Les sanctions des abus de procédure, en demande et en défense, en première instance
Les sanctions des abus de procédure, en demande et en défense, en première instance
Andréane Giguère et Li-Anne Fortin-Guay
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Ce travail vise à dresser un bref portrait des mesures mises à la disposition des tribunaux par le législateur afin de mieux contrôler les abus de procédure, en demande et en défense, en première instance. Plus spécifiquement, il consiste à expliquer le sens et la portée des nouveaux articles 54.1 et suivants C.p.c.. Ces dispositions prévoient des sanctions pouvant être appliquées par les tribunaux lorsqu’il y a ou paraît y avoir abus de procédure. Contrairement aux anciens articles abrogés 75.1 et 75.2 C.p.c., les articles 54.1 à 54.6 C.p.c. fournissent un vaste éventail d’outils aux tribunaux leur permettant de choisir un remède proportionnel à un abus donné. L’utilité de ces sanctions et leurs modalités d’applications seront donc expliquées, à la lumière de l’interprétation récente qui en a été donnée dans la jurisprudence.
Introduction
Le 4 juin 2009, la Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics (ci-après « Loi ») a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale du Québec. L’adoption de cette loi constitue l’aboutissement d’une campagne de mobilisation contre les « poursuites-bâillons »[i] . Bien que l’initiative du projet de loi puisse être imputée à la volonté d’endiguer ce phénomène[ii], les modifications apportées par le législateur forgent un arsenal juridique bien plus étoffé que le nécessitait le mal visé à l’origine. Les nouveaux articles 54.1 à 54.6 C.p.c., qui remplacent les articles 75.1 et 75.2 C.p.c., visent à prévenir l’abus de procédure en général. Quelques précisions s’imposent afin de cerner la notion d’« abus », qui constitue le pivot de ces dispositions.
Notion d’abus
L’abus de procédure équivaut à un abus de droit au sens des articles 6 et 7 C.c.Q. et 4.1 C.p.c. Pour que l’exercice du droit d’ester en justice soit qualifié d’abus de procédure, la mauvaise foi du justiciable qui en est l’auteur, c’est-à-dire son intention de nuire à autrui, est nécessaire ou, à tout le moins, il doit y avoir des indices de témérité qui démontrent sa « légèreté blâmable ». Il peut en effet y avoir abus même si ce dernier est de bonne foi, lorsque la cause est vouée à l’échec. La témérité s’apprécie objectivement selon la norme de la personne prudente et raisonnable qui, dans les circonstances de l’espèce, aurait conclu à l’absence d’un fondement pour cette procédure[iii]. Les situations pouvant donner ouverture à un cas d’abus sous l’article 54.1 C.p.c. couvrent ce qui était prévu sous les anciens articles 75.1 et 75.2 C.p.c., tout en ayant une portée plus vaste que ces derniers. Une interprétation large et libérale de la notion d’abus semble justifiée afin de réaliser les objectifs fixés par la Loi, soit la protection de la liberté d’expression et la prévention de l’utilisation abusive des tribunaux, afin de favoriser l’accessibilité à la justice pour les citoyens[iv]. Il apparaît en effet, à la lecture du libellé de l’article 54.1 C.p.c., que le législateur a voulu doter les tribunaux de pouvoirs accrus afin que ces derniers soient efficacement outillés pour mettre un terme rapidement aux actions ou aux procédures abusives, ou encore pour mieux les contrôler[v].
Preuve et procédure
Un renversement du fardeau de la preuve en faveur de la partie qui s’estime victime d’un abus de procédure est prévu par le législateur (art. 54.2 C.p.c.). L’analyse du caractère abusif d’une procédure s’effectue en trois étapes. Dans un premier temps, la partie qui invoque l’abus doit établir sommairement, lors d’une audition à ce sujet, que la demande en justice ou l’acte de procédure peut constituer un abus au sens de l’article 54.1 C.p.c.[vi]. Traitant du fardeau de la preuve, le juge Kasirer, dans l’arrêt récent Acadia Subaru c. Michaud, a rappelé que le terme « sommairement » ne fait pas référence au niveau de preuve requis mais signifie plutôt que la démonstration peut être faite brièvement, promptement, c’est-à-dire sans les formalités de l’enquête et de l’audition au fond[vii]. Dans un deuxième temps, il incombera à la partie adverse de démontrer que « son geste n’est pas exercé de manière excessive ou déraisonnable et se justifie en droit. » (art. 54.2 C.p.c.). Dans un troisième temps, la partie demanderesse qui ne réussit pas à convaincre le tribunal pourra, à la discrétion de ce dernier, se voir imposer par le tribunal une des sanctions prévues aux articles 54.3 et suivants C.p.c. À titre d’illustration, dans Acadia Subaru c. Michaud., M. Michaud doit d’abord démontrer sommairement que l’action des appelants correspond à « un détournement des fins de la justice ». La Cour d’appel s’appuie a fortiori sur les motivations des appelants à entreprendre des procédures qui semblent abusives pour conclure que M. Michaud s’est déchargé de son fardeau. Ensuite, la Cour estime que les appelants ont échoué à faire la démonstration que leur geste n’est pas exercé de manière excessive ou déraisonnable et se justifie en droit[viii]. Toutefois, puisqu’ils ont prouvé que le recours est fondé en droit au sens de l’article 165 (4) C.p.c., la Cour ne peut rejeter l’action[ix]. C’est dans ces circonstances que les remèdes alternatifs au rejet de l’action, dont le législateur a doté les tribunaux avec les articles 54.3 et suivants C.p.c., prennent tout leur intérêt. Quelles sont les sanctions des abus de procédure, en demande et en défense, en première instance, que les tribunaux peuvent appliquer en vertu des dispositions 54.1 et suivantes C.p.c, et comment ces pouvoirs ont-ils été appliqués dans la jurisprudence ?
Sanctions
Le tribunal peut appliquer diverses sanctions lorsque la procédure « est » ou « paraît » abusive (art. 54.3 C.p.c.). La distinction entre les cas avérés d’abus et les cas où le tribunal croit qu’il peut y avoir abus est fondamentale puisque certaines sanctions ne peuvent être appliquées que dans les premiers cas. Par conséquent, nous étudierons dans un premier temps les sanctions procédurales lorsqu’il y a abus de procédure. La sanction du rejet total de l’acte de procédure déclaré abusif formera une analyse séparée de la sanction du rejet partiel. De même, les autres mesures permettant au tribunal de baliser la procédure en cas d’abus seront abordées dans un point distinct. Dans un second temps, nous traiterons des sanctions procédurales que le tribunal peut appliquer lorsqu’il y a ou paraît y avoir abus. Ce point sera suivi, dans un troisième temps, de l’examen des sanctions pécuniaires de l’abus de procédure. Dans un quatrième temps, le cas particulier du plaideur quérulent sera examiné. Enfin, dans un cinquième temps, la question de la responsabilité personnelle des administrateurs et des dirigeants sera étudiée.
