LES DIVERS ASPECTS DE LA NOTION DE DROIT
3.
3.1. DROIT OBJECTIF, DROITS SUBJECTIFS ET DROIT POSITIF
· Le mot français "droit" désigne à la fois:
- le droit objectif
- les droits subjectifs
- le droit positif.
3.1.1. Les distinctions
· Droit objectif
- = définition du droit au ch. 2 (?) ® Une règle de droit est une règle de droit objectif.
- au singulier + minuscule = la loi, l'ordre juridique, the law.
· Droit subjectif
- Définition:
Faculté appartenant à un sujet de droit, c'est-à-dire une personne physique ou morale
de faire ou d'exiger quelque chose ® sujet actif
ou d'être obligée à quelque chose ® sujet passif
en vertu d'une règle de droit objectif.
=> Les droits subjectifs = mise en oeuvre du droit objectif.
- Une même personne = sujet passif et actif.
· Actif: "Voici ma maison" sur laquelle j'exerce le droit de propriété.
= confusion du bien et du droit.
· Passif: "je dois payer ma facture".
- Terminologie ® un droit (de propriété, de succession) » the right.
Pluriel : les droits = situation juridique d'une personne.
- Domaines des droits subjectifs
· Couvrent tous les domaines.
=> diverses catégories
=> terminologie varie d'une branche de droit à l'autre (ou d'un auteur à l'autre).
· Droit privé
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Les droits de jouissance ou droits subjectifs au sens étroit ou droits de maîtrise au sens large ou droits fondamentaux ou droit primaires |
¹ |
Droits de compétence ou droits subjectifs au sens large ou droits secondaires ou pouvoirs | |||
Définition |
= droits qui tendent directement à la jouissance d'un avantage |
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= droits qui permettent à leur titulaire d'organiser des relations juridiques. | |||
Subdivisions |
1. Droit de maîtrise = droits qui permettent de jouir d'un bien à l'exclusion de toute autre personne. => droits réels, droits de la propriété immatérielle, droits de la personnalité. |
2. Droits corporatifs = droits qui découlent de l'appartenance du sujet à un groupe => comme les droits dont jouissent les membres d'une société. |
3. Droits de créance = droits qui permettent d'exiger d'une personne un comportement déterminé. |
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1. Droits formateurs = droits qui sont des facultés appartenant à une personne. De modifier en sa faveur par une manifestation unilatérale de volonté une situation juridique préexistante => rompre un contrat de travail, dénoncer un bail, introduire une action en divorce... |
2. Droits de gestion = droits qui sont des facultés permettant à leur titulaire de faire avec un tiers des actes juridiques qui produisent leurs effets directement pour une autre personne, comme celle-ci avait agi personnellement => droit de représentation, droit d'agir comme organe d'une personne morale. |
· Droit public
® = "facultés" ou "droits".
- Distinctions difficiles à comprendre => emprunt à la doctrine française.
1. Droits = des prérogatives que leur titulaires exercent dans leur intérêt propre ® droit de propriété.
2. Pouvoirs = des droits qu'une personne exerce dans l'intérêt d'autrui.
® les pères et mères exercent autorité parentale dans intérêt des enfants.
3. Libertés = les droits que les personnes ont vis-à-vis de la puissance publique.
= 3 catégories différentes soumises à des régimes juridiques différents. (Pareil en droit Suisse mais coïncident pas exactement avec catégories françaises).
· Droit positif
= ensemble des règles de droit objectif et des droits subjectifs actuellement en vigueur dans un pays donné.
3.1.2. L'exercice des droits subjectifs
· Pour que aboutisse pas à usage incontrôlé des droits subjectifs » société sous le régime de la loi de la jungle => loi soumet l'exercice des droits subjectifs aux règles de la bonne foi et interdit leur usage abusif.
· R) Ces 2 notions s'appliquent à toutes les branches du droit.
3.1.2.1. La bonne foi : bona fides
· Grand rôle dans développement du droit.
· Contenu romain enrichi et précisé par droit canonique.
· Juge applique d'office les règles de la bonne foi.
