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Un nouveau droit des justiciables : le contrôle de la constitutionnalité des lois

Par Michel Huyette


  A compter du 1er mars prochain tous les justiciables vont bénéficier d'un nouveau droit : celui de poser une "
question prioritaire de constitutionnalité"  (la QPC). Ce droit pourra être exercé y compris dans les procédures déjà en cours.

  De quoi s'agit-il en résumé ?

  Parmi les lois votées par le Parlement, certaines d'entre elles (moins de 10 % apparemment) sont avant leur publication au journal officiel soumises au contrôle du Conseil Constitutionnel. Celui-ci a pour mission de vérifier si les nouvelles dispositions sont conformes à notre constitution et aux textes qui y sont rattachés et auxquels renvoie son préambule.

  Jusqu'à présent, le Conseil Constitutionnel pouvait être saisi par l
e Président de la République, le Premier ministre, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat, ainsi que par 60 députés ou 60 sénateurs. Cela a pour conséquence que si le Conseil Constitutionnel n'est pas saisi d'une disposition pourtant contraire à la constitution, celle-ci doit être appliquée par les tribunaux qui n'ont pas le pouvoir d'effectuer eux même le contrôle de constitutionnalité (2).


  Pour élargir les possibilités de saisine le Conseil Constitutionnel, une loi du du 23 juillet 2008 (art. 29) a introduit dans la constitution un article 61-1 rédigé ainsi  (3) :

  "
Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé."

  Les modalités d'exercice de ce droit ont été précisées par une loi du 10 décembre 2009 complétée par son décret d'application (1).


  Concrètement, toute personne convoquée devant une juridiction administrative ou judiciaire (civile,  sociale, commerciale, ou pénale, y compris devant le juge d'instruction, mais sauf devant la cour d'assises) pourra dorénavant soutenir qu'une loi qui lui est appliquée est contraire à une disposition constitutionnelle, et cela quel que soit l'état d'avancement de la procédure (première instance, appel, cassation).

  La même faculté n'appartient pas au juge qui n'est pas autorisé à soulever lui-même une telle question.

  Le justiciable doit soulever la question de constitutionnalité dans un écrit qui lui est exclusivement consacrée, et en argumentant sa demande.

  Si la juridiction saisie refuse de transmettre la question à sa cour suprême, il n'existe pas de recours immédiat. Cette juridiction rend sa décision sur le fond de l'affaire, et le justiciable doit formuler sa QPC une nouvelle fois devant la juridiction chargée de statuer sur son recours (cour d'appel ou cour de cassation).

  Si la juridiction saisie estime que la question posée est recevable, suffisamment sérieuse, et qu'elle n'a pas déjà été tranchée par le Conseil Constitutionnel à l'occasion d'une saisine antérieure, elle la transmet à la juridiction suprême dont elle dépend (Conseil d'Etat ou Cour de cassation). Ces juridictions étudient à leur tour la question posée et décident de la transmettre - ou non - au Conseil.

  Si tel est le cas, ce dernier apporte sa réponse dans les trois mois de sa saisine.

 
  Si le Conseil Constitutionnel déclare la disposition non conforme à notre constitution, elle est supprimée de notre droit, et le procès reprend sur de nouvelles bases.

  Dans le cas contraire, la juridiction devant laquelle la QPC a été soulevée doit appliquer le texte contesté, et cette disposition ne pourra plus faire l'objet d'une QPC à l'occasion d'une autre procédure.

  Notons en passant que l'on ne peut pas exclure l'hypothèse que la Conseil Constitutionnel déclare une règle conforme à la constitution et que le juge dise que l'application de la même règle est contraire à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. En effet si le juge ne contrôle pas la conformité à la constitution des règles françaises, il a le pouvoir et doit vérifier que la mise en oeuvre de ces règles ne viole pas un un droit protégé par cette convention européenne (4).


  Cette réforme est très certainement utile. En effet, même si la plupart des lois importantes sont soumises au Conseil Constitutionnel, notamment en matière pénale (5), tel n'est quand même pas toujours le cas. Il peut dès lors sembler opportun que, sur les dispositions les plus importantes, un contrôle par cette juridiction puisse être exercé à tout moment, et cela à l'initiative des justiciables.

  Sans doute y aura-t-il des démarches dilatoires. Il n'est pas rare que des justiciables qui savent qu'ils vont perdre leur procès et être sanctionnés tentent par tous les moyens possibles et imaginables de retarder autant que possible l'issue de la procédure. Nous le voyons quotidiennement sur le terrain.

  Il n'empêche que la loi nouvelle a prévu un mécanisme de filtre raisonnable, d'abord par la juridiction saisie, puis par la cour de cassation ou le conseil d'Etat. Ces filtres permettront sans doute de faire obstacle aux démarches manifestement injustifiées.

  En tous cas, il s'agit là d'un droit nouveau, et personne ne sait si les QPC seront nombreuses ou non.

  Nous en reparlerons donc probablement....

 

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1. Un autre décret concerne le maintien de l'aide juridictionnelle.

2. A la différence du contrôle de la conformité des règles françaises avec la convention européenne des droits de l'homme, que les juges ont compétence pour exercer eux-mêmes.

3. Le dossier législatif complet est ici. cf aussi les informations sur le site du Conseil Constitutionnel.

4. Cf les récents articles à propos de la garde à vue, par exemple ici, ou encore ici.

5. Par ex. sur une période récente et dans le domaine pénal : loi sur les violences de groupe (25 février 2010),  loi pénitentiaire (19 novembre 2009), loi relative à la rétention de sûreté (21 février 2008), loi renforçant la lutte contre la récidive (9 août 2007), loi relative à la prévention de la délinquance (3 mars 2007).


15/02/2012
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