1. Les sanctions procédurales dans les cas avérés d’abus de procédure
1.1 Le rejet de la demande en justice ou de l’acte de procédure déclaré abusif
Le rejet de la demande en justice ou de l’acte de procédure constitue la sanction la plus draconienne et doit par conséquent être réservée aux cas d’abus les plus extrêmes. La sanction du rejet implique de priver une partie de son droit d’être entendue. La Cour d’appel confirme que la jurisprudence relative aux anciens articles 75.1 et 75.2 C.p.c. demeure pertinente, en particulier la règle de prudence selon laquelle le rejet d’une procédure doit être fondé sur la conviction du tribunal qu’elle est manifestement mal fondée[x]. La Cour d’appel a par ailleurs fait un appel à la modération dans l’application des sanctions relatives aux articles 54.1 C.p.c. et suivants. Dans Cosoltec Inc. c. Structure Laferté[xi], elle se montre en désaccord avec la sanction du rejet des éléments de la défense et de la demande reconventionnelle, imposée par le juge de première instance. Cette sanction occasionnait en effet la création de deux recours judiciaires parallèles pour débattre des mêmes questions de fond. L’application de la sanction de rejet dans ce dossier provoquait une violation de la règle de proportionnalité (art. 4.2 C.p.c.). Selon le juge Rochon, dans les circonstances du dossier, « l’octroi à l’intimé de dommages-intérêts pour la compenser des coûts engendrés par la conduite abusive de l’appelante »[xii], est plus adéquat. Les coûts font ici référence aux honoraires extrajudiciaires (art. 54.4, al. 2 C.p.c.). Le principe de prudence développée par la jurisprudence doit être suivi avant de rejeter une action, en particulier lorsque le dossier en est à un stade préliminaire. En effet, si certaines procédures semblent a priori abusives, elles peuvent finalement se révéler justifiées en présence de preuves supplémentaires. C’est pourquoi le législateur a doté les tribunaux de remèdes additionnels pour lutter contre les abus de procédures[xiii]. En somme, il ressort de la jurisprudence de la Cour d’appel que la sanction doit toujours être proportionnelle à la gravité de l’abus et prendre en considération les circonstances propres au dossier[xiv].
1.2 Le rejet partiel d’une demande en justice ou d’un acte de procédure déclaré abusif
Outre le rejet de la demande ou de l’acte de procédure, le tribunal peut supprimer une conclusion ou en exiger la modification (art. 54.3, al. 1 C.p.c.). Ce cas de figure s’applique lorsque les réclamations du demandeur semblent raisonnables dans leur ensemble, mais présentent certains éléments abusifs. Le tribunal pourrait, par exemple, exiger la modification des conclusions afin de contraindre le demandeur à réduire le montant de ses réclamations, considéré abusif[xv]. La Cour supérieure a exercé ce pouvoir en matière familiale, dans P.M c. A.G[xvi]. Dans cette affaire, il s’agissait d’une demande reconventionnelle par laquelle la conjointe demandait un droit d’habitation de la maison familiale (qui était détenue en copropriété indivise par les deux conjoints) jusqu’à ce que le cadet de la famille ait fêté son 21e anniversaire. Cette demande a été déclarée abusive et la Cour en a exigé la suppression en vertu de l’article 54.3 C.p.c. Par ailleurs, dans Acadia Subaru c. Michaud[xvii], en raison des propos – jugés vexatoires et diffamatoires – tenus par un chroniqueur automobile connu (M. Pierre Michaud), quatre-vingt-treize concessionnaires automobiles ont intenté une action contre ce dernier, par laquelle elles lui réclamaient chacune le montant de 5 000 $ à titre de dommages-intérêts compensatoires et la somme de 5 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs, considérant l'atteinte illicite et intentionnelle à leur réputation que représentaient les propos tenus par ce chroniqueur. M. Michaud a produit une requête pour faire déclarer abusive la demande en justice porter contre lui (art. 54.1 C.p.c.). Il a demandé le rejet de l’action et, subsidiairement, la modification des conclusions afin de réduire le montant des réclamations porté contre lui (art. 54.3 al, 1 C.p.c.). La Cour du Québec a établi que la demande en justice était effectivement abusive ; elle a ordonné la modification des conclusions de cette demande « afin de limiter le montant des dommages-intérêts punitifs réclamés par chaque demanderesse à 200 $ »[xviii]. En outre, le juge de première instance avait rejeté la demande de M. Michaud pour un cautionnement pour frais de 65 000 $, en s’appuyant sur le fait que l’article 54.3 C.p.c. ne prévoit pas expressément cette sanction.
En juin dernier, la Cour d’appel a été saisie du pourvoi du jugement de la Cour du Québec. À l’unanimité, elle confirme la conclusion du premier juge à l’effet que la poursuite semble abusive selon l’article 54.2 C.p.c. Toutefois, elle considère que la réduction du montant des dommages punitifs réclamés n’était pas la sanction adéquate puisque les procédures n’en n’étaient qu’à un stade préliminaire et qu’à cette étape, bien que le montant exigé par la partie demanderesse puisse sembler démesuré, le tribunal ne disposait d’aucune preuve suffisante pour conclure qu’il était en effet excessif et voué à réduire M. Michaud au silence[xix]. La Cour d’appel estime qu’il est plus approprié de prescrire une condition qui soumet la poursuite des procédures par les appelants à la protection de M. Michaud (art. 54.3, al. 2 (1) C.p.c.). Selon le juge Kasirer, qui écrit au nom d’un banc unanime, le juge de première instance aurait dû ordonner le dépôt d’un cautionnement pour frais, même si ce remède n’est pas explicitement prévu par le législateur à l’article 54.3 C.p.c. :
The fact that security for costs is not explicitly mentioned among the remedies set forth in article 54.3 is not a bar to awarding them in the circumstances. Article 54.3, paragraph 2, (1) provides that the court may, if it considers it appropriate, subject the furtherance of the action to "certain conditions". It is true, as the appellants urge, that security for costs are generally awarded in a narrow set of circumstances, such as to ensure the reliable presence of a foreign plaintiff ready to pay costs before the court. This said, it seems most appropriate that security for costs be counted among the range of discretionary remedies available where there is an appearance of procedural impropriety[xx].
