit le jouet d'un nouveau conflit d'appropriation.
Le président du Conseil Général n'a autorité hiérarchique que sur sa "fille". La décision du juge s'imposait donc à lui tout autant qu'à l'ASE. Probablement s'en est-il trouvé bien. Au moins lui était-il permis de retourner l'opinion contre son gendre ! "C'est pas moi, c'est le juge". La parenté entre eux n'est pas suffisamment établie pour qu'il ait à en assumer les frasques.
Mais imaginons que le premier placement de Gilles se soit opéré sans intervention judiciaire. Le juge n'aurait pas eu son mot à dire sauf à estimer proprio motu que tout cela mettait en danger l'enfant. Il pouvait s'auto-saisir si le Parquet n'en prenait pas l'initiative. A défaut, l'ASE aurait été contrainte de faire les quatre volontés de son président sans possibilité d'en appeler à l'arbitrage de son complice, du moins officiellement car il y aurait bien eu quelqu'un pour mettre le juge dans le bain.
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Il est temps de préciser que le juge des enfants n'est pas tout le tribunal pour enfants. Vous l'avez relevé, il a au moins un frère jumeau qui a le titre de substitut chargé des affaires de mineurs et qui forme avec son collègue, sous l'autorité du procureur de la République ce que nous appelons le Parquet. Il est souvent très jeune, comme le juge. Le procureur affecte généralement à cette fonction les tous nouveaux magistrats frais émoulus de l'Ecole. Justice des mineurs, justice mineure ? Ces jeunes magistrats peruvent demander eux-mêmes à être affectés au parquet des mineurs plutôt que'au règlement des dossiers d'instruction ou aux accidents de la circulation.
Ses responsabilités sont grandes. Tout ou presque passe d'abord par lui. C'est dans son bureau qu'arrivent les signalements établis par les services sociaux, les dénonciations, les procédures de police et de gendarmerie. Il lit, demande éventuellement un complément d'information, trie, enfin distribue en faisant des recommandations en prenant des réquisitions. Ne s'agit-il que d'enfants en danger, d'enfants victimes ? Il saisit le juge des enfants. S'agit-il de délinquance relativement grave, estime-t-il utile de requérir un mandat de dépôt si la loi lui en laisse la faculté ? Il lui restera toujours la possibilité de qualifier de crime ce qui en cours d'instruction redeviendra simple délit. Pourquoi cette propention à saisir le magistrat instructeur plutôt que les juge des enfants. Les juges d'instruction ont par fonction le mandat de dépôt plus facile tandis que le JE se conduit volontiers en petit frangin mère poule qui pense toujours plus à protéger qu'à sanctionner.
Dans l'urgence, ce dernier peut s'autosaisir pour les enfants en danger. Il se doit d'en informer ensuite le Parquet. A l'inverse, le juge des enfants absent, le substitut peut aussi dans l'urgence ordonner des mesures de protection. Un enfant en danger n'attend pas. D'où cette exception notable à la procédure. Pour autant il ne dépossédera pas le juge des enfants du dossier. Dans les dix jours, il l'en aura informé et lui aura confié la gestion de l'affaire. Cependant il abuse parfois de son pouvoir en l'utilisant pour cour-circuiter le juge physiquement présent.
Comme dans cette affaire de Bordeaux où des parents s'interrogeaient sur l'opportunité de l'opération que les médecins voulaient pratiquer sur leur très jeune enfant. Opération délicate : si l'enfant en réchappait, il risquait de rester handicapé. A choisir les parents préféraient donc une fin rapide et naturelle plutôt que les conséquences mortelles ou handicapantes d'une intervention.
Doutant d'eux, ils avaient demandé l'avis du juge des enfants. "Décidez en vous-mêmes" avait répondu le magistrat estimant qu'ils étaient meilleurs juges que lui en la matière." Quoi qu'il en soit sachez que je n'interviendrai pas. J'estime que vous ne négligez pas vos responsabilités". D'autres magistrats -car la situation est est plus fréquente qu'on ne le pense- seraient intervenus dans le cas d'espèce. Pas lui. Connaissant sa position, le Parquet autorisa l'opération, dans son dos, violant l'esprit et le texte de la loi. Epilogue : le bébé mourru après l'opération. Les parents ont porté plainte. L'enfant et la plainte ont été enterrés.
