La réforme de l'autorité parentale, une loi pour les enfants.. ou pour les parents ?
La réforme de l'autorité parentale, une loi pour les enfants.. ou pour les parents ?
Par Michel Huyette
Des députés ont rédigé une proposition de loi "relative à l'autorité parentale et à l'intérêt de l'enfant" (cf. ici). Le texte est examiné à l'Assemblée Nationale à compter du 19 mai 2014. D'emblée les réformes proposées dans le texte initial (des amendements ont été proposés) génèrent d'importantes interrogations. En voici quelques unes, présentées brièvement.
- Les modalités de l'exercice en commun de l'autorité parentale.
L'article 372 du code civil (textes ici) prévoit actuellement que "Les père et mère exercent en commun l'autorité parentale". Cet exercice commun est le principe, l'exercice par un seul des deux parents l'exception (art. 373-2-1 texte ici).
Il est prévu de rajouter cette phrase dans l'article 372 : "Ils doivent s’informer réciproquement de l’organisation de la vie de l’enfant et prendre ensemble les décisions qui le concernent."
Par ailleurs, un nouvel article 372-1 est rédigé ainsi : "Tout acte de l’autorité parentale, qu’il ait un caractère usuel ou important, requiert l’accord de chacun des parents lorsqu’ils exercent en commun l’autorité parentale. Cet accord est exprès pour les actes importants. Constitue un acte important l’acte qui rompt avec le passé et engage l’avenir de l’enfant ou qui touche à ses droits fondamentaux."
La proposition de loi donne une définition de l'acte "important" : "Constitue un acte important l’acte qui rompt avec le passé et engage l’avenir de l’enfant ou qui touche à ses droits fondamentaux." Demain comme hier il s'agira des décisions sortant de l'ordinaire en matière notamment de scolarité (une orientation qui conditionne l'avenir), de santé (une opération), de religion (un engagement).
Cela confirme, à l'inverse, ce que sont les actes usuels. Ce sont, de fait, toutes les petites décisions, sans importance ni enjeu, prises tous les jours par tous les parents, par exemple : autoriser (ou non) un enfant à rester chez un camarade après l'école, à aller au cinéma, à vendre un petit objet à un ami, à acheter quelque chose de faible prix etc..
Il semble souhaité, dans la proposition de loi, que les deux parents prennent ensemble toutes les décisions concernant l'enfant, importantes ou banales. Les députés envisagent donc que le parent chez qui l'enfant réside principalement appelle l'autre parent dix fois par jour, tous les jours de l'année, pour lui demander : "dis donc, il (elle) voudrait ce soir, après l'école, aller réviser son français chez un camarade de classe, tu es d'accord ?" "dis donc, il (elle) voudrait organiser une fête pour son anniversaire, tu es d'accord", "dis donc, ce soir, il (elle) voudrait aller au cinéma avec des amis et va donc rentrer un peu tard, tu es d'accord", "dis donc, il (elle) voudrait que je lui achète un nouveau blouson, tu es d'accord", etc etc...
Evidemment, cela est inenvisageable en pratique, et aurait quelque chose d'absurde. C'est sans doute pourquoi les parlementaires ont écrit que l'accord est "exprès pour les actes importants". Ce qui signifie, à l'envers, qu'il est "tacite" (n'a pas à être exprimé) pour les autres actes, donc les actes "usuels". Cela sans doute pour éviter la situation ubuesque décrite plus haut.
Résumons nous : Il est d'abord proclamé que tous les actes même les plus ordinaires, les "usuels", nécessitent "l'accord" des deux parents, ce qui est une modification considérable du cadre juridique actuel, mais ensuite que pour les actes qui ne sont pas "importants", donc les actes "usuels", l'accord de celui qui n'a pas l'enfant chez lui est tacite. Donc, à quelques phrases de distance, il est écrit dans la proposition de loi et à propos des actes "usuels" que le premier doit toujours contacter le second, puis que le premier ne doit pas forcément contacter le second....
- Le changement de résidence de l'enfant
Il s'agit là d'une question délicate, source de nombreuses difficultés et conflits. Les enfants ne pouvant pas jusqu'à présent être coupés en deux, ils résident la plupart du temps principalement chez l'un de leurs deux parents. Et la capacité de l'autre à voir souvent son enfant découle, pour partie, de la distance géographique entre le domicile des deux parents. Il est certainement plus facile de voir son enfant quand il réside à dix kilomètres que quand il est domicilé à l'autre bout de la France.