En confirmant que le cautionnement pour frais fait bien parti des sanctions pouvant être appliquées en cas d’abus de procédure, la Cour d’appel se trouve à affirmer que les sanctions prévues à l’article 54.3 C.p.c. ne sont pas exhaustives, ce qui rend ce jugement très significatif. Puisqu’elle fonde sa conclusion sur la discrétion dévolue au tribunal par le biais de l’article 54.3 al. 2 (1) C.p.c. qui lui permet d’assujettir la poursuite de l’acte de procédure à « certaines conditions » proportionnelles à l’abus, la créativité éventuelle des tribunaux dans l’imposition de conditions pour remédier aux abus de procédure est ainsi mis en relief[xxi].
1.3 Autres mesures balisant la procédure
Le tribunal peut, lorsqu’il y a abus, refuser un interrogatoire (art. 397 (4); 398 (3) C.p.c.) ou y mettre fin (art. 396. 4 C.p.c). La Cour du Québec, dans Parsons c. Communimed Inc.[xxii], a usé de son pouvoir de mettre fin à un interrogatoire (art. 396.4 C.p.c). Par ailleurs, le tribunal peut, à sa discrétion, annuler le bref d’assignation d’un témoin, lorsqu’il y a abus (art. 54.3 C.p.c.). La partie qui souhaite produire des témoins peut les assigner au moyen d’un bref de subpoena (art. 280 C.p.c.). L’annulation d’un bref d’assignation d’un témoin a donc pour effet de priver la partie qui intente l’acte abusif de la production d’une preuve testimoniale complète. Avant l’adoption des articles 54.1 et suivants C.p.c., la jurisprudence s’appuyait sur les articles 20 et 46 C.p.c. pour annuler un bref d’assignation d’un témoin[xxiii]. Étudions maintenant les mesures pouvant être appliquées par le tribunal s’il ne rejette pas immédiatement la demande en justice, soit dans les cas où il estime que l’abus n’est pas suffisamment grave pour justifier le rejet de la demande, ou encore s’il paraît y avoir abus sans que cela ne puisse être confirmé (art. 54.3, al. 2 C.p.c.).
2. Les sanctions procédurales lorsqu’il y a ou « paraît » y avoir abus
2.1 Conditions
Le tribunal peut « assujettir la poursuite de la demande en justice ou l’acte de procédure à certaines conditions. » (art. 54.3, al. 2 (1) C.p.c.). Cette mesure renvoie plus particulièrement à la possibilité qu’a le tribunal d’imposer au demandeur qu’un cautionnement pour frais soit déposé au greffe de la Cour, de façon analogue à ce que permet les articles 65 et 152 C.p.c. dans le contexte d’un demandeur non résident du Québec, pour garantir les dommages éventuels[xxiv]. Il peut ordonner que la cause ne puisse être inscrite pour enquête et audition tant que ce dernier n’a pas été versé. Dans Big Boom Entertainment Québec inc. c. Astral Media Radio inc.[xxv], la Cour supérieure a accueilli la requête de la partie défenderesse (Astral) en cautionnement pour frais fondée sur les articles 54.1 et suivants C.p.c.. Ainsi, la partie demanderesse (Big Boom) doit déposer à titre de cautionnement pour frais au greffe de la Cour la somme de 8000 $ dans les quinze jours du jugement, à défaut de quoi l’action intentée par Big Boom sera rejetée. Par ailleurs, comme nous l’avons précédemment souligné, la Cour d’appel a confirmé à l’unanimité, dans l’affaire Acadia Subaru c. Michaud, que l’ordonnance de cautionnement pour garantir le paiement d’une condamnation éventuelle aux débours et honoraires extrajudiciaires fait bien partie des sanctions pouvant être appliquées dans les cas d’abus ou lorsqu’il y a apparence d’abus de procédure, bien qu’il ne soit pas expressément prévu par le législateur à l’article 54.3 C.p.c.
2.2 Engagements
Le tribunal peut « requérir des engagements de la partie concernée quant à la bonne marche de l’instance. » (art. 54.3, al. 2 (2) C.p.c.). Dans ce cas, le juge propose aux procureurs des parties un délai pour prendre des engagements afin de limiter les effets d’une utilisation déraisonnable des ressources judiciaires. Par exemple, le juge peut leur demander de s’entendre pour limiter le nombre de témoins experts qui seront entendus, ou encore la durée des interrogatoires. Cela peut se faire à tout moment durant l’instance. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre, le juge prononcera une ordonnance. La Cour d’appel[xxvi] a rappelé l’importance d’agir avec prudence. Elle a par conséquent refusé d’appliquer la sanction du rejet de la procédure et a plutôt choisi d’appliquer les mesures alternatives prévues aux articles 54.3, al. 2 (2) et 54. 4 C.p.c.[xxvii]. En résumé, une mesure alternative moins extrême que le rejet de la procédure peut se révéler plus appropriée afin de mieux servir les fins de la justice[xxviii].
2.3 Suspension de l’instance
En outre, le tribunal peut « suspendre l’instance pour une période qu’il détermine. » (art. 54.3, al. 2 (3) C.p.c.). Cette mesure s’applique notamment lorsqu’une affaire très similaire au dossier en première instance est pendante en appel. Afin d’éviter des jugements contradictoires et d’économiser les ressources judiciaires, le tribunal peut suspendre l’instance jusqu’à ce que le jugement soit rendu en appel.
2.4 Gestion particulière de l’instance
Le tribunal peut recommander au juge en chef d’ordonner une gestion particulière de l’instance (art. 54.3, al. 2 (4) C.p.c.). Ce pouvoir s’inscrit dans la logique des articles 151.11 à 151.13 C.p.c. Ces dispositions prévoient que le juge en chef désigne un juge responsable de la gestion particulière de l’instance. Ce dernier convoque les parties et leurs procureurs à une conférence de gestion qui vise à négocier une entente sur le déroulement de l’instance. Si les parties ne s’entendent pas, le juge fixe le calendrier des échéances[xxix]. Ce pouvoir a été utilisé assez fréquemment par les tribunaux dans le contexte d’abus de procédure ; il correspond au principe de proportionnalité (art. 4.2 C.p.c.). Par exemple, dans Grill Newman inc. c. Demers, Beaulne, le juge en chef ordonne à deux reprises des gestions particulières de l’instance, afin que les demandeurs simplifient leurs requêtes introductives d’instance. Ces derniers ne se conforment pas aux directives de la Cour ; « ils ont même ajouté de nouveaux allégués et de nouvelles pièces. » [xxx] Considérant l’importance de l’abus de procédure, la Cour rejette finalement l’action.
