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Affaire Fiona: le périlleux exercice de l’«autopsie virtuelle»

Affaire Fiona: le périlleux exercice de l’«autopsie virtuelle»

Accusés d’avoir tué sa fille de 5 ans en 2013, Cécile Bourgeon et son compagnon, Berkane Makhlouf, comparaissent devant la cour d’assises du Puy-de-Dôme. Ce mercredi, le médecin-légiste a tenté d’éclairer les jurés sur les causes de la mort de la fillette, dont le corps n’a jamais été retrouvé.

figarofr: L'avocat général Raphael Sanesi de Gentile et Me Gilles-Jean Portejoie, avocat de Cécile Bourgeon à Riom, le 14 novembre 2016.© PHILIPPE DESMAZES/AFP L’avocat général Raphael Sanesi de Gentile et Me Gilles-Jean Portejoie, avocat de Cécile Bourgeon à Riom, le 14 novembre 2016.

Le corps de Fiona n’a jamais été retrouvé, mais le juge d’instruction a tout de même confié à un médecin légiste le soin de pratiquer une autopsie virtuelle. Le Dr Caroline Rey-Salmon est venue, ce mercredi, livrer le fruit de ses réflexions aux assises du Puy-de-Dôme, qui jugent Cécile Bourgeon et Berkane Makhlouf, la mère et le beau-père de la victime, pour «violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner».

L’exercice est périlleux, et il faut l’autorité, l’allure et l’esprit du Dr Rey-Salmon, pédiatre de formation, pour ne pas s’y ridiculiser. Comme elle est intervenue en toute fin d’instruction, elle a pu utiliser l’intégralité des déclarations des accusés et les pièces relatives à la santé de Fiona pour travailler. Elle formule ses conclusions en les assortissant de «tous les bémols» qui s’imposent en pareille circonstance.

En premier lieu, l’expert relève que Fiona a eu une croissance normale, qu’elle a marché tôt (à 13 mois), que ses vaccinations étaient à jour, et que ses crises d’asthme avaient été correctement prises en charge. Elle en vient à présent aux causes possibles de sa mort, que les accusés font remonter à la nuit du samedi 11 au dimanche 12 mai 2013. Le mardi précédent, la petite fille avait été vue affublée d’un bandeau jaune destiné à cacher un hématome à la tempe gauche. «Chute de vélo ou de trottinette», ou choc accidentel contre le chambranle d’une porte, selon Berkane Makhlouf. Coups portés par son compagnon sur Fiona parce qu’elle se faisait vomir pour imiter sa mère (enceinte à l’époque) selon Cécile Bourgeon.

Le Dr Rey-Salmon a collecté tous les symptômes décrits par les accusés: vomissements, maux de ventre. Elle a aussi remarqué ceux dont ils n’ont pas fait état: céphalées, photophobie (réaction douloureuse à la lumière). Par conséquent, elle émet trois hypothèses médicalement crédibles quant aux causes supposées du décès.

1. «Celle que j’envisage en priorité», expose l’expert: un traumatisme abdominal fatal. La pédiatre note qu’il s’agit de la «deuxième cause de décès chez les enfants maltraités». Des «chocs directs» au niveau du ventre et du thorax, ou des «compressions appuyées» provoquent des lésions telles qu’une rupture de la rate ou du foie, ou une péritonite. «Lors de la phase agonique», une régurgitation envahissant les bronches est possible, qui provoque l’asphyxie. Le médecin a bien précisé que pour que des vomissements entrainent cette ultime complication, il fallait une atteinte préalable des fonctions cérébrales, comme un coma.

2. Une lésion intracrânienne «ne peut pas être écartée», bien que la praticienne n’ait pas retrouvé trace des symptômes habituels dans la procédure.

3. L’absorption de médicaments ou de stupéfiants qui traînaient dans l’appartement familial. On sent que cette explication n’a pas la préférence de la pédiatre.

La défense avance sans masque

Les parties essayent alors de tirer avantage de cet expert, qui reste d’une grande prudence. Quand vient le tour de la défense, Me Gilles-Jean Portejoie tente: «Confirmez-vous qu’il ne vous a pas été possible de déduire les causes précises de la mort de Fiona? C’est ce que vous écrivez dans votre rapport.»

Le Dr Rey-Salmon, fine mouche: «Je ne pense pas avoir écrit “déduire”. Mais, en effet, en l’absence de corps, on ne peut pas conclure formellement. J’ai émis des hypothèses en fonction des déclarations des accusés.»

Me Renaud Portejoie s’engouffre dans la brèche: «En 2014, pas moins de 247 enfants âgés de 0 à 5 ans ont été hospitalisés après avoir absorbé de la résine de cannabis. Ce chiffre vous paraît-il cohérent?»

L’expert: «Oui. Selon mon expérience, ils ont généralement avalé des petits résidus qui traînaient sur une table.»

Me Portejoie fils: «Il y a quelques jours, un enfant de 5 ans a été admis dans un hôpital parisien. Il était dans le coma après avoir ingéré de la résine de cannabis.»

La défense avance désormais sans masque. Elle s’emploie à créer le plus de doute possible sur les conditions de la mort de Fiona, sachant que nul ne peut prouver qu’elle dit faux. Ce faisant, elle accentue la pression sur l’avocat général Sanesi de Gentile, qui devra, vendredi matin, démontrer aux jurés que des coups portés par les accusés ont tué la petite fille.

Mercredi soir, au terme d’une journée d’audience interminable et improductive – pourquoi diable avoir décidé de faire venir les enquêteurs au dernier jour des débats, dans une chronologie absurde? -, les jurés semblaient épuisés. Le Dr Rey-Salmon n’a pas pu les éclairer autant qu’ils l’auraient souhaité, mais le légiste n’est pas médium. Cela dit, l’eût-elle été, le président l’aurait peut-être fait citer plus tôt



24/11/2016
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