A propos du changement de résidence, il est prévu dans l'actuel article 373-2 du code civil (texte ici) : "Tout changement de résidence de l'un des parents, dès lors qu'il modifie les modalités d'exercice de l'autorité parentale, doit faire l'objet d'une information préalable et en temps utile de l'autre parent. En cas de désaccord, le parent le plus diligent saisit le juge aux affaires familiales qui statue selon ce qu'exige l'intérêt de l'enfant. Le juge répartit les frais de déplacement et ajuste en conséquence le montant de la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant."
Il est envisagé de remplacer ce cadre juridique par celui-ci : "Le changement de résidence de l’enfant, dès lors qu’il modifie les modalités d’accueil de l’enfant par l’autre parent, et le changement d’établissement scolaire sont des actes importants. Toutefois, l’accord de l’autre parent n’est pas requis lorsque celui-ci a été condamné soit comme auteur, coauteur ou complice d’un crime ou délit sur la personne du parent qui souhaite changer la résidence ou l’établissement scolaire de l’enfant." L'avis est donc remplacé par la demande d'accord.
Le changement/éloignement de résidence ayant un impact sur l'accueil de l'enfant par l'autre parent, et comme il est qualifié d'acte "important", en application du nouvel article 372-1 mentionné plus haut, l'autre parent doit donner son accord "exprès" au parent qui déménage.
En clair, si le parent qui élève l'enfant se voit proposer un emploi ou une mutation professionnelle dans un autre département et souhaite accepter pour éviter le chômage, ou si ce parent trouve un nouveau compagnon (compagne) et souhaite le rejondre également dans un autre département pour vivre avec lui au sein d'un nouveau couple, l'autre parent peut refuser ce changement de domicile. Quitte à priver d'emploi l'autre parent, où à lui interdire, de fait, de refaire sa vie. Et sauf à contraindre le parent à qui le refus est opposé à saisir le JAF à cause de ce nouveau conflit.
Est-il acceptable que sous couvert de maintenir des liens avec son enfant le parent chez qui il ne réside pas puisse, dans un premier temps, interdire à l'autre de faire des choix essentiels dans sa vie professionnelle ou privée ? Il est plus que difficile d'envisager une réponse positive. Sauf à vouloir générer de nouveaux et très vifs conflits. Car il n'y aura rien de plus dévastateur que de faire de l'un des deux parents, par ce biais, le censeur des choix même légitimes de l'autre.
Le système antérieur permettait au parent qui voyait son enfant s'éloigner géographiquement de saisir le JAF afin de faire obstacle à un choix n'ayant aucune justification raisonnable. Le nouveau système va mettre face à face deux adultes qui vont s'affronter, d'abord seuls, sur cette question de leur domicile. Cela va parfois faire de considérables dégâts. Est-ce vraiment une avancée ?
- La disparition de la résidence de l'enfant.
Comme cela a été dit plus haut, les enfants ne pouvant pas se dédoubler, en cas de séparation de leurs parents ils vivent une majorité du temps chez l'un ou chez l'autre. Concrètement, il n'est pas vraiment possible de faire autrement, cela quelle que soit l'intensité de la souffrance, inévitable, de celui qui ne les voit plus au quotidien. Il y a donc au moment du divorce fixation de la résidence des enfants chez l'un des parents. Et l'autre obtient le droit de les recevoir à une périodicité négociée ou tranchée par le JAF en cas de désaccord. La résidence peut aussi, en application de l'article 373-2-9 (textes ici), être fixée "en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l'un d'eux."
La proposition de loi prévoit une nouvelle règle : "(..) la résidence de l’enfant est fixée au domicile de chacun des parents selon les modalités déterminées d’un commun accord entre les parents ou à défaut par le juge. À titre exceptionnel, le juge peut fixer la résidence de l’enfant au domicile de l’un des parents. Dans ce cas, il statue sur les modalités du droit de visite de l’autre parent. Si les circonstances l’exigent, ce droit de visite peut être exercé dans un espace de rencontre qu’il désigne."
