II. UNE VOLONTÉ D'AMÉLIORER LES GARANTIES OFFERTES AUX JUSTICIABLES FACE AUX CLASSEMENTS SANS SUITE
II. UNE VOLONTÉ D'AMÉLIORER LES GARANTIES OFFERTES AUX JUSTICIABLES FACE AUX CLASSEMENTS SANS SUITE
Le chapitre II du projet de loi est consacré aux classements sans suite et tend, d'une part à imposer la notification écrite et la motivation des décisions de classement, d'autre part à instaurer un recours contre ces décisions.
De fait, le nombre très élevé des classements sans suite est incontestablement un aveu d'impuissance très préoccupant face à la délinquance et il paraît indispensable que les décisions de classement soient à tout le moins convenablement expliquées aux justiciables.
A. LES CLASSEMENTS SANS SUITE : MYTHES ET RÉALITÉS
En 1998, comme les années précédentes, 80 % des procès-verbaux reçus ont été classés sans suite. Ce chiffre, connu de tous aujourd'hui, donne la mesure de l'impuissance de la justice pénale face à une délinquance proliférante. Il faut toutefois reconnaître qu'il sert parfois également à formuler des critiques injustifiées sur le fonctionnement de notre système judiciaire.
1. Classements sans suite et opportunité des poursuites
Souvent, le nombre de classements sans suite est attribué au principe de l'opportunité des poursuites, qui permet au procureur d'apprécier la suite à donner à une plainte ou à une dénonciation.
Or, les classements sans suite recouvrent des réalités extrêmement variées et le nombre de classements n'apporte à lui seul aucune information pertinente sur l'efficacité ou l'inefficacité du système judiciaire. Un nombre considérable de classements ne sont pas dus à la mise en oeuvre du principe de l'opportunité des poursuites. Jusqu'à une époque récente, il était difficile d'opérer des distinctions parmi les motifs de classements sans suite.
En 1996, le conseil de la statistique du ministère de la justice a décidé la production d'une statistique qui soit non plus seulement quantitative mais également qualitative. Par la suite, des expérimentations ont été effectuées dans quelques ressorts afin de faire apparaître précisément les motifs de classement. Une table des motifs de classement est désormais implantée dans tous les ressorts.
L'utilisation de cette table permet désormais d'avoir une vision beaucoup plus claire des raisons pour lesquelles 80 % des plaintes ne donnent pas lieu à mise en mouvement de l'action publique par les procureurs de la République.
Table des motifs de classements sans suite | |
· Absence d'infraction | · Procédures alternatives mises en oeuvre par parquet : |
· Infraction insuffisamment caractérisée | - réparation / mineur |
· Motifs juridiques : | - médiation |
· Poursuite inopportune : | · Procédures alternatives mises en oeuvre par d'autres autorités : |
Cette table a été utilisée pour la première fois dans l'ensemble des ressorts en 1998. 4.573.493 plaintes, procès-verbaux ou dénonciations ont été traités par les parquets avec les résultats suivants :
- 3.047.970 procédures ont été classées sans suite pour défaut d'élucidation. Dans un tel cas les parquets n'ont d'autre choix que de classer la procédure, l'enquête n'ayant pas permis d'identifier l'auteur de l'infraction. Il faut toutefois noter, d'une part que le défaut d'élucidation n'est pas une donnée sur laquelle justice et police n'ont aucune prise, d'autre part que l'absence de réponse judiciaire donnée à un grand nombre d'infractions ne constitue pas un encouragement pour les forces de police ou de gendarmerie à l'élucidation de certaines affaires ;
- 292.464 procédures ont été classées sans suite pour absence d'infraction ou infraction insuffisamment caractérisée ;
- 36.679 procédures ont été classées pour des motifs juridiques tels que l'amnistie, le retrait de plainte, la prescription ;
- 419.505 procédures ont été classées pour inopportunité des poursuites, notamment en cas de carence du plaignant, de responsabilité de la victime, d'état mental déficient de l'auteur des faits ;
- 163.819 procédures ont donné lieu à des mesures alternatives aux poursuites, telles que la médiation ou le rappel à la loi et se sont donc conclues par un classement sans suite ;
- 613.056 plaintes, procès-verbaux ou dénonciations ont donné lieu à poursuite pénale.