Quelques temps plus tard, toujours à Bordeaux, nouvelle affaire de la même veine : Mme Trieste accouche d'un enfant prématuré et présentant en outre quelques graves malformations. Transféré à l'hôpital, les médecins envisagent, soit d'opérer l'enfant, soit de la placer sous traitement. M. Trieste refuse de donner l'autorisation d'opérer. Pour obtenir l'autorisation d'opérer, le médecin traitant, par l'intermédiaire de l'ASE saisit le parquet qui prend l'ordonnance demandée. Trois jours plus tard, le juge des enfants est saisi. Il apprend aux parents la décision du Parquet suspendant l'exercice de leurs droits d'autorité parentale : ils n'avaient pas été entendus. Bien sûr, ils demandent que la décision soit rapportée. Le juge leur donne satisfaction et rappelle dans sa décision que le Procureur n'avait pas pouvoir de donner une telle autorisation. Il n'y avait ni urgence ni absence du juge des enfants compétent. Il lui appartenait seulement de saisir un magistrat.
La suite de cette affaire, au moins au plan judiciaire ? M. Trieste plaide qu'il a refusé de donner l'autorisation d'opérer en raison des avis très contradictoires qu'il a reçu de la part de plusieurs médecins. Il a en outre le sentiment que son enfant est maintenu artificiellement en vie en raison de l'intérêt scientifique que manifestaient les médecins pour les malformations dont l'origine et le traitement sont encore mal connus.
Le juge s'est renseigné :
"Il résulte de nos investigations auprès du médecin traitant et d'un spécialiste de chirurgie néo-natale d'une part, que les malformations de l'enfant n'ont pas d'origine létales, d'autre part, que les opérations chirurgicales envisagées n'ont pas pour but de maintenir articificiellement l'enfant en vie, mais de réduire ou atténuer ces malformations, enfin que l'état général de l'enfant qui devient inquiétant est la conséquence de la naissance prématurée et non des malformations."
Quoique qu'après discussion avec le juge, les parents manifestent leur intention de se mettre à nouveau en contact avec les médecins de l'hôpital, le juge donne l'autorisation à ces derniers de procéder nonobstant l'opposition des parents, à toute intervention chirurgicale ou tout traitement de nature à réduire ou atténuer les malformations présentées par l'enfant.
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Avançons dans la procédure et le partage des rôles entre les deux faux jumeaux. Le juge des enfant dispose d'une grande autonomie dans l'élaboration de ses décisions. Le Parquet vérifie généralement de très loin que ses décisions sont bien conformes à l'ordre public. Il redevient très présent quand, dans les affaires de délinquance, vient l'heure du procès. Pas besoin de lui en audience de cabinet où ne peuvent être prises que des mesures éducatives. A l'occasion, le juge lui demandera de venir, le temps d'impressionner son monde. En revanche, on l'a vu, dans l'enceinte du tribunal pour enfants il tient pleinement son rôle de représentant du Ministère public qui requiert au nom de la société et campe le père fouettard.
Il tient également une place de premier plan dans les procédures civiles - déchéance, délégation d'autorité parentale, déclaration judiciaire d'abandon- et dans les instances pénales où sont jugés les auteurs d'abandon de famille, de mauvais traitements et de sévices. Permanence et mémoire du Tribunal, le procureur est souvent le mieux à même de faire la synthèse d'une saga familiale, au moins, en théorie, car les substituts "tournent" rapidement et la mémoire n'est plus qu'écrite.
N'allez pas croire que le juge des enfants souffre comme un martyr la tutelle de ce jumeau qui se donne quelques airs de frère aîné donneur de leçons et menaçant
-"Je ferai appel".
-"Vas-y si tu l'oses. Après tout c'est ton droit".
Comme dans le couple qu'il forme avec l'ASE, il a des motifs d'agacements. Mais rien de plus. Parfois il l'aimerait même plus présent dans son cabinet par exemple. Ne serait ce pas au substitut d'exposer aux familles les faits "reprochés" et de permettre ainsi au juge des enfants de rester dans son rôle de décideur sans avoir à tenir d'abord celui d'accusateur ?
Fonctions importantes que celle du Parquet, je l'ai dit. Fonctions frustrantes aussi. A priori aussi bien informés des situations des familles que le juge des enfants, le substitut n'a pas prise sur leur devenir et il en fait un certain complexe.
Fonctions complémentaires. D'une bonne collaboration -faite de fréquents contacts informels sur les affaires les plus délicates, de rencontres plus institutionnelles sur le fonctionnement de la juridiction et de ses rapports avec leurs partenaires extérieurs - entre substituts et juges des enfants dépend en bonne partie la qualité de la production du tribunal. Chacun dans le respect des responsabilités de l'autre.
On trouvera une bonne illustration de cette collaboration dans le chapitre "enfants sans défense". A l'inverse, le Parquet peut mettre les juges des enfants en difficulté, contrarier une politique cohérente en direction des jeunes délinquants, donc des jeunes en difficulté .
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J'en reviens au couple que le JE forme avec l'ASE et à la plus grand sujétion qui est imposée désormais à celle-là par le président du Conseil général trop sensible aux commérages.
