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Justice des mineurs : "La société doit prendre sa part de responsabilité"

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Le Point.fr- Publié le - Modifié le

Violence précoce, enfants délaissés, parents démissionnaires... Catherine Sultan, présidente du tribunal pour enfants de Créteil, dresse un état des lieux.

Catherine Sultan, présidente du tribunal pour enfants de Créteil, publie "Je ne parlerai qu'à ma juge", un ouvrage très éclairant sur la justice des mineurs.
Catherine Sultan, présidente du tribunal pour enfants de Créteil, publie "Je ne parlerai qu'à ma juge", un ouvrage très éclairant sur la justice des mineurs.©Montage Le Point.fr
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Les enfants sont-ils de plus en plus violents ? Commettent-ils des faits de plus en plus graves ? Catherine Sultan, présidente du tribunal pour enfants de Créteil, publie aux éditions Seuil Je ne parlerai qu'à ma juge, et dresse un état des lieux de la justice des mineurs en France. Douai, Paris, Évry, Créteil... Autant de villes, de tribunaux et de banlieues où la réalité n'est jamais la même. Catherine Sultan dénonce les mesures d'affichage qui ont accentué le volet répressif de la justice des mineurs aux dépens de son rôle éducatif. Entretien.

Le Point.fr : Comment comprendre la singularité de la justice des mineurs par rapport à celle des adultes ? Vous citez dans votre livre l'exemple du petit Romain : "Il n'est pas encore capable de considérer l'autre, de prendre en compte une souffrance qui ne soit pas la sienne et de mesurer l'impact de ses actes sur son propre avenir d'homme digne et libre", écrivez-vous. Tout l'enjeu est-il ici, savoir prendre en compte le niveau de discernement de l'enfant ?

Catherine Sultan : Il faut toujours prendre en compte le degré de maturité de l'enfant. La décision que le juge des enfants prend doit être utile, mais surtout comprise. Non seulement par le jeune lui-même, mais également par la société, qui a tout intérêt que le jeune trouve sa place. Par ce livre, j'ai voulu mettre le lecteur dans le rôle du juge. Le rôle des parents est fondamental, bien loin des situations caricaturales que l'on se fait parfois du "parent démissionnaire". Il faut faire alliance avec les parents. Dans des situations exceptionnelles, on ne peut pas s'appuyer sur eux, mais ce n'est pas le principe. Pour aider un enfant, on ne peut pas discréditer ses parents. Car ce sont eux qui seront présents dans la durée, pour répondre aux besoins de l'enfant.



Vous décrivez les heurts qui existent entre l'institution judiciaire et les conceptions culturelles d'une famille, qui peuvent déboucher sur des situations de blocage ou de conflit. Comment articuler l'application de la loi pour tous et les spécificités propres à chaque famille ?

Les règles de droit s'appliquent à tout le monde. La justice des enfants est une justice éducative. Elle engage un travail dans le temps et construit des projets d'avenir. Il faut tenir compte des spécificités culturelles, non pas pour renvoyer l'autre à sa culture, mais pour faciliter le travail d'intégration. Nous avons besoin d'interprètes des modèles culturels pour mieux cerner certaines pratiques, et ne pas porter de jugement de valeur. Quand une situation porte atteinte à la sécurité d'un enfant, l'approche interculturelle est un moyen de se faire mieux comprendre par les parents. Attention, cette approche ne doit pas être un voile devant les yeux du juge, qui appliquerait alors un seuil de tolérance différent d'une famille à une autre.

Vous vous êtes parfois livrée à des rencontres avec les habitants, en dehors de votre cabinet. Quel était l'objet de ces rencontres ?