La lecture de ces chiffres appelle plusieurs commentaires. Il convient tout d'abord de noter que l'ensemble des classements sans suite ne peuvent être imputés au principe d'opportunité des poursuites qui gouverne notre procédure pénale. Dans un nombre considérable de cas, le procureur de la République n'a d'autre choix que de classer sans suite et le principe de l'opportunité des poursuites ne trouve pas à s'exercer.
En 1998, seuls 419.505 classements sans suite sont explicables par l'inopportunité des poursuites. En fait, le motif de classement qui traduit le mieux le principe d'opportunité des poursuites est celui du "préjudice ou trouble peu important causé par l'infraction ". Il s'agit là d'une appréciation propre au procureur, qui a concerné 224.644 affaires en 1998.
Votre rapporteur estime donc qu'il est temps de lever certaines ambiguïtés dans ce domaine. Il n'est pas possible de laisser croire que 80 % des affaires n'ont pas de suite pour cette seule raison.
Comme l'a noté la commission de réflexion sur la justice présidée par M. Pierre Truche dans son rapport, " s'il y a des classements, ce ne sont pas des " classements sans suite ", selon la terminologie habituelle, mais des " classements sans poursuite " qui impliquent qu'une réponse judiciaire a néanmoins été donnée : en droit (absence d'infraction caractérisée), en fait (enquête restée infructueuse : auteur inconnu, préjudice réparé et retrait de plainte) ou par le recours à des mesures non répressives (avertissement, médiation, transaction, sanctions disciplinaires) "6(*).
En fait, la terminologie utilisée devrait être revue afin de mettre fin à des confusions. La notion de classement sans suite a perdu toute signification parce qu'elle recouvre des situations trop différentes.
Ainsi, votre rapporteur est un partisan actif des mesures dites " alternatives aux poursuites " telles que la médiation, le rappel à la loi et surtout la nouvelle procédure de composition pénale. Ces procédures offrent en effet la perspective d'une justice plus digne, mais également plus efficace. La mise en oeuvre d'une mesure de composition pénale après un dialogue entre un délinquant et le procureur n'est-elle pas préférable à certaines de ces audiences correctionnelles où des dizaines de prévenus voient leurs cas réglés en quelques minutes ?
Les mesures alternatives aux poursuites, de plus en plus utilisées par les parquets, sont de véritables réponses de la société face à la délinquance et il est incohérent qu'elles soient comptabilisées parmi les classements sans suite. Avec la mise en oeuvre d'une médiation réussie, une suite est bel et bien donnée à une plainte, parfois plus efficace qu'une poursuite. Le terme même d'alternative aux poursuites n'est guère heureux. Bien souvent en effet, les affaires concernées se termineraient par un classement en l'absence de telles mesures. Les alternatives aux poursuites peuvent contribuer à désengorger les tribunaux, mais également à limiter ces classements de pure opportunité souvent dénoncés.
Votre rapporteur souhaite donc saisir l'occasion de l'examen du présent projet de loi pour demander instamment qu'une révision complète de la terminologie utilisée en cette matière soit entreprise. Une médiation ne devrait plus figurer parmi les classements sans suite, de même qu'un classement effectué parce que le procureur estime que le trouble est peu important ne devrait pas pouvoir être confondu avec un classement lié à la prescription de l'action publique, le procureur n'ayant dans ce dernier cas aucun choix. La publication récente des " chiffres-clés de la justice " montre qu'une évolution est en cours puisque les procédures alternatives aux poursuites sont isolées des classements sans suite et que les affaires poursuivables sont distinguées des affaires non poursuivables. Afin de faciliter cette évolution, votre commission propose que la notion de classement sans suite ne soit plus employée dans le code de procédure pénale et que celui-ci fasse plutôt référence aux décisions de ne pas poursuivre.
2. Une situation toujours inquiétante
Si l'amélioration des outils statistiques employés et de la terminologie utilisée sont indispensables, il n'en reste pas moins que trop d'infractions ne reçoivent aujourd'hui aucune réponse. En 1998, 420.000 plaintes ou dénonciations ont été classées pour des motifs d'opportunité, 225.000 l'ayant été après que le procureur a estimé que l'infraction avait causé un trouble ou un préjudice peu important.