2.5 Provision pour frais
Une partie plus favorisée économiquement que son adversaire pourrait se trouver dans l’obligation de lui verser une somme d’argent, dans le cadre d’une procédure souvent très onéreuse (art 54.3, al. 2 (5) C.p.c.). En matière de litiges familiaux, la provision pour frais de l’instance est courante. (Voir les articles 502 et 588 C.c.Q.). À cette exception près, il s’agit d’une mesure exceptionnelle relevant des pouvoirs discrétionnaires des tribunaux[xxxi]. En fait, l’article 53.4, al. 2 (5) C.p.c. se trouve à codifier le principe reconnu par la Cour d’appel dans l’arrêt Hétu et qui s’appuyait sur l’article 46 C.p.c.[xxxii]. L’article 54.3, al. 2 (5) C.p.c. précise les conditions qui y donnent ouverture. Il doit y avoir, ou paraître y avoir abus. Les circonstances propres au dossier doivent le justifier et le tribunal doit constater que sans la provision pour les frais de l'instance, la partie défenderesse risquerait de se retrouver dans une situation économique telle qu'elle ne pourrait faire valoir son point de vue valablement[xxxiii]. Ces critères sont exigeants. La Cour d’appel, dans Eden Palace Inc. c. Dinard, rejette en appel la condamnation au versement d’une provision pour frais, concluant que « la preuve administrée relativement au second critère du paragraphe 5 du second alinéa de l'article 54.3 C.p.c. n'était pas suffisante pour permettre à la juge d'accorder le remède de l'octroi d'une provision pour frais.» [xxxiv]. En outre, l’affaire célèbre Barrick Gold Corporation c. Les Éditions Écosociétés offre un exemple où les critères de l’octroi d’une provision pour frais sont remplis.
En avril 2008, à la suite de la publication du livre Noir Canada- Pillage, corruption et criminalité en Afrique[xxxv], Barrick Gold Corporation a intenté des procédures en diffamation. La demanderesse réclame notamment 5 000 000 $ en dommages intérêts moraux et compensatoires. Le procès doit débuter en septembre 2011. En décembre dernier, Les Éditions Écosociétés ont déposé à la Cour supérieure une requête en rejet de cette requête introductive d’instance fondée sur les articles 54.1 et suivants C.p.c. Subsidiairement au rejet, la requête demande la modification des conclusions de la demanderesse (art. 54.3, al. 1 C.pc.) ; elle demande, entre autres, que la limite des dommages-intérêts moraux et compensatoires soient fixée à 25 000 $[xxxvi]. Le 12 août dernier, la Cour supérieure conclut que l’action intentée par Barrick Gold Corporation semble à la fois sérieuse et démesurée :
[…] Barrick sait que les défendeurs ne disposent pas de la capacité financière, d’une part de mener un procès de quarante jours, et d’autre part, d’honorer, le cas échéant, une condamnation de 6 millions $. Elle connaît cette situation au point d’offrir un ajournement pour permettre aux auteurs d’envisager de se préparer financièrement à se défendre, notamment par le recours à l’aide juridique…[xxxvii]
Dans le contexte d’une action en apparence abusive, le tribunal estime que rejet de l’action n’est pas la sanction adéquate :
Le Tribunal ne peut ici remédier à l'apparence d'abus procédural par le rejet de l'action, car devant la gravité des imputations de Noir Canada (comme par exemple, la participation de Barrick à un homicide massif, ou encore son soutien à des groupes armés), les auteurs n'offrent à première vue pour seule défense, au demeurant peu convaincante, que la rhétorique de l'allégation[xxxviii].
À cet effet, il souligne la conclusion du juge Kasirer dans Acadia Subaru c. Michaud : « Les indices d’un abus procédural sont présents, mais insuffisants pour justifier de mettre fins aux procédures. » [xxxix] Dans ces circonstances, la Cour supérieure ordonne le versement d’une provision pour frais de l’instance de 143 190, 96 $, ce qui correspond à la moitié des honoraires extrajudiciaires ainsi qu’aux débours anticipés[xl].
En résumé, l’article 54.3 C.p.c. offre des alternatives au rejet pur et simple de l’acte de procédure qui, puisqu’il constitue la sanction ultime, n’est pas toujours adéquat. Ces mesures variées sont conçues pour être appliquées selon différents niveaux de gravité de l’abus de procédure. De surcroît, certains de ces instruments peuvent être utilisés par le tribunal même si ce dernier n’est pas convaincu qu’il s’agit d’un cas d’abus. Il s’agit d’innovations intéressantes par rapport aux anciens articles 75.1 et 75.2 C.p.c. Nous allons maintenant traiter des possibilités de sanctionner pécuniairement l’abus de procédure.
3. Les sanctions pécuniaires de l’abus de procédure
Le tribunal peut ordonner le remboursement de la provision pour frais (art. 54. 3 (5) C.p.c.) si le jugement ne constate pas, en définitive, l’abus antérieurement apparent (art. 54.4 C.p.c.). Il s’agit de la codification du principe reconnu par la Cour d’appel dans l’arrêt Hétu. Ultimement, cette sanction est théorique puisque la partie qui a obtenu une provision pour frais était dans une situation économique qui ne lui permettait pas de défendre ses droits sans ladite provision. Il est clair que cette partie n’aurait pas les moyens de la rembourser après le procès[xli].
Par ailleurs, le tribunal peut condamner une partie à payer, outre les dépens (art. 477 C.p.c), des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi, notamment pour compenser les honoraires et débours extrajudiciaires engagés[xlii]. Cette sanction renvoie aux principes généraux de la responsabilité civile (faute, dommage, lien de causalité). Par conséquent, une demande en justice manifestement mal fondée peut être déclarée abusive en vertu de l’article 54.1 C.p.c. sans qu’il n’y ait lieu de rembourser les frais d’avocats de la partie victime de l’abus en vertu de l’article 54.4 C.p.c.[xliii]. Cette mesure n’est pas de droit nouveau. En effet, en rejetant une procédure frivole ou manifestement mal fondée sous l’ancien article 75.1 C.p.c., les tribunaux pouvaient, sur demande et à leur discrétion, la déclarer abusive ou dilatoire et condamner l’auteur de l’abus à payer des dommages-intérêts à la victime pour réparer le préjudice (art. 75.2 C.p.c abrogé), selon les paramètres définis par la Cour d’appel dans l’arrêt Viel et l’arrêt Royal Lepage[xliv]. Selon ces arrêts, le remboursement des honoraires extrajudiciaires est possible lorsque la partie a agi de mauvaise foi dans la poursuite des procédures ou a abusé de son droit d’ester en justice[xlv]. La jurisprudence récente est unanime à l’effet que ces paramètres sont toujours applicables dans le cadre de l’article 54.4 C.p.c.