· E. Huber a inséré deux articles sur la bonne foi dans le Titre préliminaire: Deux sortes de bonne foi:
1. Au sens objectif ® nach Treu und Glauben
2. Au sens subjectif ® die gute Glaube
3. Art. 2 al. 1 CC au sens objectif
4. Art. 3 CC au sens subjectif.
3.1.2.1.1. La bonne foi au sens objectif (art. 2 al. 1 CC)
· Définition
= la loyauté qu'on doit observer dans les relations juridiques d'après les usages des honnêtes gens.
· Plusieurs aspect du contenu de l'art. 2 al. 1 CC
a) Développement de la notion de bonne fois dans le cadre du droit des contrats. Législateur n'utilise pas les mots "créancier" et "débiteur", car le domaine de la bonne foi est plus large que celui du droit des obligations.
b) Le législateur rejette la distinction du droit romain entre les obligations de droit strict et les obligations de bonne foi: la bonne foi s'applique (en principe) à tout le droit Suisse.
c) Cet article est un exemple de clause générale.
d) Nombreux aspects du devoir de loyauté, aspects appliqués par la loi et la jurisprudence.
1. Bonne foi interdit de recourir au dol = provoquer une erreur chez le partenaire pour l'inciter à s'engager.
2. Bonne foi interdit d'inspirer une crainte fondée au partenaire = recourir à la violence pour l'obliger à traiter.
3. Faut éviter les comportements incorrects. Existe un devoir de renseigner pour les particuliers et les autorités publiques.
4. Bonne foi => compensation = extinction de deux obligations ayant un objet de même espèce entre les mêmes personnes, jusqu'à concurrence de la faible. Ex: opérations bancaires.
3.1.2.1.2. La bonne foi au sens subjectif (art. 3. CC)
· Définition
= ignorance d'une situation de fait ou ignorance de l'irrégularité d'une opration juridique.
· Celui qui nie existence de bonne foi, doit prouver la mauvaise foi.
· Les 2 alinéas de art. 3 CC
- L'al. 1: présomption de la bonne foi: toute personne est présumée agir de bonne foi.
- L'al.2: limite du bénéfice de la bonne foi.
· Domaine large de la bonne foi de art. 3. Nombreuses applications par la loi et jurisprudence.
· Devoir de diligence
=> limite de art. 3 qui garantit la sécurité du droit.
= "Nul ne peut invoquer sa bonne foi, si elle est incompatible avec l'attention que les circonstances permettaient d'exiger de lui".
=> avoir la diligence requise par les circonstances.
Ex: ne pas prétendre avoir acheté Porsche pour Fr. 500,- => beaucoup plus facile de prouver la mauvaise foi: suffit de démontrer que l'interessé avait pas la diligence requise par les circonstances.
Juge doit toujours vérifier, cas par cas que diligence faite ou non => large pouvoir d'appréciation limité par obligation de s'inspirer des bornes de l'ignorance admissibles placées par loi et jurisprudence.
3.1.2.2. L'abus de droit
Peut utiliser un droit à discrétion, sous 2 réserves:
1. La loi fixe elle-même des limites à l'exercice d'un droit subjectif.
2. Même lorsque le titulaire semble rester dans les limites légales de son droit, le droit sanctionne l'usage abusif d'un droit subjectif.
3.1.2.2.1. Définition de l'abus de droit
· = exercice d'un droit qui a pour effet de nuire à autrui, sans intérêt appréciable et légitime pour celui qui l'accomplit.
· = exemple de clause générale.
· Objet: moraliser le droit.
Þ Le juge peut rétablir la justice lorsque l'application de la loi (ou exécution d'un contrat) la bafouerait.» » "sortie de secours", "soupape de sûreté.
=> art. 2. Al. 2 CC = disposition subsidiaire.
3.1.2.2.2. Historique
· Réprimé de tout temps sévèrement selon les époques et la conception des droits subjectifs.
· Droit romain + ancien droit
- sanctionné dans quelques cas.
- droits subjectifs = droits absolus, existent dans un seul intérêt de leur titulaire.
® "celui qui exerce son droit n'est pas responsable du préjudice qu'il cause à autrui".
· Libéralisme (fin XIX - début XX) reprend cette conception: rédacteurs français du CC avaient pas pensé à abus de droit.
· Raisons de l'intérêt pour l'abus de droit à fin XIX et début XX
1. Auteurs étudiaient davantage la jurisprudence. Or juges sanctionnaient (?) abus de droit dans de plus en plus de domaines.