Dans un grand nombre de cas, ces motifs de classement servent en fait à désengorger la juridiction, qui ne parvient pas à assurer le traitement de l'ensemble des affaires. Au cours des auditions auxquelles il a procédé, votre rapporteur a entendu citer le cas d'un procureur qui, venant d'arriver dans une juridiction, a décidé de classer l'ensemble des plaintes en attente de traitement afin de pouvoir entamer son travail sur des bases assainies.
Comme votre rapporteur l'a déjà noté à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à l'efficacité de la procédure pénale, une telle situation signifie l'impunité complète pour un grand nombre de délinquants et l'insécurité chronique de leurs victimes. Nombre d'entre elles ont désormais intégré cette impuissance de la justice et renoncent à porter plainte de sorte que les statistiques ne rendent qu'imparfaitement compte de l'ampleur de la délinquance dans notre pays.
Il n'est pas possible de s'accommoder d'une situation dans laquelle les victimes ne reçoivent aucune réponse du système judiciaire. Il est certes possible d'améliorer les procédures, de renforcer l'information donnée aux plaignants, mais l'amélioration du traitement de la délinquance est d'abord une question de moyens. La mise en oeuvre de mesures alternatives aux poursuites est une piste tout à fait intéressante face à la prolifération d'un contentieux pénal de masse, notamment dans les zones urbaines, mais elle implique des moyens, même si ces solutions sont moins coûteuses que les poursuites devant le tribunal correctionnel. De la même manière, le nombre très élevé d'infractions pour lesquelles l'auteur demeure inconnu est très préoccupant et la solution passe sans doute pour partie par une amélioration de l'action des forces de sécurité.
Il convient donc, dans le cadre de la réforme de la justice en cours, de veiller à ne pas accroître sans cesse les tâches des magistrats du parquet par la création de nouvelles procédures et l'accroissement des missions qui sont les leurs. Gardons à l'esprit que la justice a besoin, à tâches constantes, de moyens supplémentaires. L'accroissement des moyens ne peut qu'être vain s'il s'accompagne de la création ininterrompue de nouvelles obligations
B. LE PROJET DE LOI
Marqué, selon l'exposé des motifs, par une volonté de " rapprocher l'institution judiciaire du justiciable ", le projet de loi contient deux mesures importantes en ce qui concerne les classements sans suite.
1. La motivation des décisions de classement
Le texte prévoit tout d'abord, dans son article 4, la notification par écrit et la motivation de l'ensemble des décisions de classement. En fait, la notification est déjà prévue par le code de procédure pénale, mais il arrive encore que des justiciables ne soient pas informés des suites données à leurs plaintes. La motivation des décisions de classement est déjà prévue depuis juin 1998 pour certaines infractions à caractère sexuel commises contre des mineurs.
Les motivations des décisions de classement seront standardisées, afin d'éviter la paralysie des parquets. Les procureurs reçus par votre rapporteur lui ont indiqué que, dans les affaires particulièrement difficiles sur le plan affectif, ils prendraient naturellement la peine d'expliquer de manière très complète les raisons les poussant à classer une procédure.
La motivation est d'ores et déjà appliquée dans un grand nombre de parquets et la mesure proposée dans le projet de loi constitue davantage la consécration d'une pratique en expansion qu'une innovation. Dans ces conditions, elle ne devrait nécessiter que peu de nouveaux moyens, même si l'étude d'impact transmise au Sénat pouvait susciter de sérieuses interrogations à cet égard7(*).
ETUDE D'IMPACT ET RESPECT DU LÉGISLATEUR
L'étude d'impact accompagnant le présent projet de loi contient, comme elle doit le faire, des indications chiffrées sur le coût des principales mesures proposées.
A propos de la motivation des classements sans suite, l'étude d'impact contient les observations suivantes :
" En 1995, 1.145.291 classements sans suite concernaient des procédures dans lesquelles l'auteur était connu.
" Il est estimé que dans 30 % de ces affaires, il n'y a pas de victimes (par exemple, infraction à la réglementation technique, violation des règles du code de la route sans victime...).