Ce qui constitue une innovation, c’est la possibilité, si les circonstances le justifient, d’attribuer des dommages-intérêts punitifs[xlvi]. Ils visent à dissuader une partie d’invoquer une procédure qu’elle sait abusive ; il s’agit d’une mesure exemplaire, qui vise à punir et à prévenir toute récidive. Contrairement aux dommages-intérêts compensatoires, ils ne peuvent être accordés que lorsque la loi le prévoit (article 1621 C.c.Q.), ce qui est le cas en l’espèce[xlvii]. La Cour d’appel rappelle l’importance de respecter les critères de l’article 1621, al. 2 C.c.Q. dans l’appréciation des dommages-intérêts punitifs[xlviii]. Ces derniers ne doivent en aucun cas être excessifs[xlix]. Finalement, il s’agit d’une sanction exceptionnelle qui « doit être réservée aux situations présentant les cas d’abus les plus patents, les plus manifestes, les plus intolérables. »[l]. En effet, la jurisprudence sous l’article 54.4 C.p.c. réserve l’octroi de dommages-intérêts punitifs aux cas les plus outrageants d’abus[li]. Par exemple, dans Tannenbaum c. Lazare, la Cour supérieure a déclaré le demandeur quérulent (selon l’article 54.5 C.p.c.) et l’a condamné, en plus du remboursement des frais extrajudiciaires, à payer des dommages-intérêts punitifs de l’ordre de 50 000 $. En l’espèce, la Cour a jugé que le demandeur avait attaqué machiavéliquement la réputation des défendeurs (deux avocats) en faisant porter délibérément contre eux une fausse accusation de fraude[lii].
4. Les plaideurs quérulents
Il est simple de comprendre en quoi la quérulence déstabilise le système judiciaire en observant comment le juge Tessier décrit M. Nidal Joad, bien connu comme plaideur quérulent :
Toute personne qui ose le contrecarrer devient un adversaire qu’il cherche à intimider et à écarter, puisqu’il a toujours raison. […] Il ne se soucie pas des conséquences de sa conduite en milieu judiciaire, face aux autres parties et aux autres justiciables. […] Les causes ne prendront fin que lorsqu’il obtiendra un jugement favorable. Il s’offre une tribune en salle d’audience pour ventiler ses frustrations et déceptions en assignant ses défendeurs devant un tribunal qu’il tentera de répudier à la moindre contrariété mais qu’il veut néanmoins utiliser pour arriver à ses fins[liii].
Plus précisément, la jurisprudence[liv] relève certains critères permettant aux tribunaux d’affirmer qu’ils sont en présence d’un plaideur quérulent :
· Le plaideur quérulent fait souvent montre d'opiniâtreté et de narcissisme;
· Il se manifeste plus souvent en demande qu'en défense;
· Il multiplie les recours vexatoires;
· Il réitère souvent les mêmes questions;
· Ses arguments de droit se signalent par leur inventivité et leur incongruité;
· L'échec subi par le plaideur quérulent ne constitue pas nécessairement pour lui un obstacle puisque à plus ou moins long terme, il est incapable de payer les dépens;
· La plupart du temps les jugements sont portés en appel ou font l'objet de demande de révision ou de rétractation;
· Souvent, le plaideur quérulent se représente seul;
· Souvent, les procédures du plaideur quérulent sont truffées d'insultes et d'injures;
· Le plaideur quérulent fait l'affirmation que des témoins vont venir contredire les parjures et faux-témoignages qui ont été faits lors d'instances précédentes mais ces témoins ne sont jamais présents lorsque c'est le temps. Il fait l'affirmation gratuite constante que des gens viendront témoigner[lv].
Avant l’adoption de l’article 54.5 C.p.c., les tribunaux pouvaient, en application de l’article 46 C.p.c. et dans l’exercice de leurs pouvoirs inhérents, rendre une ordonnance pour faire déclarer un plaideur quérulent. Le Règlement de procédure civile de la Cour supérieure[lvi] permettaient à celle-ci de déclarer une personne quérulente et de faire en sorte que son droit d’ester en justice soit interdit à moins d’une autorisation préalable[lvii]. Or, une requête pour faire déclarer une partie quérulente implique des efforts et des coûts considérables, ce qui explique que le défendeur qui subit la quérulence de la partie adverse hésite à le faire déclarer ainsi. S’il échoue à faire déclarer la partie quérulente, il peut craindre que ce dernier redouble d’agressivité dans d’éventuelles procédures, notamment en diffamation. Cette réalité, doublée du fait que les plaideurs quérulents sont un phénomène imposant en nombre, explique la pertinence de l’article 54.5 C.p.c. En effet, désormais, le tribunal peut d’office déclarer un plaideur quérulent en vertu de cette disposition[lviii]. Ce pouvoir a été appliqué par la Cour supérieure dans l’affaire Bérubé c. Loto-Québec[lix] où la demanderesse avait déjà intenté dix actions en justice sur les mêmes motifs. Il s’agissait d’une joueuse pathologique qui attribuait « tous ses malheurs à l’illégalité des actions de la défenderesse »[lx]. La demanderesse a toutefois formé un appel contre le jugement de la Cour supérieure la déclarant plaideuse quérulente[lxi]. Dans l’affaire Pogan c. Benaroche[lxii], le demandeur a été qualifié de « plaideur quérulent », en plus de se voir appliquer la sanction la plus draconienne, soit le rejet de sa requête (art. 54.3 C.p.c.). Le demandeur, qui agissait seul devant les tribunaux, désirait à tout prix faire triompher sa thèse et multipliait ainsi les recours, inutilement[lxiii].
La gravité de la faute de l’auteur d’une procédure abusive est souvent accentuée dans le cas d’un plaideur quérulent. Lorsque la Cour confirme la quérulence d’une partie, elle ordonne habituellement le remboursement des frais extrajudiciaires et parfois même, des dommages-intérêts punitifs, comme dans l’affaire Tannebaum c. Lazare[lxiv], mentionné ci-haut. Autre exemple plus récent, subséquemment au divorce Mme M. et M. N., M. N. introduit un grand nombre de procédures et se fait déclarer quérulent dans plusieurs jugements. Il continue néanmoins de multiplier le dépôt de procédures. Afin de le dissuader, la Cour supérieure le condamne, dans Droit de la famille — 111955[lxv], à payer des dommages punitifs. Analysons maintenant la mesure particulière que le législateur a prévue lorsque l’abus de procédure implique une personne morale.