Si le gendre peut se permettre un conseil à son beau-père de la main-gauche, c'est , dans ses nouvelles responsabilités, de prendre le temps de bien s'informer avant de céder à une opinion trop passionnelle et versatile pour être toujours fiable. Qu'il permette à l'ASE de corriger les informations trop partielles dont la presse fait parfois ses choux-gras.
On apprend à la télévision qu'une assistante maternelle vient de s'enfuir avec l'enfant qui lui a été confié parce que son mari et elle refusent de le laisser partir vers la famille d'adoption qui lui a été choisie.
A entendre le mari seul à être interrogé, leur propre demande aurait été rejetée sans examen. Si cela est vrai, la loi du 6 juin 1984 n'aurait pas été respectée car elle fait obligation à l'ASE d'entendre d'abord la famille d'accueil sur le projet qu'elle pourrait former pour l'enfant. Ce qui bien entendu ne confère nullement aux nourriciers un droit de préemption. Etre assistante maternelle est un métier rémunéré, pas une promesse d'adoption. Personne n'a un droit à adopter tel enfant
Est-il vrai que leur demande n'a pas été examinée ? Le mari l'affirme, puis, entre ses paroles, on croit comprendre que sa femme et lui y ont été astreints à une enquète. On croit le comprendre en téléspectateur bien au fait du contexte de telle affaire. L'opinion ne voit et n'entend qu'une chose. Cette famille d'accueil élevait l'enfant donc il est inhumain de le donner en adoption à une autre famille. Je zappe d'une chaîne privée à l'autre. Elles invitent, toutes les deux, les minitélistes à prendre parti pour la famille d'accueil et contre l'administration. Je dis "pour et contre" et non "entre" car dès lors que les faits sont unilatéralement présentés le résultat est assuré: à plus de 80 % le minitel a pour l'assistante maternelle les yeux de Rodrigue pour Chimène.
Ordinairement on ne débat pas du sort d'un enfant en place publique. Mais quand une des parties en prend la responsabilité, il n'est pas sain que l'autre se taise. Qu'elle ait tort ou raison. Puisque l'opinion est prise à témoin, il faut l'informer complétement. J'incrimine ici moins la presse que les cachotteries que lui fait notre vieux couple. Car c'est bien une mauvaise habitude qu'ils partagent. Ils croient bien faire en se taisant; ils se trompent. Petit à petit, ils se sapent leur crédit. Maintenant, après quelques affaires retentissantes, il est acquis qu'il suffit de s'opposer à eux pour avoir raison.
Ils ont tort encore parce qu'en n'offrant pas à l'opinion les éléments indispensables à la réflexion, elle ne réfléchit pas, elle réagit.
Ils ont tort enfin car à force ainsi de se faire interpellér leurs troupes ne vont plus prendre de risques. Recourir à une famille d'accueil, c'est avoir entendu qu'on ne peut laisser un enfant en attente dans un établissement même chaleureux; maintenir un enfant dans une famille d'accueil où il y a certes quelques problèmes, mais rien de directement grave pour l'enfant, c'est avoir entendu qu'il ne fallait pas déplacer en permanence un enfant d'une famille à une autre. Qui ne peut se féliciter de telles options ? A l'inverse tout un chacun peut entendre qu'une famille d'accueil choisie pour un placement de quelques mois qui peuvent se prolonger compte tenu de l'incertitude qui règne autour du statut d'un enfant, cela ne fait pas obligatoirement un bon père et une bonne mère ad vitam eternam pour cet enfant ? A condition d'expliquer pourquoi, à l'époque, on n'a pas tiré les conséquences que l'on invoque maintenant pour refuser l'adoption. l'opinion peut entendre les difficultés qu'il y a, en particulier, à trouver immédiatement une famille d'accueil, et en général à trouver des familles d'accueil alors que l'immense majorité des nourrices préfére de contrats de gré à gré plus rémunérateurs. L'opinion est adulte pour entendfe le contrôle des placements en famille, la rémunération des familles d'accueil, l'incertitude qui pèse a priori sur le sort qui sera celui d'un enfant, sinon, pour l'admettre. A ne rien lui expliquer, on prend le risque qu'elle prenne le parti de celui qui paraît le plus faible contre la méchante administration et surtout le risque d'amener les travailleurs sociaux à se méfier des familles d'accueil pourtant nécessaires
Voudrait-on condamner les placements familiaux qu'on n'agirait pas autrement. Or faire de la politique, c'est assumer ses lacunes et afficher ses objectifs. C'est également expliquer sinon pour convaincre, du moins éviter les erreurs.d'appréciation et d'analyse les plus grossières.