Ex: abus dans usage du droit de propriété. 1826, usine chimique sanctionnée parce que exhalaisons incommodantes.
2. Jurisprudence administrative française (fort influente en Europe) développait la notion de détournement de pouvoir = lorsque l'auteur de l'acte a usé de son pouvoir dans un but et pour des motifs autres que ceux en vue desquels ce pouvoir lui a été conféré.
En Suisse = "détournement" ou "abus de pouvoir "(plus souple)
® Rejet par la doctrine de la conception libérale du droit subjectif: droits subjectifs ¹ droits absolus, mais = fonctions sociales dont le juge contrôle l'usage.
® aboutissement législatif de cette conception: art. 1 CC soviétique de 1923.
"Les droits civils sont protégés par la loi, sauf dans les cas où ils sont exercés dans un sens contraire à leur destination économique et sociale".
3. Caractère spectaculaire de la formule "abus de droit" contribua à sa diffusion.
Paradoxe: dire qu'une personne qui exerce un droit, commet simultanément un abus.
® Planiol (F-1931): critique la formule mais reconnaît la réalité de la chose:"Le droit cesse où l'abus commence".
· Répercussion sur la législation
1. Allemagne
Le BGB § 26 condamne l'abus de droit.
2. Suisse
Avant-projet de l900, applications ponctuelles mais de disposition générale.
Introduction par Huber dans le projet de 1904 un art. 3 al. 2: "Celui qui abuse évidemment de son droit ne jouit d'aucune protection légale".
Hubert aboutit enfin à art. 2. Al. 2. CC (fierté).
"L'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé par la loi".
= place importante de abus de droit.
3.1.2.2.3. La notion d'abus de droit:
® Trois grandes questions:
1. Le législateur doit-il
- édicter une clause générale consacrée à l'abus de droit
- limiter le pouvoir du juge en sanctionnant l'abus de droit par des mesures ponctuelles?.
2. On pourrait remédier aux abus commis dans exercice d'un droit.
- notion de responsabilité pour faute
- notion de risque?
3. Quelle étendue faut-il donner à la notion?
® le juge pourrait quitter le droit pour la politique et transformerait le droit en instrument de révolution permanente. La notion d'abus de droit donnerait au juge le pouvoir arbitraire de sanctionner ou de ne pas sanctionner l'abus de droit dans des cas semblables. Or mission du juge: assurer le respect de l'ordre voulu par le souverain.
® Résolution du problème par le législateur et jurisprudence: définition du critère de abus de droit + précision des cas d'application.
A. Le critère de l'abus de droit
· Note marginale de art. 2 CC: a pour objet de déterminer "l'étendue des droits civils" = droits subjectifs.
=> législateur: droits limités par une finalité sociale.
· En contrepartie, existe des "devoirs généraux" => les droits ont des devoirs.
· => Immense pouvoir au juge en suivant la conception: droits = fonctions sociales.
· Auto-limitation de la jurisprudence avec notion de abus de droit semblable à celle du § 226 BGB: notion d'abus de droit se distingue de la notion de responsabilité parce qu'elle comporte une intention de nuire ou une absence d'intérêt pour l'auteur de l'acte.
· Pouvoir d'investigation du juge est restreint, car il ne peut sanctionner que abus de droit manifeste: il n'a pas à chercher intention profonde, mais à déterminer (selon le contexte dans lequel le droit est exercé) si son titulaire en tire ou non un bénéfice que la loi garantit.
B. Les domaines de l'abus de droit
· Certes il existe des dispositions condamnant des abus précis et l' application de jurisprudence à des nombreux cas, mais chaque affaire doit faire l'objet d'un examen in concreto.
· Multiples formes de l'abus de droit : tous les droits susceptibles d'un usage abusif.
- droit de la famille : droit du divorce
- droit de la propriété: mur de chicane
- droit des obligations: droit de bail. Locataire malade, chassé
- droit d'agir en justice
=> Formalisme juridique est écarté en faveur des valeurs sousjacentes de la loi.
· Difficile de fixer la limite de abus de droit et limite de exercice d'un droit: exercice peut porter préjudice à autrui sans qu'il y ait abus de droit.
· Certains droits absolus et actes abstraits échappent à censure de abus de droit.
® définition de acte abstrait.