5. La responsabilité personnelle des dirigeants et des administrateurs
En vertu de l’article 54.6 C.p.c., lorsqu’un abus de procédure engage la responsabilité d’une personne morale, les administrateurs ou les dirigeants de celle-ci peuvent être condamnés personnellement au paiement des dommages-intérêts. Ces derniers doivent avoir participé à la décision d’intenter l’acte de procédure déclaré abusif. Le dirigeant ou l’administrateur condamné au paiement de dommages-intérêts est responsable solidairement avec la personne morale, selon l’article 1526 C.c.Q. Dans Immeubles France Lévesque inc. c. Martin, la Cour supérieure, après avoir déclaré que la demande d’injonction déposée par la demanderesse était abusive selon 54.1 C.p.c., condamne cette dernière au paiement des débours et honoraires extrajudiciaires du procureur de la défenderesse (soit la somme de 2 424,93 $), puis elle se penche sur la question de la participation du représentant de la compagnie. La Cour affirme que ce dernier a agi « en tout temps pour le bénéfice de la demanderesse. S’applique donc, quant à lui, l’art. 54.6. » [lxvi]. La participation du représentant de la compagnie à la décision d’instituer la procédure découle de la signature qu’il a apposée au soutien de la requête. La Cour a condamné solidairement ce représentant avec la compagnie au paiement de 2425 $[lxvii]. La Cour du Québec, dans G.B. Démolition inc. c. Caron Construction inc. et Northspec Chemicals Corp. c. Chemor inc., a affirmé que la signification des procédures à l’administrateur et au dirigeant confirme hors de tout doute leur participation dans la décision d’intenter la procédure déclarée abusive. Toutefois, pour que les administrateurs soient personnellement condamnés, encore faut-il que ces derniers aient été avisés des conclusions recherchées contre eux[lxviii].
Il importe en effet d’analyser l’article 54.6 C.p.c. sous l’angle du droit procédural fondamental des administrateurs d’être entendus avant d’être condamnés. La règle audi alteram patern, consacrée par le législateur à l’article 5 C.p.c.[lxix], est un des principes des plus fondamentaux dans notre système de justice. Il s’agit d’« un principe fondamental basé sur l’équité naturelle et dont l’inobservance détruit la juridiction du tribunal en entraîne la nullité de toutes les procédures subséquentes, y compris le jugement »[lxx]. Dans l’arrêt Northspec Chemicals Corp, la Cour du Québec souligne : « puisque ce principe constitue l'élément le plus fondamental dans notre système judiciaire, une déclaration expresse du législateur aurait été nécessaire pour mettre de côté cette exigence primordiale. […] Une telle déclaration n’est pas contenue à l’article 54.6 C.p.c. »[lxxi]. Ainsi, l’article 54.6 C.p.c. qui permet la condamnation personnelle des dirigeants ou des administrateurs d’une personne morale n’écarte pas la portée de l’article 5 C.p.c. De surcroît, le législateur, à l’article 54.1 C.p.c., mentionne expressément que le pouvoir du tribunal de déclarer un acte de procédure abusif et d’appliquer une sanction contre la partie qui en est l’auteur doit s’effectuer « après avoir entendu les parties sur le point »[lxxii]. La jurisprudence confirme que les administrateurs concernés par la mesure prévue à l’article 54.6 C.p.c. jouissent du droit fondamental « de recevoir une signification conforme des actes de procédures entrepris contre eux. »[lxxiii]. En somme, le corpus jurisprudentiel est encore bien mince concernant l’article 54.6 C.p.c. Il sera intéressant de voir si la Cour estimera que cette disposition trouve application dans la suite de l’affaire Barrick Gold Corporation c. Les Éditions Écosociété inc[lxxiv].
Conclusion
À la lumière de ce qui précède, il apparaît que le législateur a voulu, par le biais des articles 54.1 et suivants C.p.c., doter les tribunaux d’outils efficaces pour prévenir l’abus de procédure en général, et non seulement afin d’endiguer les « poursuites-baîllons », soit le phénomène à l’origine du projet de Loi n° 9. Les nouvelles dispositions fournissent des alternatives au rejet pur et simple de l’acte de procédure abusif ; il s’agit d’une innovation par rapport aux anciens articles 75.1 et 75.2 C.p.c., laquelle est particulièrement bienvenue. En effet, puisque la Cour d’appel rappelle que la jurisprudence qui avait cours sous l’article 75.1 C.p.c. demeure pertinente dans le contexte des nouveaux articles – en particulier la norme de prudence à l’égard de la sanction de rejet –, il s’avère d’autant plus pertinent que les tribunaux aient à leur portée des mesures moins draconiennes pour prévenir l’abus et encadrer les procédures, dans l’esprit des articles 4.1 et 4.2 C.p.c. Quant aux sanctions pécuniaires, la jurisprudence est unanime à l’effet que le remboursement des frais extrajudiciaires répond aux mêmes paramètres que ceux qui avaient été définis dans l’arrêt Viel et puis précisés dans l’arrêt Royal Lepage. La nouveauté consiste en la possibilité d’octroyer des dommages-intérêts punitifs, à titre de mesure exemplaire, pour les cas les plus patents d’abus de procédure. Autre innovation, la possibilité de condamner personnellement les dirigeants ou les administrateurs d’une personne morale aux dommages-intérêts, lorsque ceux-ci ont participé à la décision d’introduire l’acte de procédure déclaré abusif. Au final, il ressort de la jurisprudence relative aux nouvelles dispositions que la sanction appliquée à un acte de procédure déclaré abusif au sens de l’article 54.1 C.p.c. doit toujours être proportionnelle à l’abus.
[i] Il s’agit de « poursuites stratégiques intentées par des entreprises ou des institutions contre des groupes de pression ou des individus qui dénoncent publiquement leurs activités, et ce, dans le but de les intimider et de les faire taire. » Gabrielle Ferland-Gagnon et Lucie Lemonde, « Les étapes de la mobilisation citoyenne et de l’adoption de la loi contre les poursuites-baîllons », (2010) 51 C. de D. 197.
[ii] En 2007, un comité d’experts chargé d’étudier la problématique avait en effet déposé le rapport Macdonald, lequel concluait à la nécessité d’une intervention législative pour contenir le phénomène. QUÉBEC, MINISTÈRE DE LA JUSTICE, Les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique – les poursuites-baîllons (SLAPP), rapport du Comité au ministre de la Justice par Roderick A. Macdonald (président), Pierre Noreau et Daniel Jutras, Montréal, 15 mars 2007, note 3, p. 76 [En ligne], [www.justice.gouv.qc.ca/Français/publications/rapports/pdf/slapp.pdf] (13 février 2011)
[iii] Il s’agit de l’interprétation donnée par le juge Rochon dans l’affaire Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée, [2002] R.J.Q. 1262 (C.A.), précisée par le juge Dalphond dans Royal Lepage Commercial inc. c. 109650 Canada Ltd., 2007 QCCA 915. La Cour d’appel a confirmé que ces paramètres sont toujours valides dans le cadre des articles 54.1 et suivants C.p.c. : Aliments Breton (Canada) inc. c. Bal Global Finance Canada Corporation, 2010 QCCA 1369 ; Clinique Ovo inc. c. Curalab, 2010 QCCA 1214 ; Coopérative d'habitation «La Porte du bourg» c. Cosoltec inc., 2010 QCCA 2178 ; Cosoltec inc. c. Structure Laferté inc, 2010 QCCA 1600., Acadia Subaru c. Michaud., 2011 QCCA 1037.