On a vérifié, je l'ai rappelé que le chef du département est plus près de ses sous maintenant qu'il sait qu'ils sortent de sa poche alors qu'auparavant il ne supportait qu'une part infime des budgets qu'il votait. N'oublions pas cependant qu'il s'agit d'une impression moyenne. Cet homme a autant de visages qu'il y a de départements. C'est normal. C'est l'esprit de la décentralisation. Chacun adapte sa politique aux besoins de son lieu. Icil en est de pingres qui refusent de créer les postes d'éducateurs pourtant nécessaires aux magistrats pour que leurs mesures soient exécutées, qui rechignent à financer des placements utiles, mais coûteux, qui conseillent à leurs services sociaux de renvoyer vers le juge -donc vers l'Etat- toutes les situations difficiles. Dans ce dernier cas, c'est aussi pour préserver son image que par économie.
Déjà regardante, en bonne ménagère qu'elle a toujours été, l'ASE pourrait donc être portée à discuter plus âprement que par le passé le prix des mesures ordonnées par le JE. S'il lui confie des enfants, elle sera forcée de payer. Itou s'il confie l'enfant directement à établissement habilités par elle.
Là encore une bonne information éviterait au président du Conseil général d'être coincé entre sa fille et son gendre d'une part, et l'opinion d'autre part. Il ne faut pas laisser dire que la protection de l'enfance est coûteuse, démesurément coûteuse. Bien sûr, elle mobilise des moyens. Mais les chiffres ne sont impressionnants que lorsque l'on ne voit qu'eux et pas les enjeux. Derrière, il y a toutes ces misères, toutes ces détresses dont, à l'occasion, l'opinion s'émeut soudain plus que des chiffres. Il y a les résultats obtenus - accessoirement gages pour l'avenir de moindres dépenses dans un autre budget social. Si l'efficacité de l'école est parfois discutée personne ne se plaint du prix qu'elle coûte. Celui de la protection judiciaire et sociale de l'enfance ne le serait pas non plus si chacun savait mieux ce qu'elle fait, pourquoi et comment elle le fait. Mais on ne le sait pas, on ne l'apprend pas spontanément. Nous sommes, devenons ou avons presque tous été élèves, puis parents d'élèves, mais pas enfants ou parents d'enfants placés. Il importe donc qu'on nous explique, exemples à l'appui, ce que sont les besoins d ces enfants et de leurs familles si l'on veut que la protection de l'enfance apparaisse pour ce ce qu'on voulait déjà qu'elle fût il y a deux cent ans: "u n devoir des gouvernements, un devoir de la société"
Ne nous méprenons pas. Toutes dépenses comparées, la protection de ces enfants qui feront ensuite leur chemin dans la vie coûte souvent moins cher à la collectivité que la longue scolarisation des enfants de riches. Et ce ne serait pas un droit ! Et notre couple protecteur devrait faire des complexes parce que ses propres enfants ne sont pas naturellement voués à Polytechnique ou à l'E.N.A., et pas plus à l'Ecole de la Magistrature.
En 1984, le législateur a affirmé que l'accès à l'Aide sociale à l'enfance était un droit. On ne l'a pas encore toujours compris.
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En permanence, ces problèmes d'argent et ces questions de pouvoir reviennent dans le couple. Au point de miner insidieusement leurs relations. On a parlé de divorce ou du moins de séparation de biens entre eux.
Un temps le JE a rêvé d'avoir sa cagnotte. Il se ferait construire ses établissements. Il a reçu en héritage avec la PPJ, elle-même héritière de la pénitentiaire pour enfants, un très pétit héritage. Il avait besoin de plus et de mieux pour être chez lui. Il aurait ses enfants dont il suivrait l'itinéraire et qui ne se mélangeraient pas avec les handicapés et les cas sociaux.
En 1982, le Ministère de la Justice, à l'écoute de ses juges, revendiquait son autonomie financière au nom des moyens qui lui étaient nécessaires pour la protection de l'enfance. Le Ministère de la Santé renaclait. Il s'apprêtait à tout transférer aux collectivités locales. Surtout, au nom des libertés des familles, il prétendait qu'il serait dangereux de mettre en place des filières: la Sécurité Sociale pour les handicapés, l'Aide sociale pour les pauvres et la Justice pour les enfants en danger et les délinquants. Ce sont les mêmes enfants, ce sont les mêmes familles affirmait-il..
En un repas partagé Place Vendôme, avec Nicole Questiaux et ses collaborateurs et après que l'huissier en tenue eut aboyé "Monsieur le Garde est servi", Robert Badinter entendit ce discours et renonça à la prétention de ses services.
Aujourd'hui, les Conseils généraux, successeurs de l'Etat-Ministère de la Santé, verraient bien l'Etat-Ministère de la Justice prendre en charge ses jeunes. Pas question de transférer ce qui a été reçu lors de la décentralisation, mais on arrêterait les frais pour demain. "Nous, on paie pour les familles afin d'éviter qu'elles n'aient des problèmes . Vous, vous vous préoccuperez des marginaux et des délinquants."