Le principe deviendrait donc une résidence "au domicile de chacun des parents", et la résidence chez l'un d'entre eux l'exception.
Mais quel sens peut avoir la notion de résidence chez les deux parents quand, dans une écrasante majorité des situations, l'enfant vit principalement au domicile de l'un de ses deux parents ?
On peut éventuellement envisager cette notion quand les parents ont choisi une résidence alternée, la résidence devenant terminologiquement non plus "alternée" mais "commune". Il faut toutefois avoir en tête que résidence alternée ne signifie pas forcément égalité stricte du temps d'hébergement.
Mais surtout, d'après certaines études de décisions des JAF (cf. ici, et ici), la résidence alternée concernerait entre 15 et 20 % des situations. Dans les autres, la résidence est dans environ 70 % des cas chez la mère et entre 10 et 15 % des cas chez le père, étant relevé, c'est important, que plus de la moitié des divorces sont des consentements mutuels.
Il serait donc aberrant, sous couvert de la notion juridique nouvelle de domicile chez les deux parents, de faire d'un mode actuel minoritaire, la résidence alternée, le mode de principe demain. Ce serait imposer un cadre juridique allant dans un sens sur une situation concrète qui va dans l'autre sens. D'autant plus que si la résidence alternée de principe était appliquée, elle concernerait aussi bien les adolescents que les nouveaux-nés. Ce qui serait, à ce niveau là encore, totalement aberrant.
Une modification de la loi ne changera rien aux situations concrètes. Demain comme hier, au quotidien, les enfants vivront plus souvent auprès de l'un de leurs parents qu'auprès de l'autre. Avec parfois entre les domiciles du père et de la mère une forte distance kilométrique. La plupart du temps, la résidence "au domicile de chacun des parents" sera donc une pure fiction juridique, en décalage total avec la réalité, sera incompréhensible pour les tiers, et sera source de bien des ambiguïtés et de conflits pour les intéressés.
L'impression qui ressort ici de cette proposition de loi, est celle d'une tentative de créer, avec des mots, une situation idéalement équilibrée qui, en pratique, n'existe et n'existera quasiment jamais.
Ce n'est que très exceptionnellement que les deux parents se retrouvent dans une situation semblable avec des enfants que tous deux voient régulièrement et plus ou moins avec la même fréquence et ampleur de temps. Il est indispensable, en effet : que bien que se séparant ils s'entendent encore très bien, qu'ils soient capables de discuter sereinement et sainement de tout, qu'ils soient tous deux prêts à faire des concessions, qu'ils habitent à proximité l'un de l'autre.
Et que cela convienne aux enfants. Or on sait, bien que cela ne soit pas souvent mis en avant, que la résidence alternée, si elle est de nature à satisfaire un besoin d'égalité des parents, est loin d'être le système idéal pour tous les enfants concernés (cf. not. ici, ici, ici, ici, ici, ici)
- La place du nouveau compagnon/compagne
Depuis longtemps existe un débat autour de "la place du beau-parent". La problématique est simple : après divorce, quand le père ou la mère fonde un nouveau couple, quelle place pour cette nouvelle personne dans la vie de l'enfant ? Se pose, plus précisément, la question de la possibilité pour cette nouvelle personne de prendre des décisions concernant l'enfant que, de fait, elle élève un peu elle aussi puisqu'elle fait partie de son quotidien. Et chacun de citer ces réactions d'enfants vis à vis de ces personnes "t'as rien à me dire t'es pas ma mère/mon père".
La proposition de loi prévoit ceci : "(..) le parent peut, avec l’accord de l’autre parent, donner un mandat d’éducation quotidienne à son concubin, partenaire ou conjoint avec lequel il réside de façon stable pour chacun des enfants vivant avec le couple. Le mandat, rédigé par acte sous seing privé ou en la forme authentique, permet d’accomplir les actes usuels de l’autorité parentale pour la durée de la vie commune. Le mandat peut être révoqué à tout moment par le mandant. Il prend fin de plein droit en cas de rupture de la vie commune, de décès du mandant ou du mandataire ou de renonciation de ce dernier à son mandat."
