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Lebensborn, l’enlèvement d’enfants étrangers par l’Etat allemand

Lebensborn, l’enlèvement d’enfants étrangers par l’Etat allemand

 

Le livre Lebensborn - la fabrique des enfants parfaits, de Boris Thiolay, vient de paraître chez Flammarion. L’auteur raconte l’histoire de quelques dizaines d’enfants nés dans l’unique établissement implanté en France (à Lamorlay, près de Chantilly) de ce vaste programme de sélection d’enfants racialement purs, mis en place dès les années 1930 par Himmler, chef de la SS. On sait aujourd’hui qu’un autre volet de ce programme comprenait le kidnapping d’enfants d’allure aryenne à travers l’Europe, principalement en Pologne. Plus de 200.000 enfants furent ainsi arrachés à leur famille et placés en foyer ou adoptés par un couple allemand sans enfant, avec changement de nom et effacement complet des origines. Dans l’Allemagne contemporaine apaisée, cette compulsion de germanisation d’enfants étrangers demeure encore très solidement ancrée dans l’inconscient collectif, parce qu’elle remonte au plus profond de l’histoire allemande. Chaque année, des centaines d’enfants de parents binationaux séparés sont interdits de contact avec leur parent et leur culture étrangère. Les services sociaux et la justice organisent sans en informer le parent étranger une procédure truquée, appuyée sur des expertises psychologiques biaisées, transférant en quelques mois la totalité des droits sur l’enfant et l’autorité au parent allemand, sans aucun recours possible pour le parent étranger. L’état-civil de l’enfant, si le père est étranger, est germanisé. Toutes ces procédures violent très gravement le droit international, mais sont parfaitement légales en Allemagne. Sur les 20 dernières années, il est estimé qu’au moins 10.000 enfants auraient ainsi été illégalement germanisés, sans aucune réaction de la communauté internationale.

Signifiant littéralement « fontaine de vie » (de Leben, vie, et de Born, vieil allemand signifiant fontaine), ce programme apparut officiellement fin 1935 à l’initiative de l’office central de la race et du peuplement du Reich, sous la forme d’une association : une crèche accueille les enfants, et une clinique reçoit les femmes, les fiancées, les amies des hommes de la SS et de la police sur le point d’accoucher.

L’idée en Allemagne n’était pas réellement nouvelle. La tradition familiale ancestrale inégalitaire de l’héritage en indivision, qui confiait la ferme ou les biens familiaux au seul aîné de la fratrie, et rejetait en dehors des familles des quantités importantes de jeunes hommes célibataires, condamnés à la chasteté, avait fini par entraîner une fréquence considérable de naissances illégitimes, bien plus que dans la plupart des pays d’Europe [1]. Dès la fin du XIXe siècle, des associations de bienfaisance s’étaient spontanément créées pour accueillir ces filles-mères. L’idée de la race, en train de se formaliser à cette époque, n’en était pas totalement exempte. Une association allemande du nom de Mittgart (de Mensch, être humain, et de Garten, jardin) a existé en Westphalie dans les premières années du XXe siècle, prônant le mariage provisoire au terme duquel chaque homme ainsi « marié » devait quitter sa femme dès que celle-ci se trouvait enceinte. Elle se proposait de créer des villages-modèles uniquement peuplés de femmes désireuses d’enfant pour le compte de l’Etat, lequel allait prendre en charge les enfants mâles, le rôle des filles se bornant à celui de reproductrices d’enfants racialement valables. Un journal de Westphalie de 1911 commentant une expérience de cinq années ajoute que « ces pensées ont trouvé une considération respectueuse »[2].

Devant la mulitplication des enfants illégitimes, nés de mères pauvres, l’Etat finit par créer en 1922 dans les villes d’une certaine importance un office de la jeunesse, le « Jugendamt », administration publique sous contrôle local, chargée d’assister la mère dans sa maternité, de trouver le père et s’exiger de lui le versement d’une pension, et enfin d’exercer une tutelle d’office sur les enfants en question. Le code civil allemand de 1900 ne conférait pas à la mère non mariée le statut de parent ; cette mesure législative ne sera modifiée qu’à partir de 1961, de manière très progressive. Jusqu’à la fin des années 1990, le Jugendamt était encore informé de toute naissance survenant hors mariage[3].

Les projets nazis de repeuplement racialement « pur » et à marche forcé du Reich, pratiquait une politique débridée d’incitation à la natalité, avec des pénalités aux couples sans enfant, l’interdiction du travail des femmes, et des sanctions très sévères en cas d’avortement. Le recrutement et la sélection des futures mères pour les Lebensborn constitua jusqu’à l’effondrement du Reich un constant suet de préoccupation pour Himmler. Les volontaires étaient nombreuses, et la sélection physique sévère, sur la base de critères anthropométriques notamment. Les foyers se mutliplièrent dès 1936, équipés de médecins, de sage-femmes et d’infirmières : Steinhöring en Bavière, Wernigerode dans le Harz, Klosterheide dans le Mark, Bad-Polzin en Poméranie. D’emblée, de strictes consignes de secret furent ordonnées par Himmler, en raison de la méfiance des populations avoisinantes. La mère après la naissance pouvait repartir avec l’enfant, ou le confier à l’Etat pour qu’il devienne un « SS-Kind ».