" La motivation des classements sans suite ne concernait donc que 801.704 procédures. 30 minutes étant nécessaires à la formalisation de la décision, cela équivaut (sur la base du temps moyen de travail annuel des magistrats de 1.716 heures) à 234 emplois équivalents temps plein (234 ETP = 801.714 x 30 mn/60mn/1.716).
" Il conviendra donc de créer 234 ETP de magistrats. "
De tels chiffres ont naturellement suscité l'inquiétude de votre rapporteur qui, pour s'être penché sur la question des moyens de la justice, ne pouvait que ressentir quelque appréhension à l'idée que 234 créations de postes de magistrats étaient nécessaires à la motivation des classements sans suite.
Il s'avère en pratique que les chiffres énumérés ne reposent sur aucune base sérieuse. La motivation est déjà appliquée par nombre de parquets et aucun procureur ne met 30 minutes à formaliser la décision de classement, compte tenu des tables de motifs fournies aux parquets... La chancellerie estime aujourd'hui qu'aucune création de poste de magistrat n'est nécessaire pour mettre en oeuvre cette mesure.
Dans ces conditions, il convient peut-être de rappeler que l'étude d'impact d'un projet de loi n'est pas l'occasion pour un ministre de tenter d'obtenir des moyens supplémentaires auprès de son collègue des finances en procédant à des estimations infondées du coût des mesures proposées. L'étude d'impact est adressée au Parlement par le Premier ministre et a pour objet d'informer le législateur aussi précisément que possible du coût prévisible des projets qui sont soumis à son appréciation.
2. La mise en place d'un recours
Le projet de loi tend, dans son article 5, à permettre d'exercer un recours contre les décisions de classement. Ce recours comporterait deux étapes. Dans un premier temps, la personne ayant dénoncé des faits au procureur et ne pouvant se constituer partie civile tout en justifiant d'un intérêt suffisant pourrait contester une décision de classement sans suite en saisissant le procureur général, qui pourrait alors enjoindre au procureur de la République de mettre en mouvement l'action publique ou au contraire confirmer la décision de classement.
Dans un second temps, en cas de confirmation de la décision de classement, les mêmes personnes pourraient saisir une commission, compétente sur le ressort de plusieurs cours d'appel et composée de magistrats du parquet des différentes cours d'appel situées dans son ressort. La commission statuerait par une décision motivée insusceptible de recours et pourrait ordonner au procureur de la République de mettre en mouvement l'action publique.
L'Assemblée nationale a complété ces dispositions pour prévoir que les recours contre les décisions de classement suspendraient, au seul bénéfice du ministère public, la prescription de l'action publique
.C. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : CONCILIER EFFICACITÉ ET DROITS DES JUSTICIABLES
1. Faire disparaître la notion de classement du code de procédure pénale
Comme il a été exposé ci-dessus, la notion de classement sans suite recouvre des réalités très différentes et n'a guère de signification. La Chancellerie et les parquets ont entrepris des efforts qui permettent aujourd'hui d'avoir une vision plus claire et plus complète des suites données aux plaintes et dénonciations.
Dans ces conditions, votre commission propose de faire disparaître toute référence à la notion de classement dans le code de procédure pénale. Cette notion ne rend pas compte en effet du cheminement qui conduit un procureur à décider de ne pas mettre en mouvement l'action publique. Il convient donc d'évoquer la décision de ne pas poursuivre plutôt que le classement d'une affaire. Une médiation ou une composition pénale ne sont pas des classements, encore moins des classements sans suite, même si elles n'aboutissent pas à une mise en mouvement de l'action publique. Une telle évolution peut paraître de pure forme, mais elle permettra une meilleure compréhension du traitement réservé par les parquets aux plaintes et dénonciations.
2. Approuver la motivation des décisions
Le code de procédure pénale prévoit déjà explicitement que le procureur de la République avise le plaignant du classement de l'affaire. La motivation de ces décisions n'est aujourd'hui explicitement prévue que pour certaines infractions sexuelles commises contre des mineurs. Nombre de parquets ont toutefois d'ores et déjà entrepris de motiver les décisions de classement, grâce à la table des motifs élaborée par la Chancellerie. Dans ces conditions, la mesure prévue par l'article 4 du projet de loi est davantage une consécration qu'une innovation. Elle mérite d'être approuvée, les justiciables étant en droit de connaître les raisons pour lesquelles leurs plaintes n'aboutissent pas à une mise en mouvement de l'action publique.