Le débat est en train de mûrir. Il viendra bientôt à échéance. En attendant les travaux préparatoires ont commencé. Regardons les chiffres.Ils sont instructifs sur l'art qu'ont l'Aide sociale à l'enfance et le juge de se passer le bébé !
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Les chiffres parlent d'eux-mêmes dit-on couramment. Cette formule doit être utilisée avec beaucoup de prudence dans le social.
D'abord parce que la matière à saisir est d'une grande complexité.
Ensuite parce que notre instrument statistique est infiniment plus faible que fiable. En vérité, jamais on n'a consacré les efforts nécessaires. Juge des enfants j'avoue avoir eu des conversations épiques avec le Centre de recherche de Vaucresson qui voulaient absolument que je remplisse les documents statistiques dans les moments où je m'évertuais à tenir seul, deux, voir trois postes de juges pour enfants du fait de vacances provisoires des postes. Etait-ce bien à un juge et à sa greffière de faire ce travail.? Du bricolage. Il ne faut pas s'étonner après des difficultés d'interprétation.
C'est dommage. D'une part parce qu'il est alors difficile de fonder véritablement une politique autrement que sur les sentiments des uns et des autres ; d'autre part parce qu'il est également très difficile de mesurer l'impact de cette politique, ce qui là est franchement regrettable.
Retenons tout de même les approximations.: généralement les données que nous possédons sur la justice des mineurs semblent les moins contestables.
A y regarder de loin, ells sont inquiétantes pour notre jeunesse, et pour notre société, s'entend.
1977: environ 120.000 enfants suivis
1987: 180.000 si on exclut les enfants dont les parents sont en tutelle
La situation sociale se serait-elle dégradée à ce point qu'il faille surtout mobiliser la protection judiciaire de la jeunesse nouvelle appellation de la PPJ?
Je ne le crois pas.
Cette augmentation serait d'autant plus "interpellante au niveau du vécu" comme on dit parfois que dans la même période le nombre de jeunes dans le pays est resté étonnament stable. Certes, nous sommes plus nombreux -56 millions le 6 janvier 1989. mais la France vieillit. Nous conservons nos anciens plus longtemps et si elle a légèrement repris, la natalité s'est stabilisée légèrement sous les 780.000 naissances chaque année.
Regardons par tranche d'âge
1977 : 4.771.000 enfants de moins de 6 ans
1987: 4.551.000
Les 6-13 ans : 1977 : 5.885.000; 1987 : 5.273 .000
Les 13-16 ans
1977: 2.597.000; 1987 :2.608.000
Enfin les 13-18 ans : 1977: 1.696.000; 1987 :1.720.000
Maintenant intéressons nous aux jeunes qualifiés de délinquants par le Ministère de la Justice :
1975 : 45.000; 1987 : 22. 865
La délinquance juvénile baisse. En voilà une nouvelle bonne nouvelle ! Et on nous la cachait!
Pourquoi? Peut-être parce que les spécialistes savent que la réalité doit être plus complexe.
En fait, il y a délinquant et délinquant. Nul ne peut savoir, ici comme ailleurs, combien de mineurs ont pu commettre de délits sur une période de référence. Le nombre des délits commis est lui-même est inconnu. La zone d'ombre -on parle de chiffre noir- est sûrement très importante. Quant au nombre de ceux commis par des mineurs, seul Dieu le connait, s'il en tient la comptabilité.
La vérité vraie est donc un beau mystère.
Parle-t-on de délinquants au lieu de délits ?. Il faut s'entendre sur les mots. Chacun met ce qu'il entend derrière l'expression. Un temps (1975) le Ministre de l'Intérieur suggéra de confier à des policiers-éducateurs de s'occuper des "pré-délinquants".
Entre le moment où quelqu'un est arrêté pour un délit et sa condamnation, il peut y avoir beaucoup de choses. Notamment la reconnaissance de l'innocence. Oui, ça arrive ! Plus souvent -dans 40 à 60 % des cas-, le parquet ne juge pas opportun de poursuivre, ou encore, en amont, la police ne verra pas l'utilité de dresser une procédure contre le jeune qu'elle arrête. Elle se contentera de mentionner les faits sur la "main-courante", c'est-à-dire sur le livre de bord du commissariat.
Dans ces conditions qui peut-on appeler délinquant.? A chacun sa définition. Pour moi, est un jeune délinquant le mineur qui
1° commet un fait interdit par la loi sous couvert de peine
2° se fait arrêter
3° fait l'objet d'une procédure pénale devant le tribunal
4° est condamné pour ces faits.
