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Comment évaluer la dangerosité des criminels?

Comment évaluer la dangerosité des criminels?

Par Julie Brafman, publié le 18/02/2011 à 17:00

Comment évaluer la dangerosité des criminels?

Avant d'être condamné pour meurtres en 2008, Michel Fourniret avait fait plusieurs années de prison pour une dizaine d'agressions et viols sur mineurs dans les années 80.

REUTERS/Francois Lenoir

Le meurtre de Laëtitia à Pornic a relancé les débats sur la récidive. Comment en apprécier le risque de la façon la plus fiable possible? Une méthode nord-américaine fait actuellement polémique chez les experts-psychiatres.

"Tendances psychopathiques", "intolérance à la frustration", "impulsivité", "facilité à passer à l'acte". C'est en ces termes inquiétants que deux spécialistes avaient décrit Tony Meilhon, le 31 octobre 2003, lors d'une enquête sur quatre braquages dans lesquels le jeune homme était alors mis en cause. 

Au contraire, dans le récent rapport de l'inspection des services pénitentiaires, la conseillère d'insertion et de probation semble plutôt optimiste. Après avoir souligné le fait que Tony Meilhon "a été suivi par un infirmier psychiatre d'octobre 2003 à la mi-2005", elle écrit: "Il voit un psychiatre depuis 2006. Nous pensons que ce dernier suivi explique pour beaucoup la très notable évolution positive dans son comportement au cours de ces derniers mois". Rien, dans ce constat, ne laissait donc présager l'atrocité du meurtre de Laëtitia, quelques années plus tard, à Pornic, en Loire-Atlantique. 

Cette affaire relance un débat récurrent: sur quels critères les psychiatres s'appuient-ils pour évaluer la dangerosité - et donc les risques de récidive - d'un criminel? Depuis quelques années, une nouvelle technique a fait son apparition en France. Directement importée des Etats-Unis, elle est source de discorde entre les professionnels. Il s'agit d'utiliser des échelles statistiques pour obtenir scientifiquement le profil d'un condamné et son taux probable de récidive. 

Les statistiques au service de la psychiatrie

Le psychiatre Alexandre Baratta, expert près la Cour d'appel de Metz et praticien hospitalier dans l'unité pour malades difficiles de Sarreguemines, est un prionnier en la matière. Cet homme de 34 ans parle le langage des "échelles actuarielles" avec l'aisance du connaisseur, convaincu de la fiabilité de la méthode. "J'ai découvert l'existence de ces statistiques lorsque je me suis posé la question des outils à ma disposition pour réaliser une expertise, explique-t-il. J'ai alors trouvé ces techniques validées aux Etats-Unis, au Canada ou en Belgique mais non pratiquées en France". 

Si la personne est à 30 ou plus, elle est considérée comme psychopathe 

Le principe est le suivant: chaque condamné est noté sur une échelle de risque de récidive. Pour les agresseurs particulièrement violents, un barême a été mis en place prenant en compte divers éléments de leur passé. Par exemple, si l'individu a vécu chez ses parents avant ses 16 ans, il perd 2 points. Dans le cas contraire, on lui en attribue 3. Le questionnaire évoque, entre autres, son intégration à l'école primaire, ses éventuels problèmes de violence, son rapport à l'alcool, sa situation personnelle... "L'un des éléments les plus déterminants reste le niveau de psychopathie, précise Alexandre Baratta. Nous avons une échelle de 0 à 40. Si la personne est à 30 ou plus, elle est considérée comme psychopathe". 

Une méthode marginale en France

A chaque étape du processus correspond un coefficient différent. A la fin, un chiffre est établi: la personne est alors associée à un groupe d'individus ayant les mêmes caractéristiques. Il ne reste plus, alors, qu'à lire le taux probable de récidive relié à ce groupe. "Cette méthode ne permet pas d'établir une causalité dans la récidive mais d'établir des corrélations," souligne Alexandre Baratta. 

Seule une dizaine de psychiatres en France utilisent ce système d'échelles actuarielles. Pour autant, Alexandre Baratta y voit une méthode d'avenir pour lutter plus efficacement contre la récidive. "Aujourd'hui, poursuit-il, les experts se basent sur ce que le détenu leur raconte. Ils se fient à leur intuition. Aussi y a-t-il souvent des contradictions entre les différents rapports d'expertise sur une même personne." 

Si l'on pousse la logique à l'extrême, il n'y aurait même plus besoin de magistrats! 

L'entretien clinique est effectivement la technique actuellement la plus utilisée par les praticiens pour évaluer la dangerosité d'un crimminel. "Nous examinons les pièces du dossier et utilisons le récit de la personne pour établir notre diagnostic," confirme Gérard Rossinelli, expert-psychiatre depuis plus de trente ans. Le rapport repose alors sur la réflexion du criminel au sujet de son acte, ses capacités d'introspection ou encore son sens de l'empathie. 

"Quand on nous pose la question de la dangerosité, on distingue la dangerosité psychiatrique et la dangerosité criminologique," complète-t-il. Selon Alexandre Barrata, ce procédé est "aléatoire". Cela revient "à faire la chasse aux lions avec une épuisette". "Tous les détenus répondent invariablement qu'ils ne sont pas dangereux et ne recommenceront pas!" 

Les psys français réticents

Pour autant, l'ensemble de la profession semble réticente à l'utilisation des échelles actuarielles, jugées trop réductrices. "Cela induit une certaine systématisation, relève Gérard Rossinelli. Ces statistiques ne prennent pas en considération l'individu dans son évolution, ni le changement de circonstances. Si l'on pousse la logique à l'extrême, il n'y aurait même plus besoin de magistrats!" 

Pour l'instant, cette méthode reste donc marginale. Mais elle pourrait se développer à l'avenir: l'Académie de médecine elle-même a publié, en juin 2010, un rapport du professeur Jean-Pierre Olié, préconisant son enseignement et sa diffusion. 

Que l'entretien soit "clinique" ou "statistique", les différents praticiens tombent d'accord sur un point: il faudrait créer, en France, une filière de formation en psycho-criminologie. "Le psychiatre seul ne suffit pas à évaluer la dangerosité, estime le docteur Rossinelli. Il faut que le champ s'ouvre". 



16/11/2011
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