[iv] Marc-Alexandre HUDON et François PÉRODEAU, « La prévention de l’utilisation abusive des tribunaux (art. 54.1 et s. du Code de procédure civile) », dans Développements récents et tendances en procédure civile, 2010, Service de la formation continue du Barreau du Québec, Droit civil en ligne (DCL), EYB2010DEV1665.
[v] P. TESSIER et M. DUPUIS, « La preuve avant procès dans Preuve et procédure civile », dans Collection de droit, 2010, Droit civil en ligne (DCL), EYB2010CDD17.
[vi] Elle n’a pas à démontrer que la demande ou l’acte est abusif, mais plutôt seulement qu’elle peut l’être. Charles BELLEAU« Les règles générales de la procédure civile québécoise et le déroulement de la demande en justice en première instance – Les principes d’interprétation, les concepts généraux et les règles fondamentales », dans Collection de droit, 2010, Droit civil en ligne (DCL), EYB2010CDD1.
[vii] Acadia Subaru c. Michaud., préc., note 4, par. 67.
[viii] Id., par. 91-93.
[ix] Acadia Subaru c. Michaud., préc. note 4. par. 90-91; C. DESCHÊNES, « Commentaire sur la décision Acadia Subaru c. Michaud- La Cour d’appel du Québec précise l’application des articles 54.1 et suivants du Code de procédure civile. », 2011 [En ligne] http://www.nortonrose.com/knowledge/publications/54093/commentaire-sur-la-decision-acadia-subaru-c-michaud--la-cour-dappel-du-quebec-precise-lapplication-des-articles-541-et-suivants-du-code-de-procedure-civile (6 septembre 2011)
[x] Aliments Breton (Canada) inc. c. Bal Global Finance Canada Corporation, préc., note 4 ; Clinique Ovo inc. c. Curalab,préc., note 4 ; Coopérative d'habitation «La Porte du bourg» c. Cosoltec inc.,préc., note 4; Cosoltec inc. c. Structure Laferté inc, préc., note 4. ; Acadia Subaru c. Michaud, préc., note 4.
[xi] Cosoltec inc. c. Structure Laferté inc, préc., note 4.
[xii] Cosoltec inc. c. Structure Laferté inc, préc., note 4, par. 79.
[xiii] Acadia Subaru c. Michaud, préc., note 4.
[xiv]Aliments Breton (Canada) inc. c. Bal Global Finance Canada Corporation, préc., note 4; Clinique Ovo inc. c. Curalab, préc., note 4; Coopérative d'habitation «La Porte du bourg» c. Cosoltec inc., préc., note 4 ; Cosoltec inc. c. Structure Laferté inc, préc., note 4 ; Acadia Subaru c. Michaud, Id.
[xv] Marc-Alexandre HUDON et François PÉRODEAU, préc., note 5, p. 27.
[xvi] P.M. c. A.G., 2010 QCCS 246.
[xvii] Acadia Subaru c. Michaud, 2009 QCCA 14458.
[xviii] Acadia Subaru c. Michaud, Id., par. 85.
[xix] Acadia Subaru c. Michaud., 2011, préc., note 4, par 36-38.
[xx] Acadia Subaru c. Michaud, 2011 QCCA 1037, par. 99.
[xxi] C. DESCHÊNES. « Commentaire sur la décision Acadia Subaru c. Michaud- La Cour d’appel du Québec précise l’application des articles 54.1 et suivants du Code de procédure civile. », 2011 [En ligne] http://www.nortonrose.com/knowledge/publications/54093/commentaire-sur-la-decision-acadia-subaru-c-michaud--la-cour-dappel-du-quebec-precise-lapplication-des-articles-541-et-suivants-du-code-de-procedure-civile (6 septembre 2011)
[xxii] Parsons c. Communimed inc., J.E. 2005-1042.
[xxiii] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Montréal (Ville de) (Service de la police de la Ville de Montréal) (SPVM), 2009 QCTDP 20.
[xxiv] Charles BELLEAU, préc., note 7., p. 20.
[xxv] Big Boom Entertainment Québec inc. c. Astral Media Radio inc., 2011 QCCS 1230. Voir aussi, par exemple, Walker Nappert (Succession de), 2009 QCCS 4784 ; Dans cette requête en prolongation de délais, la Cour a ordonné un cautionnement pour garantir les dommages qui pouvaient éventuellement découler de la poursuite, si cette dernière se révélait abusive.
[xxvi] Coopérative d’habitation « la porte du bourg » c. Cosoltec, préc. note 4.
[xxvii] Coopérative d’habitation « la porte du bourg » c. Cosoltec, Id., par. 4
[xxviii] Hélène MAILLETTE, « Du pouvoir de sanctionner les abus de la procédure », dans JurisClasseur Québec, coll.
« Procédure civile I », Pouvoirs des juges et des tribunaux, fasc. 3, St-Pierre, LexisNexis Canada, feuilles mobiles, par. 4.
[xxix] Denis Ferland et Benoît Emery, (dir.), Précis de procédure civile, 4e éd., vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003. p. 291.
[xxx] Grill Newman inc. c. Demers, Beaulne s.e.n.c, 2009 QCCS 5827, par. 24.
[xxxi] Charles BELLEAU, préc., note 7, p. 22.
[xxxii]Hétu c. Notre-Dame-de-Lourdes (Municipalité de), [2005] R.J.Q. 443 (C.A.), par. 40. Cosoltec inc. c. Structure Laferté inc., 2010 QCCA 1600 ; Barrick Gold Corporation c. Les Éditions Écosociétés, 2011 QCCS 4232, par. 39.
[xxxiii] QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats. Commission permanente des institutions, 1ère sess., 39e légis., 26 mai 2009, « Étude détaillée du projet de loi n°9 – Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics », p. 20. (Mme Weil)
[xxxiv] Eden Palace inc. c. Dinard, 2010 QCCA 2015, par. 4.