J'ai volé ! 80 % d'entre vous, selon les enquêtes d'auto-confession menées à la demande du Ministère de la Justice, ont volé. Nous n'étions pas pour autant des délinquants. Ces chiffres montrent que la norme c'est d'avoir été un voleur, et l'anormalité de ne jamais avoir pris le bien d'autrui sans son autorisation! Je suis juge, vous me lisez. Nous avons vous et moi réussi notre inscription dans la vie. Peut être un avertissement parental, un réaction de l'environnement nous ont-ils préservés de plus grands faux pas. C'est mon cas. Etre délinquant, c'est autre chose. C'est s'installer sur une période plus ou moins longue dans une attitude de violation de la loi. Certains en font même leur métier On parle de professionnels. Eux aussi sont très inscrits dans la société.
Les jeunes délinquants dont nous parlons ne s'arrêteront pas au premier ou au deuxième faux pas. Pour eux, il ne s'agit même pas de faux-pas. Ils restent dans cette attitude un temps plus ou:moins long, ils ne font pas une bêtise, mais ilos les enchainent. La délinquance juvénile, c'est une tranche de vie, une série d'actes délictueux..Pour autant ce ne sont que rarement des pros. On sait que la délinquance culmine autour des 25 ans. Après elle décroit.
Les statistiques de la Justice ont des difficultés à saisir cette réalité
Plusieurs séries de données sont répertoriées, parfois confondues ce qui rend difficile le décryptage. Le même jeune fera souvent l'objet de plusieurs dossiers pénaux et par ailleurs d'un dossier de protection de l'enfance en danger. Dans les statistiques il comptera alors pour cinq ou pour dix.
Même effet trompeur de mesures qui dans la même année sont prises pour des mineurs dans le cadre des dossiers de délinquance. Par exemple: il est placé sous le régime de la liberté surveillée, puis quelques mois plus tard il sera l'objet d'un placement qui peut échouer, donc main-levée et éventuellement nouveau placementqui se jouent en quelques semaines.
Enfin dans ces dossiers, on trouve les condamnations pénales. Les juges, certains du moins en ont l'habitude, font un lot de plusieurs petites affaires dans un même et seul dossier de façon à n'avoir à rendre qu'une décision. Chacun y trouve son compte. Le greffier n'aura à taper qu'un jugement. Le jeune n'aura qu'une inscription au casier judiciaire. Pour quatre vols, vous lui faites un prix de gros. Derrière la boutade quel intérêt y aurait-il à porter 20 mentions d'admonestation avec la même date sur le même casier judiciaire? Je passais mon temps à faire des jonctions, justifié en cela par l'ordonnance du 2 février 1945 qui me demandais de me préoccuper d'abord de la personne, secondairement des faits.
Ce n'est que justice. Ceux qui voleraient dix vélos d'un coup n'auraient qu'une procédure, tandis que ceux qui commettraient le même nombre au détail, à dates espacées subiraient autant de procédures que de vélos. La démonstration vaudrait pour n'importe quel autre délit.
Que déduire des chiffres que nous possédons. ?
Première hypothèse : la délinquance juvénile diminue. C'est la plus favorable. Il y a sûrement un peu de cela. Et cette baisse seait explicable.
Depuis 1982 une véritable stratégie de prévention se met en place. Elle est certes largement perfectible, mais on en parlait tant jusqu'à présent sans rien faire que l'on doit se féliciter de l'effort qui a été engagé. Il y eut d'abord les opérations "anti-été chaud" ainsi qualifiées par les journalistes, que nous avons impulsées sous l'autorité de Georgina Dufoix avec la Justice, l'Intérieur et de nombreux partenaires publics et privés dont le plus célèbre fut Gilbert Trigano. On a constaté, à période équivalente, une diminution allant jusqu'à 45 % de la délinquance et du vandalisme dans certains milieux. Le tout pour un coût financier des plus modestes. Est ensuite venue la généralisation à travers les actions développées par le Conseil National de Prévention de la Délinquance présidé par Gilbert Bonnemaison. Ce Conseil a éré prématurément fondu en 1988 dans dans la Délégation interministérielle des Villes. L'intégration de la politique de prévention de la délinquance dans une politique du cadre de vie est une excellente chose , mais pour essentielle qu'elle soit, d'autres dimensions ne doivent pas être négligées et on est pezutr être allé trop vite sans tirer toutes les conséquences.
Si l'effort est réel tout effort, tout reste véritablement à inventer pour concevoir une vraie prévention de la délinquance et de l'inadaptation. Les causes de la délinquance n'ont pas été éradiquées, si tant est qu'elles puissent l'être, ni même sérieusement atteintes. On expérimente encore.
Deuxième hypothèse qui compléterait la première : une plus grande efficacité policière et gendarmesque. Là encore l'explication pour plausible qu'elle soit n'est ni totalement démontrée, ni suffisante pour expliquer nos chiffres en baisse.