3. Simplifier le système de recours
Le système de recours contre les décisions de classement prévu par l'article 5 du projet de loi est apparu trop complexe à votre commission. En ce qui concerne le recours auprès du procureur général, il existe d'ores et déjà en l'absence de tout texte - il s'agit d'un recours hiérarchique - et est ouvert à tous les justiciables. Il est utile de consacrer ce recours en l'inscrivant dans la loi, afin qu'il soit mieux connu.
Toutefois, il paraît contestable de n'offrir ce recours qu'aux personnes n'ayant pas la possibilité de se constituer partie civile. La consécration d'un recours devant le procureur général ouvert aux seules requérants n'ayant pas qualité pour se constituer partie civile peut logiquement être interprétée comme ayant pour conséquence de faire disparaître le recours hiérarchique qui correspond à un principe général du droit public ouvert à tous les plaignants. Or, la constitution de partie civile est beaucoup plus contraignante pour le plaignant que la mise en mouvement de l'action publique par le procureur et l'on voit mal pourquoi les victimes d'une infraction seraient privées du droit de contester devant le procureur général une décision de classement. En outre, la notion d' " intérêt suffisant " nécessaire pour exercer un recours permet toutes les interprétations.
Votre commission propose donc d'accepter la consécration du recours hiérarchique devant le procureur général tout en ouvrant ce recours - comme actuellement - à toutes les personnes ayant dénoncé des faits à propos desquels le procureur a décidé de ne pas mettre en mouvement l'action publique.
En revanche, la mise en place de commissions régionales de magistrats du parquet devant lesquelles les décisions du procureur général pourraient être contestées a suscité la perplexité de votre commission. Le système proposé est en effet fort complexe et le bénéfice qui peut en être attendu paraît faible. Il est difficile en effet d'imaginer que des affaires importantes puissent échapper successivement à la vigilance d'un procureur de la République et d'un procureur général. En outre, il paraît contestable, dans un projet de loi qui tend par ailleurs à réaffirmer le principe de hiérarchisation du parquet, de permettre à une commission qui pourra être composée de substituts de remettre en cause la décision d'un procureur général. Le présent projet de loi est marqué par une volonté de renforcer les attributions des procureurs généraux et il paraît normal de leur faire confiance en ce qui concerne leur pouvoir de remettre en cause les décisions de classement prises par les procureurs de la République.
Votre commission propose donc la suppression de ce recours devant une commission régionale, dont les modalités sont particulièrement lourdes et complexes et dont l'utilité n'est pas démontrée. Votre rapporteur se permettra d'ajouter qu'il a procédé à de très nombreuses auditions sur ce projet de loi et que cette disposition n'a été soutenue par aucun de ses interlocuteurs.
III. QUEL CONTRÔLE DE L'AUTORITÉ JUDICIAIRE SUR LA POLICE JUDICIAIRE ?
A. DES RAPPORTS COMPLEXES
La police judiciaire est un auxiliaire indispensable de l'action publique. Certes, le procureur a tous les pouvoirs et prérogatives attachés à la qualité d'officier de police judiciaire et peut procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale. En pratique cependant, ces missions sont confiées aux officiers et agents de police judiciaire.
Les rapports entre l'autorité judiciaire et la police judiciaire sont complexes, une double autorité s'exerçant sur les officiers et agents de police judiciaire. Les policiers et gendarmes relèvent respectivement du ministère de l'intérieur et du ministère de la défense. Dans la plupart des cas, ils ne consacrent pas l'ensemble de leur activité à des missions de police judiciaire. Ils ne dépendent pas du ministère de la justice pour leur recrutement, leur rémunération, leur carrière.
Néanmoins, l'article 12 du code de procédure pénale prévoit que la police judiciaire est exercée " sous la direction du procureur de la République ". L'article 41 souligne que le procureur " dirige l'activité des officiers et agents de la police judiciaire dans le ressort de son tribunal ". Ainsi, les officiers de police judiciaire sont tenus d'informer sans délai le procureur de la République des infractions dont ils ont connaissance. L'article D 3 du code de procédure pénale permet au procureur de choisir le service enquêteur. Par ailleurs, le procureur général habilite les officiers de police judiciaire et peut retirer ou suspendre cette habilitation. La chambre d'accusation est, pour sa part, chargée du contrôle et peut prononcer des sanctions disciplinaires.
