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Aide sociale à l’enfance : revers pour le gouvernement

Aide sociale à l’enfance : revers pour le gouvernement

Mercredi 27 mars, les sénateurs, droite et gauche confondues, ont massivement voté un texte de loi présenté par l’UMP contre l’avis de la ministre déléguée à la Famille Dominique Bertinotti, farouchement opposée à ce texte. Un camouflet justifié...

Le 6 juillet 2012, une proposition de loi visant à supprimer l'allocation de rentrée scolaire et à suspendre la majeure partie des allocations familiales versées aux familles était déposée par les sénateurs UMP du Maine-et-Loire Christophe Béchu et Catherine Deroche. Sur son site, le Sénat précisait : « Elle a pour objet de permettre aux Conseils généraux de percevoir le montant des allocations familiales et de l'allocation de rentrée scolaire dès lors qu'ils assurent l'entretien effectif d'un enfant confié au service d'Aide sociale à l'enfance. Les auteurs de la proposition de loi estiment, en effet, que ces allocations doivent bénéficier à la collectivité en contrepartie de la charge qu'elle supporte. »

Le 31 octobre 2012, une proposition de loi de même nature était déposée par le sénateur PS de l’Aisne Yves Daudigny. Sur son site, le Sénat précisait : « Elle a pour objet de préserver l'objectif de versement des allocations familiales à la personne (physique ou morale) qui assume la charge effective de l'enfant - en l'occurrence le service d'Aide sociale à l'enfance - lorsque celui-ci est placé, tout en permettant au juge de continuer d'en attribuer une partie à la famille. Elle pose également le principe du versement de l'allocation de rentrée scolaire au service d'Aide sociale à l'enfance, lorsque l'enfant est confié à ce service. »

« Entretien effectif de l’enfant » d’un côté, « charge effective de l'enfant » de l’autre, manifestement le sujet transcendait les clivages politiques et rejoignait une demande pressante maintes fois réitérée auprès des pouvoirs publics et des élus par les professionnels de l’aide à l’enfance, qu’ils appartiennent aux services de l’Aide sociale à l’enfance (éducateurs spécialisés, assistantes sociales, psychologues), ou agissent comme assistants familiaux, terme officiel désignant les parents d’accueil.

Une demande justifiée : environ 150 000 enfants, retirés à leurs parents par décision de justice, sont pris en charge par les services départementaux de l’ASE. La majorité de ces enfants est placée en famille d’accueil ; une minorité est placée dans des centres éducatifs directement gérés par l’ASE. Quelle que soit la solution adoptée, ces enfants sont, dès lors, élevés hors de leur famille biologique pour laquelle ils ne constituent plus une charge financière. Pourtant, l’ASE ne perçoit qu’une part dérisoire des allocations familiales : celles-ci continuent, dans 90 % des cas, d’être versées aux parents biologiques, quelles que soient les raisons qui ont conduit la Justice à leur retirer leurs enfants. Même chose pour l’allocation de rentrée scolaire : bien qu’ils n’éduquent plus leurs enfants, les parents biologiques continuent, année après année, de percevoir la totalité de ces sommes.

Il y avait là manifestement une aberration, et cela d’autant plus que l’entretien des enfants par les ASE départementales coûte très cher aux collectivités locales, l’aide sociale à l’enfance représentant le 3e poste budgétaire de l’action menée par les Conseils généraux dans le domaine social. D’où les propositions de loi déposées par les sénateurs UMP et PS et visant à transférer aux ASE lesdites allocations afin qu’elles servent directement et utilement à l’éducation des enfants, les juges aux affaires familiales ne pouvant maintenir au maximum que le tiers des allocations aux parents biologiques.

Comment être hostile à un tel texte, frappé au coin du plus élémentaire bon sens ? C’est pourtant l’attitude qu’a eue Dominique Bertinotti, très remontée contre cette proposition de loi. La ministre se serait appuyée sur des rapports d’associations pointant un risque d’aggravation de la situation de précarité des familles privées de ces ressources. Un argument qui peut être entendu ici et là, mais qui est irrecevable dans la grande majorité des cas comme le soulignent les professionnels. Et de fait, lorsqu’on écoute les professionnels de l’aide à l’enfance, on ne peut qu’’être atterré par les informations qu’ils livrent sur les familles biologiques et les motifs qui ont justifié qu’un juge décide un jour de retirer leurs enfants du milieu familial.

La plupart des enfants placés par l’ASE chez des assistants familiaux ou accueillis dans des centres éducatifs sont le plus souvent meurtris par un climat familial violent ou alcoolique, par le délaissement et la privation de soins, par les coups répétés, et trop souvent par les agressions sexuelles incestueuses, jusque sur des garçons et des filles en bas-âge. Des enfants parfois mutiques, stressés ou apeurés. Des enfants quelquefois caractériels, voire confrontés à des pulsions suicidaires. Or, c’est aux parents indignes, dépassés ou irresponsables de ces enfants victimes que l’on continue de verser des allocations qui font tant défaut aux Conseils généraux pour améliorer la prise en charge par les ASE de ces enfants en souffrance.

Dans de telles conditions, on comprend mieux le résultat du vote intervenu au Sénat. 346 membres de cette assemblée se sont exprimés sur le texte de M. Béchu et Mme Deroche : ignorant l’habituel clivage droite-gauche, 330 sénateurs – une écrasante majorité ! – ont voté pour, et seulement 16 sénateurs se sont prononcés contre (le groupe écologiste et 4 socialistes). « Il y a des jours où l’on peut être fier du Sénat » a dit Jean-Pierre Raffarin à l’issue de ce vote. L’ex-Premier ministre a eu raison : on aimerait que l’intérêt de la collectivité l’emporte plus souvent sur les considérations partisanes. Il reste toutefois un obstacle à franchir pour ce texte : l’Assemblée Nationale dont le vote sera décisif. Sauf grave manifestation de schizophrénie dans les rangs socialistes, les députés devraient emboîter le pas à leurs collègues du Luxembourg.

* ex-DDASS



06/06/2013
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