Troisième hypothèse: les parquets ont encore plus classé qu'ils ne le faisaient auparavant les procédures policières realtives aux mineurs . Soit un pur et simple classement sans suite. Soit l'ouverture sur la base de l'enquête de police d'un dossier de protection de l'enfance en danger. L'augmentation des cas d'assistance éducative dans un contexte d'augmentation du nombre de juges des enfants (234 à 271 en 1987) va dans le sens de cette explication.
Si tel était le cas, on pourrait, premièrement, en déduire que les vélléités répressives ont régressé au bénéfice de l'idée qu'effectivement les jeunes délinquants sont d'abord victimes des circonstances de leur vie. Ce serait positif. Peut être peut-on penser aussi que la délinquance juvénile s'est "affadie" au point de ne plus justifier des sanctions pénales. Troisièmement, la perspective de la disparition de l'incarcération des mineurs et l'anticipation traditionnelle de la Justice sur toute loi à intervenir, peut avoir dissuadé le Parquet d'ouvrir au pénal, puisqu'il ne peut plus obtenir une mise en détention provisoire. L'avenir répondra à ces différentes interrogations qui se complètent plus qu'elles ne s'opposent.
La deuxième grande caractéristique de ces évolutions chiffrées mérite qu'on s'y attarde encore plus sérieusement. N'oublions pas que dans le même temps, on est passé de 65.000 enfants en danger à 173.000 et des poussières. Excusez du peu. La question mérite examen. Le temps se serait-il gâté pour les mineurs de 18 ans?
Le cinquième de l'équivalent d'une classe d'âge suivi par les juridictions pour mineurs- alors que dans le même temps 450.000 sont pris en charge par l'Aide sociale à l'enfance- cela commence à faire beaucoup, eu égard à notre niveau de développement.
Rassurons-nous : en fait, ces chiffres traduisent le transfert accelléré de la protection sociale vers la protection judiciaire. Ce que les chiffres disent, l'observation sur le terrain le démontre. L'Aide sociale se défausse de plus en plus sur son partenaire. Les juges des enfants ont vraiment le sentiment désormais d'être saisis de situations dont il n'avaient pas à connaître par le passé. Est-ce une bonne chose? C'est un autre débat. Cette tendance ne pourra qu'être renforcée avec la loi de 1989 qui fait obligation au président du Conseil général d'informer la Justice plus sytématiquement ert dans les meilleurs délais sur les situations de mauvais traitements avérés ou supposés dont il aurait à connaître.
Il y a bien un désengagement des collectivités locales au profit des juges pour qu'il assume les cas sociaux au nom de la solidarité nationale.
C'est donc paradoxalement un renversement notable qui s'opère quand on se souvient de la guerre larvée entre DDASS et Tribunaux pour enfants durant les années 60-70. La justice s'inquiétait de ce que l'Aide sociale à l'enfance renaclait à lui signaler les situations difficiles et en tout état de cause le faisait trop tard. Maintenant il y aurait plutôt surcroît.
Comme la définition de la maltraitance se noie dans la notion plus générale d'enfant en danger, c'est potentiellement 450.000 enfants qui peuvent demain basculer vers la Justice. Etait-ce bien ce qui était recherché ? Je ne le crois pas. On visait initialement à garantir plus de certitude et de rapidité dans la mobilisation de la,justice en faveur des seuls enfants victimes de sévices physiques et pas pour n'importe quel danger.
On peut se demander ce qui résultera du renvoi de toutes ces familles devant des tribunaux. Est-ce bien à eux d'intervenir ?. Qu'attendre d'elle que d'autres ne feraient pas.?
Une autre étape s'annonce. Celle où les collectivités locales voudront établir comme frontière entre leur zone d'intervention et celle de la Justice, chacun ayant son dispositif autonome, ses structures et bien sûr ses modes d'intervention.
Il est important de dire ici que le coût de la plupart des mesures judiciaires est supporté par l'action sociale. Il en est ainsi depuis que le couple existe. L'Etat-Ministère de la Santé finançait les mesures de l'Etat-Ministère de la Justice. Ce système avait un double avantage Celui d'éviter les filières par symptômes: le médical pour les enfants handicapés, le social pour les familles et les enfants en difficulté, le judiciaire pour les enfants en danger, les jeunes délinquants et les marginaux. Deuxième avantage: celui de permettre à l'Aide sociale à l'enfance d'avoir une politique cohérente d'équipement pour toutes les populations en difficultés.
Avec la décentralisation, on comprend que les collectivités locales souhaitent une clarification. Cela étant, elles ont reçu à travers la dotation générale d'équipement de quoi financer les moyens dont doivent disposer les tribunaux pour enfants. Mais à mesure que le temps passe, l'origine de l'argent disparait. les départements finissent par oublier qu'il y a eu également transfert financier. De là à détourner une partie de ces nouveaux revenus vers d'autres objectifs..