Il convient enfin de noter que le ministre de la justice co-signe avec le ministre de la défense ou le ministre de l'intérieur les arrêtés de nomination des officiers de police judiciaire. Le procureur général note les officiers de police judiciaire et l'article 19-1 du code de procédure pénale précise que cette notation est prise en compte pour toute décision d'avancement. Un décret n° 98-1203 du 28 décembre 1998 est venu préciser que les dossiers individuels sont détenus au parquet général de la cour d'appel et a modifié les éléments d'appréciation à prendre en compte pour la notation des officiers de police judiciaire par le procureur général.
L'équilibre qui découle de ces différentes règles est aujourd'hui critiqué. Ainsi, la commission de réflexion sur la justice présidée par M. Pierre Truche a mis en lumière les " failles " de ce système, soulignant notamment que " le magistrat ne maîtrise pas les conditions d'emploi des personnels ".
Cette commission a également observé que " la double dépendance des policiers et gendarmes les conduit à transmettre des éléments d'une enquête couverte par le secret à des autorités non judiciaires ".
La commission de réflexion sur la justice a enfin évoqué certaines situations particulières dans lesquelles le rôle de la justice apparaît ambigu : " (...) au-delà des relations magistrats - policiers à propos d'affaires particulières, se pose la question de déterminer qui définit la politique d'action publique lorsque les impératifs d'ordre public prennent une importance exceptionnelle : mouvements revendicatifs violents, manifestations publiques accompagnées de pillages, d'incendies, crises urbaines... Des infractions d'une gravité certaine sont commises et leur résultat largement diffusé dans le public ; il est évident que la gestion de ces situations implique une action politique.
" La part du judiciaire dans ces dernières hypothèses est ambiguë. Son intervention est justifiée par l'existence d'infractions ; son efficacité est réduite : il ne suffit pas de connaître l'existence de délits, encore faut-il en identifier les auteurs et les retrouver. Ici plus qu'ailleurs, la maîtrise des enquêtes échappe à la justice dont l'intervention n'entre généralement pas en ligne de compte dans le règlement politique des affaires. Il n'y a pas ici d'instructions de non poursuites, mais une impossibilité de poursuivre faute d'éléments qui ne sont pas collectés. Un Etat de droit peut-il s'accommoder d'îlots soustraits à la justice ou plutôt de zones dont l'accès ne lui est permis que lorsqu'il est estimé ailleurs que son intervention est devenue indispensable au règlement d'un conflit ? La crainte que l'on a de voir le conflit s'envenimer à la suite de décisions de justice (mise en détention, condamnation...) est certainement surestimée le plus souvent, mais pas forcément inexistante "8(*).
Confrontée à cet équilibre précaire, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, a constamment affirmé sa volonté de renforcer le contrôle de l'autorité judiciaire sur la police judiciaire. Dans son document d'orientation intitulé " Une réforme pour la justice " présenté le 29 octobre 1997, elle indiquait ainsi : " La police dispose de moyens que la justice doit pouvoir connaître et mieux utiliser. Le contrôle des opérations de police par la justice est une garantie offerte aux citoyens ".
B. LE PROJET DE LOI : DES MESURES TRÈS TIMIDES
Il faut pourtant constater que le projet de loi soumis au Sénat, qui a notamment pour objet de renforcer le contrôle de l'autorité judiciaire sur la police judiciaire, ne contient que quelques mesures de portée très limitée.
Il s'agit tout d'abord d'instaurer un droit de regard de l'autorité judiciaire sur les moyens consacrés à une enquête. Ainsi, l'article 41 du code de procédure pénale serait modifié pour prévoir que le procureur et les chefs des services de police et de gendarmerie " se tiennent informés " au moins une fois par trimestre des moyens à mettre en oeuvre pour atteindre les objectifs fixés par les directives générales de politique pénale. De même, ils devraient " définir d'un commun accord " les moyens à mettre en oeuvre en cas d'enquête longue ou complexe (article 7 du projet de loi).