- Habituellement, on considère la volonté + les motifs des personnes qui ont fait l'acte juridique.
Ex: contrat, valable si pas conclue par erreur et si son objet existe réellement.
Dans certains cas, on recourt à des actes abstraits.
Leur validité n'est pas liée aux conditions de la conclusion des actes, mais à l'accomplissement selon la forme prescrite de ces actes.
- Exemple: les papiers - valeurs, la lettre de change, la cédule hypothécaire = actes abstraits pour des raisons de simplicité de paiement, de sécurité des affaires et de crédit.
® branche du droit qui régit ces écrits: droit cambiaire,
Droit rigoureux, directement issu du droit des foires médiévales, (communications difficiles, ce droit devait assurer sécurité de la circulation des biens et des paiements ® avantage pour créanciers).
Aujourd'hui, mêmes avantages favorables aux affaires.
® Utilité de lettre de change ou cédule hypothécaire: monnaie privée, moyen de crédit et de gage.
Commodité d'emploi doit être aussi proche que possible de celle des billets de banque.
2 caractéristiques:
1. Négociable = transmissible à des tiers autrement que selon les règles de la cession de créance.
2. Le débiteur ne peut pas opposer au tiers porteur qui lui présente la cédule hypothécaire les exceptions qu'il aurait pu victorieusement opposer à son créancier initial. "Personne ne peut transférer plus de droits qu'il n'en a".
3.1.2.2.4. Abus de droit et fraude à la loi
· Définition
Le juge refusera l'effet à la disposition légale frauduleusement utilisée.
3.2. DROIT IMPERATIF ET DROIT DISPOSITIF
· Force obligatoire différente selon:
- les règles impératives
- les règles dispositives
Règle impérative |
Règle dispositive |
· doit être respectée par tous, y compris l'Etat |
· édictée dans les mêmes conditions qu'une règle impérative · mais ne s'applique que si les particuliers n'en ont pas décidé autrement ou s'ils ont décidé de s'y soumettre ® obligatoire = "interprétatives" |
· Notions d'illicéité et d'ordre public liées à celle de droit impératif
1. Illicéité
= violation d'une règle impérative de droit objectif.
2. Ordre public
- Définition : comprend l'ensemble des règles de droit impératives, écrites ou non écrites, dont le respect est indispensable à la bonne marche de l'Etat et à la préservation de ses intérêts essentiels.
- Contenu: selon les époques et les lieux
selon les buts politiques, économiques et sociaux de l'Etat
® c'est au juge de le déterminer.
- Caractéristiques: correspond en partie au droit public, mais ne se confond pas avec lui: règles de droit public qui ne sont pas d'ordre public et règles de droit privé qui sont d'ordre public.
3.3. DROIT MATERIEL ET DROIT FORMEL
· Définition du droit matériel ou "droit de fond" ou "droit substantiel" consiste en règles de droit sur lesquelles reposent les droits subjectifs.
· Définition du droit formel ou "droit procédural" ou "droit judiciaire", ou "droit processuel" ou "droit de procédure" = (au sens large) ensemble des règles de droit qui indiquent les formes à suivre pour réaliser d'un droit ou un ensemble de règles.
3.4. LA NOTION DE CLAUSE GENERALe
· Définition = une disposition qui renvoie à une valeur fondamentale sur laquelle repose le système juridique.
· Exemple de clause générale
- Bonne foi objective ® art. 2 al. 1 CC
- Interdiction de l'abus de droit ® art. 2 al. 2 CC
- Références à la liberté, à l'ordre public et aux moeurs ® art. 27 CC
® art. 41 al. 2 CC
- Renvoi à l'équité ® art. 4 CC
- Prohibition des atteintes illicites
® art. 28 CC
® art. 41, 49 CO
· Clause générale confère un grand pouvoir au juge : préciser les droits et les obligations qui en découlent, parce que:
1. Renvoie à une valeur dont elle ne précise pas le contenu.
2. Contenu des clauses pas fixe: dépend des conceptions politiques, sociales et morales dominantes.
3. Ne sont pas applicables directement. C'est au juge de porter un jugement de valeur et de les concrétiser cas par cas.
· Garde fou
Pouvoir du juge limité par l'obligation de tenir compte de la doctrine et de la jurisprudence, (qui a délimité le contenu des clauses générales).