Déjà, beaucoup de juges des enfants le signalent, certains départements rechignent à mettre à leur disposition les moyens nécessaires à leur fonctionnement: équipes d'action éducative à domicile, moyens d'hébergement.
Alors après avoir transféré les situations, les collectivités vont-elles demander la rupture des ponts financiers, demander le divorce du vieux couple? Faudra-t-il l'accepter ?. Le débat est ancien, mais il se pose en des termes nouveaux.
Hier la Justice voulait être une grande fille et ne supportait pas d'être sous la coupe de la Santé. Aujourd'hui, le social veut se libérer d'un boulet. Les mêmes raisons doivent conduire à s'y opposer et créer au contraire les conditions d'une concertation locale entre les différents partenaires publics (Etat et local) et privés (professionnels ou non) pour dégager les moyens nécessaires dans une cohérence globale pour les familles.
Si les cas transmis à la Justice augmentent dans les proportions relevées, si les Conseils généraux refusent de faire suivre les moyens que la Justice n'a toujours pas , cela signifie que le service judiciaire de la protection judiciaire de la jeunesse se dégrade.Aussi, l'heure d'une réforme fondamentale a-t-elle peut être sonnée. Celle qui consisterait à cantonner la Justice, dans le choix des mesures à prendre et dans le contrôle de leur exécution, sans avoir à gérer des équipements et des services.
Dans cette perspective, il serait indispensable de la doter de solides instruments d'évaluation et d'exécution de ses mesures Moins de personnels, mais hautement qualifiés. Non pas pour "garder" des jeunes; mais pour décrypter des situations et être garants des mesures judiciaires. Des travailleurs sociaux et autres professionnels très expérimentés seraient les collaborateurs privilégiés du juge. L'autorité administrative et le secteur associatif seraient eux chargés d'exécuter les prises en charge sous le contrôle du juge qui a tout moment pourrait réviser ses situations.
Il ne s'agit pas de revenir au XIX° siècle, mais de sortir d'un système bâtard où la Justice intervient en s'appuyant sur les sciences humaines sans avoir réellement les moyens d'en faire elle-même un bon usage. L'avantage de cette solution: elle serait dans son rôle de contrôle de l'exercice de droits et des libertés et en situation de promouvoir de nouveaux droits.
Derrière la réforme des sigles, derrière ces statistiques qui trahissent des mouvement de fond, l'heure de la grande réforme approche. Pour l'instant les adversaires-partenaires s'observent. Les collectivités locales ont tout juste pris leur fonction, l'ex-Education Surveillée s'éveille à peine d'une période coma dépassé.
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Alors, Juges des enfants et Aide sociale à l'enfance, ces deux tuteurs infernaux,vieilliront-ils ou rajeuniront-ils ensemble? Pour ce qui est de vieillir sûrement,.même s'ils se séparent sur le papier. Leurs enfants les relieront toujours. Mais comment chacun vieillira-t-il.?
Le juge, est arrivé à un âge charnière. Il croule sous le travail et n'a pas toujours les moyens de faire face. On attend beaucoup de lui. Plus que jamais il doit s'affirmer dans sa spécificité. En fera-t-on une "Dass-bis" à un autre niveau de gravité des situations. Lui permettra-t-on au contraire d'exploiter son champ propre, l'arbitrage entre des droits contradictoires: droits des parents et des enfants, droits de la société et les droits de la famille. reconnaissance de nouveaux droits aux adultes et aux mineurs ? Doit-il d'ailleurs resté gestionnaire de services ? Ne devrait-il pas se contenter d'apprécier les réponses qu'exigent les situations, d'ordonner des mesures et d'en suivre l'application pour en être garant vis-à-vis des famillles avec l'aide de travailleurs sociaux expérimentés ?
Il est mal en point -certains n'hésitent pas à affirmer que l'Education surveillée est en coma dépassé depuis quelques années- et va devoir faire sa nouvelle révolution. Il l'a engagé depuis peu en se transformant en Protection Judiciaire de l'enfance.
L'Aide sociale à l'enfance, elle, commence à s'ébrouer sous l'impulsion des Présidents des Conseils généraux qui vont vouloir faire leur politique sociale.
Le divorce n'est jamais que la sanction d'un échec. Dans le cas du couple qu'ils forment, il ne produirait que deux familles monoparentales. Chacun sait que ce n'est pas l'idéal. Le mieux est donc qu'ils restent condamnés à s'entendre et s'il y a mésentente, malgré tout, que leur tuteurs les aident à la surmonter. C'est d'ailleurs ce qu'ils attendent de leur père et beau-père, le président du Conseil général, mais aussi de l'Etat..
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