Le projet de loi prévoit par ailleurs dans son article 8 que le procureur de la République fixe un délai lorsqu'il donne instruction à des officiers de police judiciaire de procéder à une enquête préliminaire. En cas d'enquête menée d'office, les officiers de police judiciaire devront rendre compte de l'état d'avancement de l'enquête après une durée de six mois. Le texte tend en outre à contraindre les officiers de police judiciaire à aviser le procureur dès qu'une personne à l'encontre de laquelle existent des indices faisant présumer qu'elle a commis ou tenté de commettre l'infraction sur laquelle porte une enquête est identifiée.
C. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : IMPLIQUER L'AUTORITÉ JUDICIAIRE DANS LES ENQUÊTES ADMINISTRATIVES CONCERNANT LES OFFICIERS DE POLICE JUDICIAIRE
· Les mesures proposées dans le projet de loi pour renforcer le contrôle de l'autorité judiciaire paraissent particulièrement modestes. Il est vrai que la gestion des rapports entre police judiciaire et autorité judiciaire est complexe et qu'il est difficile de porter atteinte aux équilibres existants sans risquer des effets contraires au but recherché.
Toutefois, la rédaction du texte pourrait dans certains cas être à l'origine de malentendus fâcheux. Ainsi, le projet de loi prévoit dans son article 7 que le procureur et les chefs de service " se tiennent informés " au moins une fois par trimestre des moyens à mettre en oeuvre pour l'application des directives générales de politique pénale. De même, le procureur et les chefs de service devraient définir " d'un commun accord " les moyens à mettre en oeuvre pour procéder aux investigations en cas d'enquête longue ou complexe.
Si la volonté de donner à l'autorité judiciaire un droit de regard sur les moyens affectés aux enquêtes est louable, il faut pourtant reconnaître que ces dispositions sont entièrement dépourvues de portée normative. Surtout, elles donnent le sentiment que les chefs de service de la police ou de la gendarmerie sont placés sur un pied d'égalité avec le procureur de la République ou le juge d'instruction, ce qui paraît peu conforme à la volonté de renforcer le contrôle de l'autorité judiciaire sur la police judiciaire.
Votre commission propose donc la suppression de ces dispositions.
· Votre commission souhaite par ailleurs renforcer le dispositif prévu par le projet de loi en ce qui concerne le contrôle exercé sur la police judiciaire.
Le dispositif proposé dans le projet de loi est en effet beaucoup trop modeste pour permettre une évolution des rapports entre l'autorité judiciaire et la police judiciaire.
Des propositions ambitieuses ont été formulées depuis plusieurs années sur ce sujet. Il a ainsi pu être proposé de rattacher au ministère de la justice les services de police judiciaire. Séduisante au premier abord, cette idée suscite cependant de nombreuses interrogations. Dans la plupart des cas, en effet, les officiers et agents de police judiciaire n'exercent pas uniquement des missions de police judiciaire. La création d'un corps dépendant du ministère de la justice risquerait d'avoir pour effet de priver ses membres de tout lien avec les autres services de police et donc de toute information.
La commission de réflexion sur la justice présidée par M. Pierre Truche a pour sa part estimé que, dans chacun des ministères concernés, le contrôle de la police judiciaire devrait être confié à un magistrat de l'ordre judiciaire : " (...) trois magistrats de haut grade, assistés de collaborateurs issus notamment du ministère de la justice (...) devraient être placés respectivement auprès du directeur central de la police, du directeur général de la gendarmerie et du directeur général des douanes pour contrôler toutes les missions de police judiciaire. Cette mesure n'est pas exclusive de la nomination d'un magistrat comme directeur de la police judiciaire, de la gendarmerie ou des douanes "9(*).
Une autre proposition a retenu l'attention de votre commission. Dès 1991, une commission de contrôle sénatoriale, chargée d'examiner les conditions de fonctionnement des services relevant de l'autorité judiciaire, présidée par M. Hubert Haenel et dont le rapporteur était M. Jean Arthuis, s'inquiétait de l'insuffisance du contrôle de l'autorité judiciaire sur la police judiciaire. Le rapport de la commission de contrôle précisait ainsi : " (...) le bras séculier du Parquet qu'est la police judiciaire est certes placé sous la direction de celui-ci mais il ne relève pas de son autorité, et la diligence plus ou moins exacte de la police, quand ce n'est pas son obstruction ou la transmission tardive des informations constitue indiscutablement une atteinte à l'indépendance "10(*).