Dans un premier temps, cette disposition peut paraître opportune dans son principe. En effet, au quotidien, il peut être utile que le nouveau compagnon/compagne puisse faire certaines démarches sans enjeu (école, loisirs..) chaque fois qu'il ne s'agit pas d'un acte "important" nécessitant impérativement l'accord de l'autre parent comme mentionné plus haut.
Et puis cela calmera peut-être un peu l'ardeur des enfants à contester l'autorité exercée par celui qui partage la vie de leur père/mère.
Mais ce n'est peut être pas aussi simple que cela.
En effet la proposition de loi prévoit "l'accord de l'autre parent" pour qu'il y ait mandat Pourtant, si un enfant vit à l'année chez l'un de ses parents et que l'autre ne le reçoit que de temps en temps, on ne saisit pas bien ce qui pourrait justifier que cet autre parent s'oppose au mandat que le premier veut donner avec la personne qui partage sa nouvelle vit et s'occupe au quotidfien des enfants.
Soit l'autre parent a des raisons de considérer que cette nouvelle personne est néfaste pour les enfants et il faut alors s'interroger en termes de changement de résidence pour protéger les enfants, soit cette nouvelle personne est un bon éducateur et il n'existe aucune raison pour empêcher qu'elle puisse aider le parent avec lequel elle vit dans le quotidien des enfants (par exemple prenne quelques décisions quand le parent est en déplacement professionnel).
On comprend bien, d'un point de vue psychologique, que le parent qui n'élève pas l'enfant soit déstabilisé par le fait qu'un(e) autre homme/femme que lui/elle puisse intervenir dans le quotidien de ses enfants et plus encore prenne quelques décisions même sans importance. Il va souvent y avoir un sentiment douloureux de remplacement. Mais l'existence de la souffrance ne justifie pas une disposition légale qui rajoute d'autres difficultés à celles qui existent déjà. On ne résoud pas un mal par un autre mal.
C'est pourquoi, quand le mandat est pleinement justifié, la possibilité d'un refus de l'autre parent n'a sans doute pas sa place.
Ensuite, parce que si la nouvelle personne obtient un mandat, elle va se retrouver dans la même situation que le parent, et va donc devoir, même pour les actes de la vie courante, demander l'accord de l'autre parent. Ce qui signifie que dans certaines situations trois personnes vont devoir négocier : la nouvelle personne qui veut prendre une décision, le parent qui n'élève pas l'enfant et qui doit donner son avis, le parent qui l'élève et qui va forcément intervenir dans le débat. Si l'on veut générer de nouvelles tensions, c'est sans doute un mécanisme efficace.
Et pour conclure.
D'emblée, la lecture de ces nouvelles dispositions nous conduit à une impression tenace : cette proposition de loi est faite pour les parents, non pour les enfants. Il semble bien que le fil conducteur des rédacteurs soit la volonté de créer une fiction juridique d'égalité, de nature à rassurer certains parents ou associations de parents.
On cherche, un peu désespérément, ce qui, dans ces dispositions nouvelles, va concrètement améliorer le sort des enfants de parents séparés. Or non seulement on ne trouve pas facilement, sauf peut-être en ce qui concerne la volonté d'encourager la médiation (cf. ici), qui existe déjà (texte ici), et qui peut, en apaisant les tensions entre les parents, apaiser aussi les enfants, mais certaines de ces dispositions vont générer de nouveaux conflits dont les intéressés n'ont nullement besoin.
Il ne suffira pas de mentionner "l'intérêt de l'enfant" dans la loi pour que cela corresponde à une réalité. Nous avons déjà vu, ici, à quel point il s'agit d'une notion fourre-tout, prétexte, que les adultes utilisent dans un sens ou dans le sens contraire au gré de leurs intérêts. Qui, la plupart du temps, passent avant les intérêts des enfants.
Pour que les enfants s'épanouissent, il leur faut des parents qui se respectent, qui s'écoutent, qui dialoguent, qui les épargnent, qui ne les utilisent pas pour régler leurs comptes, et, c'est le plus difficile, qui sont prêts à faire des sacrifices pour eux.
Et contre ceux qui ne veulent pas, la loi ne peut pas grand chose.
Pas plus que, quels que soient les termes utilisés, elle ne fera jamais disparaître l'inéluctable souffrance de l'après séparation.
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