On ne rend pas la justice différemment selon les territoires. Mais, encore une fois, il faut connaître les lieux pour mieux adapter la réponse à l'acte délinquant. Les rencontres locales ne doivent surtout pas servir à se justifier de son travail ou à parler d'une affaire en cours, mais au contraire à s'imprégner des préoccupations d'un lieu. Les rencontres avec les associations de parents sont un moment très fort d'échange et de sensibilisation. Il se passe parfois des choses graves dans les quartiers, ou dans les cours de récré. C'est intéressant d'en parler à froid avec les habitants, jamais à chaud, sous le coup de l'émotion. Les gens cherchent souvent à comprendre comment la justice travaille, pour qui et pourquoi elle est exercée.

Vous écrivez : "Une jeunesse de plus en plus violente... Une violence de plus en plus précoce... La répétition de ces assertions n'en fait pas une vérité." La part des mineurs dans la délinquance générale est passée de 14 % en 1992 à 17 % en 2010. Pour l'essentiel, il s'agit de délits (96,4 %). Selon Véronique Le Goaziou et Laurent Muchielli, l'implication des mineurs dans la délinquance d'ordre public augmente (stupéfiants, dégradations...) alors qu'elle baisse pour les violences graves. Selon votre propre expérience, quel bilan tirez-vous aujourd'hui ?

L'acte délinquant vient quasiment toujours signaler une difficulté. Parfois, cette difficulté est très ponctuelle et une convocation devant la police suffit à remettre les choses dans l'ordre. Il faut traiter l'acte de délinquance en sanctionnant l'interdit. Mais on découvre souvent que derrière, il y a de multiples difficultés qui réclament une protection de l'enfance renforcée. Je n'ai pas voulu, dans mon livre, répondre à cette question d'une "jeunesse de plus en plus violente". Pourtant, si on conteste ces affirmations, on donne l'impression qu'on les rend banales. Ce qui n'est absolument pas le cas. Il faut bien comprendre que le visage de la délinquance change. On ne volait pas d'iPhone à Douai en 1988, et on ne vole presque plus de Solex ou d'autoradios de nos jours. Reste qu'en 25 ans, je n'ai jamais vu un enfant de 10 ou 11 ans devant le tribunal des enfants. L'introduction dans notre droit de sanctions éducatives pour les enfants de cet âge n'a été qu'une mesure d'affichage de plus. La justice des mineurs a été discréditée sous le précédent quinquennat. On brandissait les principes de l'ordonnance de 45 (spécialisation de la justice des mineurs, perspectives éducatives...) tout en les bafouant.

NDLR : Catherine Sultan fait ici allusion à plusieurs dispositions prises dans la dernière décennie : bracelet électronique dès l'âge de 16 ans, application aux mineurs du fichier judiciaire des agresseurs sexuels (FIJAIS), possibilités étendues d'incarcérer un mineur de 13 ans, création du tribunal correctionnel pour mineurs, allongement de la durée de la garde à vue pour les jeunes de 16 ans...

Vous plaidez en faveur d'une "charte commune pour l'enfance". Quelles sont vos propositions ?

Nous avons élaboré un projet avec l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille. Nous souhaiterions réunir dans un texte tout ce qui concerne les mineurs et qui insiste sur le rapport entre l'adulte et l'enfant. Nous voulons nous réunir autour de principes essentiels : quels droits pour l'enfance en difficulté ? Il faut réformer le droit pénal et l'adapter à l'égard des plus jeunes. Le droit ne doit pas déserter sa mission éducative. La société doit également prendre ses responsabilités. Nous tendons trop à la judiciarisation. François Hollande a retenu une de nos idées, qui est la "césure" du procès. Pour les affaires les plus simples, nous proposons de distinguer l'étape de la culpabilité de l'enfant de la phase de mise à l'épreuve. Concrètement, le juge pourrait rapidement, dès la première audience, statuer sur la culpabilité de l'enfant et allouer les dommages et intérêts aux victimes. Puis l'enfant sera engagé dans une période plus longue, pour lui permettre de prendre conscience de ses actes et, espérons-le, de provoquer un changement dans la famille.



04/05/2013
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