[xxxv] L’ouvrage recense des abus qui auraient été commis par des sociétés minières canadiennes (dont Barrick Gold Corporation) dans le cadre de leurs activités en Afrique. Alain Denault, Noir Canada – Pillage, corruption et criminalité en Afrique, Montréal, Les Éditions Écosociétés Inc., 2008.
[xxxvi] Barrick Gold Corporation c. Les Éditions Écosociété Inc., C.S. Montréal (Chambre civile), n° 500-17-042671-084, 6 décembre 2010.
[xxxvii] Barrick Gold Corporation c. Les Éditions Écosociété Inc., 2011 QCCS 4232, par. 29.
[xxxviii] Barrick Gold Corporation c. Les Éditions Écosociété Inc., Id., par. 31.
[xxxix] « The signs of impropriety are present but not substancial enough to justify putting a end to the proceedings » : Acadia Subaru c. Michaud, préc., note 4. ; Barrick Gold Corporation c. Les Éditions Écosociétés Inc., préc., note 38, par. 30.
[xl] Barrick Gold Corporation c. Les Éditions Écosociété Inc., Id., par. 40.
[xli] ASSOCIATION DU JEUNE BAREAU DE MONTRÉAL, Mémoire sur le Projet de loi n°99, 2008, [En ligne] [http://www.ajbm.qc.ca/fr/presse/memoire-sur-le-projet-de-loi-no-99-54] (12 février 2011)
[xlii] Charles BELLEAU, préc., note 7., p. 22
[xliii] Stephane LAPIERRE et Raphaël LESCOP, « Code de procédure civil : Combattre l’abus », Fasken et Martineau, 2011 ; St-Onge c. Reeves, 2009 QCCS 4895, par. 53; Geysens c. Julien, 2009 QCCQ 10013, par. 30-37.
[xliv] Denis Ferland et Benoît Emery, (dir.), préc., note 30, p. 207-208; Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée., préc., note 4; Royal Lepage Commercial inc. c. 109650 Canada Ltd., préc., note 4.
[xlv] Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée., Id ; Royal Lepage Commercial inc. c. 109650 Canada Ltd., Id. ; Catherine PILON, « Commentaire sur le projet de loi 99 intitulé Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics – La « lutte » aux poursuites-baîllons », dans Repères, 2009, Droit civil en ligne (DCL), EYB2009REP790, p. 38.
[xlvi] La Cour d’appel avait en effet clairement reconnu que l’ancien article 75.2 C.p.c. ne donnait pas ouverture à des dommages-intérêts punitifs. (Denis Ferland et Benoît Emery, (dir.), préc., note 30, p. 208)
[xlvii] Charles BELLEAU, préc., note 7, p. 23 note 66.
[xlviii] Cosoltec inc. c. Structure Laferté inc., préc., note 4. Il est à noter qu’en général, les dommages-intérêts punitifs sont joints à une condamnation au remboursement des frais légaux. (Stephane LAPIERRE et Raphaël LESCOP, préc. note 33.)
[xlix] Cosoltec inc. c. Structure Laferté inc. préc., note 4 ; Marc-Alexandre HUDON et François PÉRODEAU, préc., note 5, p. 27.
[l] Tannenbaum c. Lazare, 2009 QCCS 5072, inscription en appel, C.A., 24-11-2009, 500-09-020159-091) ; Marc-Alexandre HUDON et François PÉRODEAU, préc., note 5, p. 32.
[li] Cosoltec inc. c. Structure Laferté inc., préc., note 4, par. 56, note 2.
[lii] Tannebaum c. Lazare, préc., note 51 ; Marc-Alexandre HUDON et François PÉRODEAU, préc., note 5, p. 32-33
[liii] Joad c. Journal La Voix, 2008 QCCS 1560, par. 225.
[liv] Voir, entre autres : Groupe Boudreau Richard inc. c. H.E., 2011 QCCS 2887 TransAmerica Life Canada c. Lemieux 2009 QCCS 5511., Laferrière c. Laferrière 20009-007045-104 (C.A.)., Salvas c. Bourgault, 2006 QCCS 4163., Barreau du Québec c. Srougi, 2007 QCCS 685.
[lv] Groupe Boudreau Richard inc. c. H.E., Id., par. 39.
[lvi] Règlement de procédure civile de la Cour supérieure (district de Québec), (2001) G.O. II, 6017, art. 84-90.
[lvii] Marc-Alexandre HUDON et François PÉRODEAU, préc., note 5, p. 32-33.
[lviii] Maria DE MICHELE, « Seul devant la cour », Congrès du Barreau du Québec, 2010, p. 24, [En ligne], [http://biblio.caij.qc.ca/pdf/CDB10_DeMichelle_10.pdf] (16 février 2011)
[lix] Bérubé c. Loto-Québec (Société des loteries du Québec), 2010 QCCS 3231.
[lx] Marc-Alexandre HUDON et François PÉRODEAU, préc., note 5, p. 37.
[lxi] Bérubé c. Loto-Québec, 2011 QCCA 29.
[lxii] Pogan c. Bernaroche, 2010 QCCA 621
[lxiii] Maria DE MICHELE, préc., note 59, p. 24.
[lxiv] Tannebaum c. Lazare, préc., note 51, par. 95-96.
[lxv] Droit de la famille — 111955, 2011 QCCS 3386
[lxvi] Immeubles France Lévesque inc. c. Martin, 2010 QCCS 1805, par. 36
[lxvii] Stephane LAPIERRE et Raphaël LESCOP, préc., note 33.
[lxviii] G.B. Démolition inc. c. Caron Construction inc., 2010 QCCQ 6574 ; Northspec Chemicals Corp. c. Chemor inc., 2010 QCCQ 10996.
[lxix] « Il ne peut être prononcé sur une demande en justice sans que la partie contre laquelle elle est formée n’ait été entendue ou dûment appelée » (art. 5 C.p.c.)
[lxx] Robillard c. Commission hydroélectrique de Québec, [1954] R.C.S. 695, 699 ; voir Denis FERLAND et Benoît EMERY (dir.), préc., note 30, p. 24.
[lxxi] Northspec Chemicals Corp. c. Chemor inc., préc., note 69, par. 29-30
[lxxii] Article 54.1 C.p.c.
[lxxiii] Northspec Chemicals Corp. c. Chemor inc., préc., note 69, par.38.
[lxxiv] Barrick Gold Corporation c. Les Éditions Écosociété inc, Requête de la défenderesse Les Éditions Écosociété Inc., en rejet de la requête introductive d’instance amendée de la demanderesse en vertu des articles 54.1 et suivants C.p.c., Cour supérieure, 6 décembre 2010.
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