Face à cette situation, la commission de contrôle avait proposé la création d'une inspection générale de la police judiciaire relevant du ministère de la justice et comprenant des magistrats, des policiers, des gendarmes et des agents des douanes. Cette inspection devait avoir compétence pour toute investigation ou enquête mettant en cause un officier ou un agent de police judiciaire dans l'exercice de ses fonctions ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions.
Au mois de juin dernier, le Sénat, lors de l'examen du projet de loi relatif au renforcement de la protection de la présomption d'innocence et aux droits des victimes, a adopté sur proposition de M. Hubert Haenel, un amendement prévoyant la création d'une inspection générale de la police judiciaire " chargée d'enquêter sur les infractions commises par les officiers de police judiciaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions ".
Au cours du débat, Mme Elisabeth Guigou, garde des Sceaux, avait indiqué : " (...) une telle réforme supposerait des discussions interministérielles qui n'ont pas été menées, et l'examen du texte relatif à l'action publique sera l'occasion de revenir sur ces sujets de police judiciaire " .
Votre commission estime que le présent projet de loi est la meilleure occasion donnée au législateur d'adopter une mesure forte pour faire du contrôle de l'autorité judiciaire sur la police judiciaire une réalité. Elle propose que l'autorité judiciaire soit toujours associée aux inspections concernant les officiers et agents de police judiciaire lorsque ces inspections concernent les activités de police judiciaire de ces officiers et agents et que le ministre de la justice puisse prendre l'initiative de telles inspections.
La proposition de votre commission s'écarte sur deux points de celle formulée par M. Hubert Haenel. En premier lieu, il paraît plus simple d'impliquer l'inspection générale des services judiciaires dans les inspections concernant les officiers et agents de police judiciaire plutôt que de créer une nouvelle inspection générale. En second lieu, il semble souhaitable que l'intervention de l'autorité judiciaire ne soit pas limitée aux cas dans lesquels des infractions ont été commises par des officiers de police judiciaire. Des missions d'inspection pourront être ordonnées lorsque sont constatés des dysfonctionnements n'impliquant pas la commission d'infraction et il paraît souhaitable que l'autorité judiciaire y soit associée.
Votre commission propose donc que les enquêtes administratives relatives au comportement d'un officier ou agent de police judiciaire dans l'exécution d'une mission de police judiciaire associent le service d'enquête compétent et l'inspection générale des services judiciaires. Ces enquêtes pourraient être ordonnées par le garde des Sceaux et seraient alors dirigées par un magistrat.
L'objectif de votre commission est donc d'affirmer clairement que la police judiciaire est placée sous le contrôle de l'autorité judiciaire, sans se rallier toutefois à des solutions aussi hasardeuses que le rattachement de la police judiciaire au ministère de la justice.
Cette approche est exactement celle défendue par Mme le garde des Sceaux qui, en 1997, prenait clairement position en faveur de la proposition formulée par votre commission. Dans son document d'orientation intitulé " une réforme pour la justice ", Mme Elisabeth Guigou indiquait : " le contrôle des activités des officiers de police judiciaire implique la prise en compte effective de l'évaluation judiciaire dans leur carrière. Afin de renforcer ce contrôle, les enquêtes administratives relatives au comportement d'un officier de police judiciaire dans l'exécution d'une mission de police judiciaire associeront l'inspection générale des services judiciaires au service d'enquête compétent ".
Votre commission ayant constaté que cette proposition ne figurait pas dans le projet de loi soumis à son examen, elle a souhaité réparer cet oubli, partageant pleinement les préoccupations du garde des Sceaux en ce domaine.
Sous le bénéfice de ces observations et sous réserve des amendements qu'elle vous soumet, votre commission vous propose d'adopter le présent projet de loi.
A découvrir aussi
- scandale Un enfant de 9 ans placé à l’isolement... dans un hôpital psychiatrique
- Alain Delon défend son fils, inculpé par la justice suisse
- Un pédophile français piégé par le FBI