Le kidnapping organisé d’enfants étrangers

Le programme de rapt d’enfants, encore plus secret, commença à fonctionner à plein régime à partir de 1940, surtout depuis la Pologne. Les enfants étaient repérés et enlevés dans les rues par les « sœurs brunes », des religieuses infirmières spécialement formées pour repérer les enfants racialement compatibles. Parfois elles se rendaient directement chez les parents, accompagnés de détachements SS. Les enfants demeuraient quelque temps dans un foyer localement, puis étaient transférés en Allemagne ou en Autriche, souvent pour y être adoptés. Des pièces d’identité allemandes leur étaient établies ex nihilo. Parmi les 200.000 à 300.000 enfants ainsi volés, la plus grande partie, surtout les plus jeunes qui avaient perdu rapidement l’usage de leur langue maternelle, ne furent jamais retrouvés après la guerre.

Les principaux responsables SS du programme Lebensborn, son directeur Max Sollmann et le médecin Gregor Ebner, ne furent pas inquiétés après la guerre, et restèrent en Allemagne. Le journaliste Marc Hillel et sa femme, lorsqu’ils enquêtèrent au début des années 1970 pour leur ouvrage « Au nom de la race », retrouvèrent leur trace et les rencontrèrent.

Lebensborn et Jugendamt aujourd’hui

Aujourd’hui, le Jugendamt continue son œuvre funeste. L’hystérisation raciale a disparu, mais le fond anthropologique xénophobe et autoritaire de la structure familiale allemande ancestrale, la famille souche, ne s’est nullement modifié. Lorsqu’un couple binational se sépare et si le parent allemand reste en Allemagne, il obtient systématiquement la garde exclusive des enfants au terme d’une procédure de justice familiale toujours truquée, où le parent étranger n’a pas la moindre chance. Les services sociaux, incarnés par le Jugendamt, ont en fait tout pouvoir au tribunal. Ils sont partie à la procédure au même titre que les parents, et fournissent quantité de certificats et rapports d’enquête établis sans que le parent étranger en soit informé, attestant qu’il est dans l’intérêt de l’enfant de ne jamais quitter l’Allemagne. L’explication, scientifiquement délirante, est toujours la même : l’attachement de l’enfant à la mère si celle-ci est allemande, ou l’instabilité psychologique de la mère si elle est étangère. Tous les intervenants socio-judiciaires s’associent pour fournir de faux témoignages ; un avocat de l’enfant choisi par le tribunal aggrave encore le déséquilibre par des conclusions identiques. Le Jugendamt a tout pouvoir sur le juge, et peut immédiatement faire appel si ce dernier s’avise d’autoriser le parent étranger à quitter le territoire allemand avec son enfant. Les décisions ne sont d’ailleurs jamais signées par les juges. Si une décision étrangère donne raison au parent étranger, le parent allemand est encouragé par le Jugendamt à enlever l’enfant, et obtient ensuite facilement la garde exclusive. La police intervient pour poursuivre de tentative d’enlèvement d’enfant et déférer devant la justice pénale tout parent étranger qui s’approcherait de son enfant séquestré en Allemagne.

De telles pratiques paraissent inconcevables dans l’Europe d’aujourd’hui. Pourtant les milliers de parents non-allemands concernés ces quinze dernières années racontent tous exactement le même processus, avec les mêmes détails. La commission des pétitions du parlement européen, qui rassemble leurs témoignages, travaille sur ce phénomène depuis une dizaine d’années, mais elle n’a aucun pouvoir et les autorités européennes n’ont pas intérêt à voir son travail aboutir. Elle continue de recueillir des centaines de pétitions chaque années [4]. Sa dernière publication en date, disponible en ligne, est un rapport d’activité du 28.01.2009 qui résume assez précisément le phénomène dans sa forme actuelle [5]. Deux livres ont été publiés sur ce phénomène : « deux enfants derrière un mur » de Catherine Laylle (Ed Fixot), paru en 1996, et « Non vi lascero soli », de Marinella Colombo, en italien, qui vient de paraître (Ed Rizzoli). Par ailleurs, les parlementaires français et européens questionnent régulièrement sur le sujet le gouvernement et la commission, respectivement, sans obtenir de réponse valable. En 2011, les députés et sénateurs français ont ainsi interpellé les ministres concernés pas moins de 15 fois.


[1] E.Todd, Le destin des immigrés, Ed.Seuil, Paris 1994 ; JE Knodel, The Decline of Fertility in Germany, 1871-1939

[2] Marc Hillel, Au nom de la Race, Fayard 1975, p.44

[3] Wenner Eva : La tutelle de l'Office de la jeunesse sur l'enfant naturel en Allemagne : une institution en voie de disparition. In : Revue internationale de droit comparé. Vol. 50 N°1, Janvier-mars 1998. pp. 159-177 (http://www.persee.fr/web/revues/hom...)

[4] http://www.lepoint.fr/societe/parents-divorces-des-deputes-europeens-epinglent-l-allemagne-18-01-2012-1420487_23.php

[5] http://www.europarl.europa.eu/RegDa...



29/04/2013
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